26 décembre 2013

Légendes pédagogiques et incurie ministérielle (ajout)

Je viens de finir de lire Légendes pédagogiques - L'autodéfense intellectuelle en éducation de Normand Baillargeon. Il est évident que, pour éclairer les idées qui y sont avancées, il serait intéressant de pouvoir consulter une ou des contreparties écrites par des tenants des pratiques qui sont analysées dans cet ouvrage. Mais, aussi bien l'avouer: ce livre me conforte dans mon scepticisme et dans certaines de mes intuitions.

Baillargeon n'hésite pas à questionner (le mot est faible) la pédagogie de la découverte, les intelligences multiples, les styles d’apprentissage (visuel, auditif...), les NTIC, la programmation neurolinguistique (PNL) et j'en passe...

Légendes pédagogiques devrait être obligatoire pour tout éducateur. Pas  parce qu'il s'agit d'une façon de se tenir loin de certaines bêtises que certains aimeraient voir instaurer dans nos écoles, mais parce qu'il insiste sur la rigueur que l'on doit mettre de l'avant quand il s'agit d'implanter de nouvelles idées en éducation.

Sur le blogue de Michèle Pourpore, on s'interroge à savoir si un enseignant devrait recourir à certaines approches non scientifiques. Si on se base sur la Loi sur l'instruction publique, on remarquera que ce dernier a le doit «de prendre les modalités d’intervention pédagogique qui correspondent aux besoins et aux objectifs fixés pour chaque groupe ou pour chaque élève qui lui est confié». (article 19.1) Par contre, comment concilier ce droit avec le devoir «de conserver un haut degré de compétence professionnelle» (article 22.6)? Pour ma part, la réponse est assez simple: les méthodes expérimentales n'ont pas leur place dans nos écoles à moins d'être mises de l'avant dans le cadre d'un projet d'évaluation scientifique rigoureux.

À ce propos, faut-il pleurer quand on voit que le MELS permet que se déroulent dans nos écoles des pratiques dont la validité scientifique n'a jamais été démontrée?  Isabelle Boucher, de Saint-Jean-sur-Richelieu, a lancé une pétition l'automne dernier contre l'implantation des techniques et des pédagogies expérimentales dans les écoles primaires, comme le Brain Gym et les massages. Si je ne connais pas cette personne, le texte de cette pétition est très intéressant:

CONSIDÉRANT QUE des techniques et des pédagogies expérimentales s’implantent dans les écoles primaires alors que plusieurs sont classées à risque par des organismes d’études des sectes;
CONSIDÉRANT QUE l’exercice de telles pratiques en milieu scolaire constitue une atteinte à la liberté de conscience et de religion;

CONSIDÉRANT QUE les enfants devraient recevoir une formation basée sur la pensée critique et non la pensée magique;
CONSIDÉRANT QUE l’État ne doit pas financer des groupes faisant la promotion de techniques et d’approches pédagogiques non approuvées par le ministère de l’Éducation du loisir et du sport;
CONSIDÉRANT QUE les enfants ont droit à une éducation de qualité et ne devraient pas servir de cobayes;

Nous, soussignés, demandons que le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, adopte des dispositions afin que les techniques et pédagogies expérimentales telles que massage en classe, Brain Gym, programmation neuro-linguistique, yoga, Racines de l'empathie, etc. ne puissent être utilisées dans les écoles publiques québécoises et que les enseignants soient formés et informés en ce sens.


Comment ne pas être consterné par la réponse de la ministre Marie Malavoy: selon elle, c'est aux conseils d'établissement de «déterminer les services et activités les plus adaptés pour le mieux-être des élèves.» À quoi sert le MELS dans ce cas? Si je comprends bien, on ne peut pas enseigner le créationnisme dans nos écoles, mais on peut par contre demander aux jeunes de se frotter les oreilles avec les doigts dans le but de «stimuler la conformation réticulaire du cerveau pour rendre inaudibles les sons distrayants et non pertinentes et rendre audible le langage.» Du grand n'importe-quoi!

Enfin, comment ne pas s'interroger sur la carences  quant à la formation des maitres et sur les facultés des sciences de l'éducation qui ne semblent pas si scientifiques finalement? Jamais en médecine on n'accepterait ce qui se passe actuellement en éducation au Québec.


