Il y a 36 ans, on ne gérait pas les deuils comme c’est le
cas aujourd’hui. La mort, la maladie étaient des sujets généralement tabous. Il
est encore plus facile alors de comprendre qu’on les cachait aux enfants. On
estimait que ceux-ci n’avaient ni la maturité ni la solidité d’être confrontés
à de telles réalités. On croyait à tort les protéger en les éloignant de ces
situations douloureuses. De toute façon, comment espérer que les adultes de l'époque
puissent accompagner des jeunes dans un tel processus quand ils n’arrivaient
souvent pas à le gérer pour eux-mêmes? Voilà ce qui explique rationnellement
certaines des séquelles reliées au décès de ma mère. Ni méchanceté ni complot.
Simplement la maladresse. Cela explique mais ne guérit pas.
Aujourd’hui, tant au niveau familial que dans le milieu
scolaire, on ne gère plus les deuils de la même façon. Je le sais. À 12 ans, un
de mes amis est mort devant mon école, à la sortie des classes. Rapidement, on s’est efforcé de cacher le
tout et de passer à autre chose.
Il y a à peine quelques années, un de mes élèves est décédé durant
la fin de semaine. Les images de son décès ont fait les médias et le retour en
classe fut un des moments les plus exigeants de ma carrière.
Les élèves de mes groupes ont alors été encadrés par une
équipe de spécialistes et de psychologues. Pourtant, au delà des plans
d’intervention et d’urgence, ils se sont tournés vers un collègue et moi pour
demander de l’aide et de l’accompagnement. Je me souviendrai toujours de ce
grand frisé qui, armé de son courage tout adolescent, répondit au directeur qui
lui demandait ce dont il avait besoin: «Pouvez-vous nous laisser seuls avec
notre prof, s’il vous plait?» Ce deuil, nous l'avons vécu en groupe et j'en ai tenu des mains et j'en ai soutenu des âmes.
En font-on trop? Peut-être. Contamine-t-on parfois des
élèves inutilement avec des interventions de groupe? Peut-être. Mais je préfère
pécher par prudence que d’ignorer un seul enfant blessé. Je préfère trop que pas
assez dans des cas comme ceux-là.
Encore aujourd’hui, je suis surpris d’avoir su poser les
bons gestes, prononcer les bonnes paroles et me taire aux bons moments. Les
expériences que j’ai vécues, la mort de mon père entre autres, m’ont appris
comment me comporter en pareille situation.
Ironique, non? Capable de gérer le deuil des autres et savoir les aider mais incapable de gérer le deuil le plus
significatif de sa propre vie. Là encore, rationnellement, les choses s'expliquent.
Un bon enseignant doit avoir vécu, quant à moi. J’ai beaucoup
de difficulté avec ces jeunes profs ou même ces jeunes intervenants scolaires qui en
connaissent peu de la vie et qui côtoient des élèves en détresse ou en
difficulté. Sans généraliser, et peut-être à tort, j’ai parfois l’impression
qu’il leur manque un certain quelque chose. Je suis venu à l'enseignement sur le tard et cela m'a beaucoup aidé... à aider.
8 commentaires:
C'est drôle, cette adéquation entre jeunesse et absence de vécu. Dans la décennie qui a précédé mon entrée dans la profession enseignante à 22 ans, mes parents ont divorcé, j'ai dénoncé à la DPJ et témoigné en cour contre un père violent envers ses enfants que je gardais, mon frère ainé s'est pendu dans le sous-sol de la maison de ma mère et j'ai été nommée tutrice légale de ma cousine mineure qui avait perdu ses parents dans un accident d'auto. J'espérais juste que la décennie suivante allait être un peu plus tranquille. Quand quelques drames sont arrivés à l'école où j'enseignais, j'étais probablement celle qui en avait déjà vécu le plus...et je n'avais pas 25 ans. Je sais bien que ce n'est pas l'expérience de tout le monde, mais souvent, on en sait peu sur certains de nos collègues et être prudent dans les généralisations. Bonne fin de semaine!
Maude: J'ai pris soin d'écrire: «Sans généraliser, et peut-être à tort». Pas pour rien. :)
Maude: et je suis désolé si j'ai pu vous offenser.
