13 avril 2013

Les analphabètes du clavier

Dans ce texte du Soleil, on parle du fait que certains états américains songent à laisser de côté l'écriture scripte pour accorder plus d'importance au clavier.

Réaction très mitigée de ma part, surtout quand je lis ce passage:

«Ce dernier [ Thierry Karsenti, professeur à l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l'information et de la communication en éducation.] considère que le virage qui s'amorce dans les écoles américaines est «intéressant», tout en insistant sur l'importance de bien maîtriser les outils plutôt que de passer des heures à apprendre une méthode de doigté pour le clavier.

«Quand je vois la vitesse à laquelle les jeunes envoient des textos... je me demande est-ce que les élèves ont vraiment besoin de ça?» lance-t-il.

M. Karsenti pense que les élèves devraient plutôt apprendre à réfléchir à l'aide du correcteur automatique d'un logiciel de traitement de texte, par exemple.

«Au Québec, on s'obstine à ne pas utiliser les nouvelles technologies pour apprendre à mieux écrire, même si on se plaint de la qualité du français depuis des décennies. Avec un correcteur, l'élève reçoit un feedback pour chaque mot qu'il écrit. Il n'y a pas un prof sur la terre qui peut battre ça. Le logiciel souligne les fautes et va amener l'élève à réfléchir, à se poser des questions au fur et à mesure qu'il écrit.»

Euh... j'enseigne depuis quelques années à des groupes où chaque élève possède un portable. Rares sont ceux  qui maitrisent leur doigté. On prend généralement pour acquis qu'ils le connaissent alors qu'il n'en est rien. À tel point que je les considère comme des analphabètes du clavier. Cela a pour conséquence qu'il leur faut beaucoup plus de temps pour taper un texte à l'ordinateur que de l'écrire à la main. L'exercice est si fastidieux parfois qu'ils finissent par négliger la correction de celui-ci.
 
M. Karsenti note avec quelle rapidité les jeunes expédient des textos.  Il oublie par contre qu'ils utilisent des raccourcis et se soucient peu de la qualité de la langue lors de ces échanges. S'ils devaient respecter l'orthographe et la grammaire, leur vitesse de rédaction serait bien plus lente. Alors, désolé, mais contrairement à ce que croit cet universitaire, oui, il faudrait amener les élèves québécois  à «de passer des heures à apprendre une méthode de doigté pour le clavier».


Par ailleurs, M. Karsenti vante les logiciels de correction: «Avec un correcteur, l'élève reçoit un feedback pour chaque mot qu'il écrit. Il n'y a pas un prof sur la terre qui peut battre ça».  Pour «apprendre à réfléchir à l'aide du correcteur automatique d'un logiciel de traitement de texte» comme l'écrit ce chercheur, encore faut-il que les élèves connaissent les mécanismes de la langue et les maitrisent, ce qui n'est manifestement pas toujours le cas. Et une partie de cet apprentissage se fait, pour l'instant, plus simplement à la main et avec un enseignant qu'avec un simple  ordinateur.  Mes élèves, même avec un logiciel de correction, peinent à comprendre leurs erreurs et l'apport de leur prof leur est encore nécessaire, pour ne pas dire essentiel.


Enfin, au risque de surprendre bien des gens, mon expérience m'a surtout montré que les élèves corrigent actuellement mieux leurs textes quand ils les écrivent à la main qu'à l'ordinateur. Ils ont une trop grande confiance en la machine qu'ils utilisent ainsi qu'une méconnaissance certaine des outils de correction et de la langue française. 

Je ne suis pas contre les avancées des nouvelles technologiques, la preuve en étant que j'oeuvre au sein d' un programme où les élèves travaillent avec des portables. Néanmoins, je crois qu'il est préférable, pour le bien de nos jeunes, de toujours garder un esprit critique et de ne pas surestimer l'apport de celles-ci. Tout changement en éducation doit être fait prudemment et être accompagné d'un encadrement qui permettra l'atteinte des objectifs qu'on s'est fixés. L'histoire récente de l'éducation au Québec nous a assez démontré les risques des improvisations pédagogiques. La question n'est pas tant de savoir si on doit laisser davantage de place au clavier dans nos écoles que la qualité de cette place elle-même et de l'accompagnement qu'on y consacrera. Et certains raccourcis dans la pensée de M. Karsenti inquiètent l'enseignant d'expérience que je suis.

