12 février 2015

Réforme: toujours blâmer les autres

Dans une lettre publiée dans La Presse le 12 février dernier, Mme  Yolande Nantel, qui se définit comme une directrice générale de commission scolaire ayant enseigné de nombreuses années, vient à la défense de la réforme, notamment en ce qui à trait à l’enseignement du français. 

Elle fait alors référence à un document qui s’appelle La progression des apprentissages et qui décrit le contenu notionnel du Programme de formation de l'école québécoise devant être systématiquement enseigné. On a vu dans ce billet précédent ce que je pense de celui-ci.

Mme Nantel blâme également des résistances syndicales et le manque de volonté de formation des enseignants pour expliquer les échecs d’une réforme dont elle dit des fondements et des principes directeurs qu’ils «sont solides et inspirants».  Se souvient-elle qu’au secondaire, l’implantation de la réforme a été retardée d’un an parce que le MELS n’arrivait pas à suivre le rythme qu’il avait pourtant imposé aux enseignants ? Se souvient-elle que les programmes disciplinaires arrivaient en pièces détachées dans les mains des enseignants au fur et à mesure de la première année d’implantation au secondaire? Se souvient-elle qu’à la même époque, durant les formations, les conseillers pédagogiques semblaient en savoir autant que les enseignants qu’ils devaient former et n’avaient aucun matériel à leur proposer?

On pourra bien me parler des positions syndicales  à l'époque, il n'en demeure pas moins qu'au secondaire, les enseignants n'ont rien boycotté parce que ces formations avaient une très faible crédibilité.

Pour ma part, je critiquerais davantage nos décideurs qui ne semblent jamais avoir écouté ceux qui avaient une connaissance concrète de la réalité du terrain. Ces mêmes décideurs qui avaient la responsabilité d’appliquer cette réforme et d’assurer la formation de leur personnel et qui, aujourd’hui, dans une critique partisane et limitée, ne trouvent rien de mieux que de s’en prendre à ceux qu’ils dirigeaient.

06 février 2015

Échec de la réforme et maitrise du français: d'autres facteurs à considérer

Depuis des années, j'estime que le Renouveau pédagogique ne règlerait en rien les difficultés des jeunes Québécois quant à la maitrise la langue française. Force est de constater malheureusement que cette opinion était fondée.

En effet, le rapport de l’équipe dirigée par le professeur-chercheur à l'Université Laval, Simon Larose, montre qu’en français, au secondaire, malgré l’ajout de 150 heures d’enseignement par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), ce qu’on a appelé la «réforme» n’a pas permis aux élèves d’améliorer leurs compétences et leurs connaissances. De plus, toujours en français, en orthographe, à l'examen d’écriture de cinquième secondaire du ministère, ces derniers affichent désormais un taux de réussite de 56% comparativement à 61,8% pour les enfants d'avant la réforme.

Ce que cette étude ne dit pas cependant, c’est que les conditions de passation de cet examen ont été considérablement «allégées» au fil du temps, donnant pourtant l’occasion aux élèves de faire moins de fautes, ce qui n’a pas été le cas. Ce qu’elle ne dit pas aussi est que bien des écoles ont ajouté - en vain - 50 heures de plus en français de cinquième secondaire afin de combler les lacunes des années antérieures pour que plus d’élèves réussissent cette épreuve.

On doit, à juste titre, s’interroger sur les raisons de cet échec et ne pas balayer la poussière sous le tapis comme certains intervenants semblent pressés de vouloir le faire. Des conceptions de l’apprentissage ne s’appliquant pas à tous les élèves, des mesures imposées aux enseignants laissés sans véritable formation, matériel et encadrement ; toutes ces choses ont déjà été mentionnées.

Par contre, on aurait tort en français d’attribuer cet échec fort prévisible de la maitrise de la grammaire par les élèves uniquement à la réforme. Divers autres facteurs doivent être pris en compte et corrigés si on veut que nos enfants maitrisent mieux cette langue.

Revoir la progression des apprentissages

Tout d’abord, attardons-nous à ce que l’on appelle la Progression des apprentissages. Quelques années après le début de la réforme, le MELS accouchait finalement, à la suite des demandes répétées des enseignants, d’un document indiquant à quel moment les apprentissages des élèves devaient être vus et maitrisés durant leur parcours scolaire. Celui-ci était fondé sur différentes études et s’intéressaient beaucoup à la maturité linguistique des jeunes, c’est-à-dire au moment optimal où un jeune pouvait mieux maitriser certains concepts relatifs à la langue.