Je n'ai été aucunement offensée et j'avais bien lu votre «sans généraliser». Reste qu'on a l'impression que c'est surtout de la rectitude politique, cette nuance. Vous nous laissez croire qu'en enseignement, c'est bien d'être plus vieux que plus jeune, en associant directement cette idée à celle d'«avoir vécu plus d'expériences». Je trouvais important de faire voir un autre portrait, en l'occurrence le mien, qui n'a certainement qu'une valeur anecdotique.
En fait, les six premiers paragraphes de votre texte sont fort à propos, pertinents et intéressants. Les cinq dernières phrases, en tout honnêteté, viennent un peu gâcher le plaisir. Je ne comprends pas la pertinence de ce genre de commentaires qui, selon moi, tournent à vide. Des «vieux» sans expérience, il y en a plein en enseignement. Des gens qui n'ont jamais voyagé, ne sont jamais sortis de leur vie tranquille et de leur routine confortable. Des gens qui vivent avec leurs certitudes. À mon avis, leurs interventions peuvent être bien plus dommageables que celles d'un jeune prof, qui a peu d'expérience certes, mais qui est ouvert et dont les réserves d'empathie ne sont pas épuisées par 25 années d'enseignement. Bref, traitez-moi de relativiste, mais des certitudes, dans la vie, j'en n'ai qu'une infime quantité.
Loin de moi l'idée de partir un débat. Vos derniers textes m'ont touchée et, en général j'apprécie vous lire. J'ai entendu quelques commentaires qui vont dans le même sens que ce que vous énoncez dernièrement et ça irrite les racines de mon âme. Votre blogue m'a offert une opportunité de m'exprimer à ce sujet.
À la prochaine!
Maude: Pffff... rectitude, moi? Rarement. Du moins, laissez-moi le croire encore un peu. :)
Vous avez effectivement bien raison dans vos commentaires et vous apportez des nuances fort justes. Je me sentais un peu gauche en écrivant la fin de ce billet, mais j'ai suivi mon idée et l'ai assumée jusqu'au bout. Jusque dans une certaine erreur ou jusque dans un certain manque de nuance. Et je vis très bien avec l'idée de m'être gourré comme un con.
Le but de publier pour moi est d'échanger des idées et d'apprendre, pas de m'exprimer. M'exprimer, j'y arrive assez bien seul. Mais l'interaction ici est ce qui compte. Et vos commentaires sont sincèrement une grande joie pour moi bien qu'ils soient basés sur des expériences vécues difficiles.
Merci!
Entendons-nous au départ que tout est relatif et qu'il n'y a pas de corrélation absolue entre l'âge ou l'ancienneté vs la qualité d'un travail. Cependant, comme mentor auprès de nouveaux entrepreneurs, je sais que je n'aurais pu faire un tel travail il y a 30 ou 40 ans. À cette époque j'aurais été davantage tenté de plonger directement dans les solutions au lieu de faire ce que me demande mon rôle de mentor: bien écouter d'abord, accompagner dans la réflexion ensuite et finalement encourager. Lorsque je regarde en arrière, je dois dire que de façon générale, les meilleurs éducateurs qui ont passé dans ma vie avait un solide bagage d'expériences. Ce qui n'empêche pas l'émergence de génies comme Nézet Séguin, Fred Pellerin et autres talents précoces. Je crois qu'il faut donner de la valeur au temps. Je crois aussi que les vieux comme moi doive laisser aux jeunes la responsabilité de bâtir l'avenir. Mon âge me donne des atouts et un rôle à jouer mais pas celui de définir un monde dans lequel je ne vivrai pas.
" ... cela m'a beaucoup aidé... à aider." Cela aurait aussi aider à vous aider.
Bon au début de la Révolution tranquille, on cache le mort.
À la fin de ce Déclin tranquille, l'État thérapeute soigne les vivants en face de la mort, on envoie les nouveaux prêtre s(psychologues et autres intervenants sociaux).
Mais avant le Déclin/Révolution tranquille, la mort est bien présente, les vieux à la maison, les incontinents et tout, pas en maison de retraite. Et on veille pendant la nuit le mort...
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