4 commentaires:

Jonathan Livingston a dit…

J'ai recours dans mon enseignement depuis quelques mois à des portables et des correcteurs. Je seconde!

Certains de mes élèves sont des virtuoses du clavier, il en reste plusieurs qui peinent comme je le faisais avec mon premier clavier.

Les jeunes laissent moins de fautes d'usage, mais à les voir laisser la machine penser pour eux, sans y mettre aucune attention, on peine à voir le gain réel.

Avec des correcteurs performants, les fautes d'accord sont plus rares aussi.

J'utilise souvent depuis peu, pour moi-même, Antidote pour m'économiser, mais je constate à l'occasion qu'un des meilleurs correcteurs analyse certaines situations incorrectement: il met des fautes où il n'y en a pas, incite donc à l'erreur et en laisse des évidentes, car le correcteur ne sait toujours pas lire le sens.

Ce sont surtout des outils commodes pour des gens qui ont déjà une bonne base qui pallient l'inattention et un travail fastidieux de surveillance corrective. Je conseillerais de relire ses textes même après une correction avec l'outil. On a souvent des surprises.

Pour l'apprentissage, quant à moi, l'usage des traitements de texte accompagnés de correcteurs devrait rester occasionnel.

Car les jeunes avec un portable sont tranquilles, mais aussi trop souvent paresseux!

Anonyme a dit…

Je suis étonnée qu'un chercheur ne sache pas que le doigté au clavier nécessite 10 doigts et le SMS 2 pouces... Les jeunes savent peu utiliser un clavier.

Je suis contre l'utilisation des ordinateurs à temps plein, les élèves voient l'ordinateur comme un moyen d'en faire moins.

Marâtre

Anonyme a dit…

Mon expérience avec les travaux et le nombre de fautes est à peu près la même. J'ignore ce qu'il en est des travaux écrits en classe à l'ordinateur, mais il est très clair que mes étudiants sont plus attentifs à ce qu'ils écrivent à la main, en classe, qu'à ce qu'ils écrivent à la maison, à l'ordi, même révisé par le correcteur orthographique de base dont sont dotés la plupart des traitements de texte ainsi que par le dictionnaire maman. Non seulement y retrouvai-je moins d'erreurs, mais la phrase même se tient mieux, l'expression est plus réfléchie : j'irais presque jusqu'à dire qu'écrire à la main leur permet justement de se distancier de l'ordinateur avec lequel ils ont développé un rapport ludique et spontané qui déteint sur leur écriture, mais je ne peux fonder cela que sur une impression difficile à vérifier.
J'en profite au passage pour signaler combien je dois à mon cours de secondaire où on apprenait à taper à la machine à écrire. J'ai remercié mille fois mon ancienne école pour ce cours ennuyeux qui m'aura été si utile pas la suite, et l'est encore aujourd'hui. Et j'ajoute qu'il me fait presque plaisir pour une énième fois d'être témoin des errances absurdes d'un pédagogo qui ne sait visiblement pas de quoi il parle.

Le professeur masqué a dit…

Jonathan: nous avons les mêmes pensées.

Marâtre: Ouaip, moi aussi, j'ai été étonné de voir ce chercheur se pâmer sur la capacité des jeunes à envoyer des textos à deux doigts, le tout bourré d'erreurs et de raccourcis...

Profquifesse: au risque de passe pour un illuminé, je crois à la mémoire de la main. Écrire à la main permet de retenir, d'incorporer physiquement, de mieux visualiser... Enfin, mon intuition.

Enfin, pour ce qui est du doigté, il vaut être carrément x x x x (censure) pour ne pas voir les avantages de maitriser celui-ci.