Malheureusement, aujourd’hui, sur le terrain, différents constats s’imposent. Le principal est à l’effet que beaucoup de notions sont abordées ou évaluées trop tard dans le cheminement d’un élève. À la blague, des collègues ont compris qu’en première secondaire, on ne corrige pas grand-chose dans un texte d’un élève alors qu’en cinquième, on se retrouve avec des classes composées de jeunes habitués à réussir sans faire d’efforts et à qui on doit enseigner une foule de notions qu’ils devront maitriser dans un temps trop court.

Ainsi, est-il normal, par exemple, que la maitrise des participes passés avec avoir ne soit sanctionnée qu’à la fin de la deuxième secondaire? Faut-il répartir autrement les notions de grammaire dans le parcours d’un jeune ? Je crois que oui, quitte à le brusquer un peu. On y parvenait autrefois et, manifestement, ce qu’on impose aujourd’hui aux enseignants – parce que certains d’entre eux se sont fait rappeler à l’ordre parce qu’ils étaient trop exigeants - ne fonctionne pas.

Revoir les grilles d’évaluation

Un autre élément expliquant la faible maitrise du français chez les jeunes élèves québécois, ce sont ces grilles de correction. Il faut en avoir une sous les yeux pour bien comprendre pourquoi certains élèves peuvent écrire un texte truffé d’erreurs et, malgré tout, s’en tirer haut la main.

Une telle situation est tout d’abord possible parce que la portion accordée à la maitrise de la grammaire ne représente généralement que 20% de la note d’un texte. Ensuite, parce qu’une erreur n’entraine pas automatiquement la perte d’un point. Par exemple, un élève effectuant 28 erreurs dans un texte de 276 mots (soit une erreur aux dix mots) aura malgré tout 10 sur 20 en grammaire. Enfin, il ne faut pas oublier qu’on ne doit pénaliser un élève qu’en tenant compte de la Progression des apprentissages et, au premier cycle du secondaire, on ne peut pas dire que la barre soit très haute. Les jeunes élèves connaissant très bien ce fait, faut-il s’étonner qu’ils maitrisent si mal leur grammaire puisqu’au fond, ils ont compris qu’elle ne compte tout simplement pas.

Revoir la place véritable de la grammaire dans la note de français

Tout en poursuivant cette réflexion sur les grilles de correction, il faudrait aussi s’interroger sur la véritable place de la grammaire dans une note de français. En première secondaire, celle-ci ne compte au fond au maximum que pour 20% du volet écriture qui, lui, ne vaut que 40% de la note au bulletin. Donc, au final, la grammaire ne vaut qu’un faible 8%. Le volet oral en vaut plus du double, c’est tout dire!

Pis encore, il faut également réaliser que cette partie grammaire dans une production écrite a peu de liens avec l’ensemble des notions grammaticales enseignées à l’école. Dans un texte, un élève peut très bien réussir en s’en tenant à une écriture rudimentaire ne faisant pas appel à des règles plus complexes. Inutile pour lui alors de connaître certaines règles moins fréquentes de la langue française puisqu’il s’assurera de ne pas les employer dans son texte. À cela, ajoutons, même si on l’oublie trop souvent, qu’un élève a droit à une grammaire et à un dictionnaire lors de toute production écrite !  Dans la réalité, en écriture, un élève «compétent» n’a pas besoin d’être très «connaissant».

La «nouvelle» grammaire

Un autre élément qui a changé en même temps que la réforme, c’est la façon d’enseigner la grammaire et la terminologie qui y est rattachée. Or, qu’en est-il de la maitrise de ces concepts par nos jeunes ? Manifestement, ce changement n’a rien amélioré. En première secondaire, dans mes classes d’un programme international, certains élèves confondent tout et peinent à distinguer un nom d’un verbe. Ils accordent les mots au hasard, sans tenir compte de leur groupe d’appartenance. «Vraiment» se termine ainsi parfois avec un «s» quand il est au pluriel…

Progression des apprentissages. Évaluation. Nouvelle grammaire. Beaucoup de changements en enseignement du français et pourtant les choses sont loin de s’être améliorées. Pour un enseignant ayant plus de 20 ans d’expérience, j’ai même l’impression qu’elles se dégradent.  Quand le ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, affirme «« Plus ça va aller, mieux ça va aller», je crois malheureusement qu’il n’écoute pas les enseignants d’expérience qui posent un solide diagnostic sur la santé de l’école québécoise. Il est comme ce médecin qui nie l’état de son patient et s’entête à poursuivre un traitement qui ne fonctionne pas. Notre école est toujours malade, docteur. La pensée magique et l’effet placebo ne suffiront pas.