Ici, la table des matière et un aperçu de Légendes pédagogiques
Ici, l'introduction de Légendes pédagogiques


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Juste comme on en parle, cet article de Radio-Canada sur l'effet Mozart.

À noter, aucune étude sérieuse n'a prouvé que l'écoute ou la pratique de la musique, de quelque nature que ce soit, améliore le développement cognitif des enfants. Ce mythe a la dent très dure.

17 décembre 2013

Bientôt un cours de criminologie dans une école secondaire près de chez vous

Dans la foulée de la publication du rapport du coroner sur ce qu'il est convenu d'appeler l'«Affaire Villanueva», certaines recommandations s'adressent spécifiquement au MELS. Les voici:

À la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport :
·         de promouvoir, dès le début du secondaire :
  • - l’enseignement de la façon adéquate de se comporter avec un policier lors d’une interpellation pour une infraction criminelle ou pénale et la façon de contester une accusation criminelle ou un constat d’infraction;
  • - l’enseignement de la façon adéquate de se comporter en cas d’interpellation ou d’arrestation d’un tiers, en insistant sur les risques d’intervenir et sur la perception que les policiers peuvent avoir d’une telle intervention;
  • - l’enseignement des conséquences pour une personne qui refuse d’établir son identité à la demande d’un agent de la paix qui l’informe qu’elle a commis une infraction.
Après vouloir leur montrer à ne pas se noyer dans une piscine avec un gilet de sauvetage, il faudra maintenant inculquer aux jeunes des notions de droit et de respect des forces de l'ordre.

Pas de problème. Peut-on faire des examens pratiques?

14 décembre 2013

À propros des jeunes et de l'écriture

On reproche souvent aux jeunes d'écrire des textes bourrés d'erreurs. Ce que je remarque de plus en plus, c'est cette situation existe pour deux raisons.

Un manque d'effort certain quant à l'idée de se corriger. Se doter d'une méthode de correction efficace, chercher l'orthographe d'un mot au dictionnaire... Tout cela est trop exigeant pour des élèves qui se contentent de réussir avec un score moyen que leur permettent d'atteindre des grilles de correction complaisantes.

Et puis, il y a cette incompréhension complète quant aux mécanismes de la langue. Je ne parle pas de toutes ces opérations de la nouvelle grammaire! Mes jeunes sont des professionnels du repérage des GNs, des GV et des GFCP, à condition qu'on ne mélange pas l'ordre de ces constituants d'une phrase. Non, ils ne savent pas différencier un adjectif d'un nom ou d'un verbe. Ils écrivent «Ils sont servient» parce que «servient» est un verbe selon eux.

Voilà. La classe des mots et des groupes de mots.

10 décembre 2013

Lire à ses enfants égale réussite?

Parfois, dans les journaux, on nous rapporte les résultats de certaines études en éducation et il est difficile de les commenter justement, n'ayant pas accès directement à celles-ci.

Le dernier cas en lice est cette étude dont traite cet article du Soleil. Selon des chercheures de l'Institut de la statistique du Québec, lire des histoires en bas âge donnerait aux jeunes de bons résultats en français mais aussi en mathématiques:

«Les résultats de leur enquête sont probants : les élèves du primaire à qui un adulte faisait la lecture quotidiennement vers l'âge d'un an et demi «sont proportionnellement plus nombreux à avoir réussi l'épreuve de mathématique [du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport] que les autres enfants», concluent les auteurs. Cette proportion est de 82 % contre 74 % pour les jeunes dont les parents ont moins souvent tourné les pages d'un livre avec eux.»

Là où j'ai un problème, c'est que je me demande si c'est le fait qu'on ait lu des histoires à ces jeunes qui explique leur réussite. C'est le danger de ces relations de cause à effet basées sur deux variables. Ce succès ne serait-ce pas plutôt causé par le fait d'avoir des parents prêts à consacrer du temps à leur enfant? Le fait de lire des histoires ne montre-t-il pas un engagement significatif de la part de ceux-ci? A-t-on mesuré l'effet d'autres formes d'engagement parental? Par exemple, qu'en est-il d'un parent qui fait du sport quotidiennement avec son enfant?

Une autre partie de cette étude me laisse songeur. Il faut lire tout ce paragraphe pour comprendre mes interrogations:

«Si la télévision et les jeux vidéo n'ont pas d'impact sur la performance des élèves de sixième année en mathématique, en revanche, les heures passées à naviguer sur Internet peuvent faire la différence. C'est du moins ce que concluent les chercheuses de l'Institut de la statistique (ISQ) Karine Tétreault et Hélène Desrosiers, dans un fascicule publié lundi. Cette dernière explique que l'analyse a permis de démontrer que les enfants qui passent moins d'une heure ou plus de six heures par semaine devant l'ordinateur pour autre chose que des activités liées à l'école sont moins nombreux à avoir réussi l'épreuve obligatoire de sixième année. «Ça sonne une petite cloche», lance Mme Desrosiers, affirmant que cela signifie probablement que les jeunes consacrent ainsi probablement moins de temps à la lecture ou peut-être même à leurs devoirs. Contrairement à la croyance populaire, ses analyses n'ont cependant pas pu démontrer que la télévision et les jeux vidéo avaient un impact négatif sur la réussite en mathématique.»

J'aimerais ça entendre le son de cette cloche. Est-ce à dire qu'un enfant peut passer des heures et des heures devant la télé ou des jeux vidéo sans aucun problème? En quoi l'effet d'internet est-il différent?


07 décembre 2013

Tests PISA: qui dit vraiment vrai?

Les résultats des PISA 2012 sont sortis tout récemment (PISA: Programme international pour le suivi des acquis des élèves de l'OCDE). Et il n'en fallait pas plus pour qu'Alain Dubuc de La Presse y aille avec son analyse intitulée Est-ce vraiment vrai? en affirmant: «Le système d’éducation québécois est clairement un des meilleurs au monde.»

Euh? M. Dubuc a-t-il seulement lu avec attention le document À la hauteur: Résultats canadiens de l'étude PISA de l'OCDE (ici) du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada et du gouvernement canadien? Si le Québec s'en tire encore généralement très bien en 2012 au niveau international, il en va autrement de la performance québécoise au fil des années comme le montrent ces chiffres:

Maths:     536 points en 2003, 540 points en 2006, 543 points en 2009 et 536 points en 2012. (p. 77)
Lecture:   536 en 2000, 525 points en 2003, 522 points en 2006, 522 points en 2009 et 520 points en 2012. (p. 91)
Science:   531 en science 2006, 524 points en 2009 et 516 points en 2012. (p. 91)

Alors qu'il écrit «Depuis que le PISA a été lancé, en l’an 2000, le Québec ''pète des scores''», M. Dubuc a-t-il réalisé que le Québec connait en 2012 une baisse dans les trois volets évalués? Quand il souligne que les scores des élèves québécois sont ceux des élèves de la réforme, réalise-t-il que ce sont ces derniers qui ont généralement obtenu les moins bons scores depuis 12 ans? On dirait bien que non. Dans les faits, à part les mathématiques, le Québec connait des baisses plus importantes que la moyenne canadienne.

Plus préoccupant encore, dans la conclusion du document que j'ai précédemment cité, on peut lire: «Les résultats du PISA 2012 confirment la réussite de nos système d'éducation d'un point de vue international. En effet, le Canada demeure dans le petit groupe des pays les plus performants, et atteint ce classement tout en ayant, dans l’ensemble, des résultats équitables. Cependant, la tendance relative à la diminution des scores moyens notés dans les cycles passés du PISA se confirme en 2012.» (p. 49)

En conclusion, M. Dubuc ne voit pas l'urgence d'adopter des changements importants en éducation: «Pour l’améliorer, nous ne sommes pas dans les déchirements existentiels, mais dans le fine tuning* Ah bon?  Pourtant, selon les mêmes experts, cette tendance canadienne à la baisse «pourrait signifier clairement le besoin, pour les ministère de l'Éducation et les partenaires de l'Éducation, de travailler ensemble pour valider les politiques actuelles en éducation. les résultats d'apprentissage, les méthodes et les stratégies pédagogiques ainsi que d'affecter les ressources nécessaires pour s'assurer de continuer de satisfaire aux besoins de notre société.» (p. 50)

Qui dit «vraiment vrai» finalement?

* Fine tuning? J'imagine que c'est la pauvreté du vocabulaire de M. Dubuc qui l'oblige à cet anglicisme...