24 septembre 2017

La réalité d'une école secondaire surpeuplée

On a pu lire, lors de la rentrée scolaire 2017-2018, quelques textes s'intéressant à ce que vivent des écoles primaires surpeuplées au Québec. Or, la réalité d'une école surpeuplée est multiple et parfois bien différente quand on s’intéresse au secondaire.

Ce qui frappe tout d'abord l'esprit dans une école secondaire surpeuplée, c'est cette impression d'étouffement et de bruit. On retrouve ainsi des élèves partout, dans les moindres recoins. Et c'est bien normal, car certains d’entre eux ont besoin de calme et de silence. Alors, ils cherchent à s’approprier un endroit tranquille où se poser. D’autres, au contraire, ont besoin de se retrouver entre amis, entre semblables. On renforce ainsi certains groupes qui chassent les solitaires et crée des luttes pour l’espace entre «bandes» rivales. Quand il s’agit d’élèves de première secondaire, leur situation est encore plus difficile parce qu’ils ne font pas le poids devant les plus grands, solidement établis. Conquérants souvent lamentables, ils se promènent, ils cherchent, ils errent d'un endroit à un autre. Lorsqu'il fait beau, il est toujours possible pour tous les élèves de fuir à l'extérieur, mais l'hiver ramène inexorablement tous les itinérants à l'intérieur avec les conséquences qui s’ensuivent.

Ces déplacements sont parfois toute une aventure tant les corridors deviennent embouteillés. Il faut dire qu'ils n'ont pas été nécessairement conçus pour une population aussi importante. Les bousculades entre jeunes surviennent et peuvent attiser certains conflits. Pour l'élève nouveau ou gêné, il s'agit alors d'une expérience intimidante. Toute cette cohue augmente les risques de retard en classe, bien que certains élèves le seraient de toute façon. Imaginez tous ces déplacements maintenant quand une école vit selon un horaire quotidien de six périodes d'enseignement de 50 minutes chacune. Gare aussi à l'enseignant qui, comme un saumon en migration, tente de remonter le courant opposé des élèves se dirigeant vers leur classe!

Lorsqu'on dit que les jeunes sont partout dans une école, c'est aussi parce qu'il faut bien leur fournir un casier. Alors, on en installe ailleurs que dans les endroits originalement prévus à cet effet: dans les corridors, devant les classes, devant les bureaux. Cela réduit d'autant l'espace pour circuler lors des déplacements avec les conséquences que l'on peut imaginer. Parfois, l’une des solutions mises de l’avant  consiste à placer deux jeunes par casier. Il leur faut résolument des trésors d'imagination pour ranger dans cet espace exigu tout leur matériel scolaire et leurs vêtements. L'hiver, avec ses bottes et ses manteaux, devient un véritable casse-tête. Naissent d'inévitables conflits quant à l'espace occupé et il n'est pas rare que certains jeunes gardent des effets scolaires à la maison et les transportent quotidiennement.

Il est inévitable qu’une école surpeuplée soit victime d'usure prématurée. Par exemple, certains équipements, comme les toilettes, sont davantage sollicités et davantage victimes de bris ou de vandalisme.  Malgré les efforts des concierges, les lieux deviennent rapidement plus sales et les élèves leur font moins attention, d'autant plus qu'ils ne sont déjà pas très propres. 

Si, durant les heures de cours, les jeunes sont tous en classe, le diner présente de nombreuses difficultés.  Ainsi, la cafétéria n'est souvent pas assez grande pour accueillir tous les élèves en même temps. Ceux-ci mangent là où ils le peuvent: dans les corridors, dans des classes ouvertes spécialement pour eux...  En agissant de la sorte, on crée des situations où l'on risque de salir davantage des lieux qui ne sont pas prévus pour prendre un repas.

Rien ne peut chasser cette impression d'étouffement, cette impression d'être de trop dans sa propre école pour un jeune. Souvent, les élèves «squattent» la bibliothèque, mais ils y vont pour de mauvaises raisons et dérangent ceux qui veulent y travailler. Si on ne prévoit pas un nombre important de surveillants ou d'activités-midi pour occuper les élèves, ils s’occuperont eux-mêmes et le climat d'une école pourra facilement déraper. Pour éviter le tout, il arrive qu’on coupe dans la récupération pédagogique et qu’on utilise des enseignants à d'autres fins : ils deviennent des gardes de sécurité, des animateurs de jeux, des techniciens en loisirs.

Afin de permettre à tous les élèves d'avoir une place assise à la cafétéria, on a quelquefois recours au système des deux diners séparés où cohabitent des élèves en classe et ceux qui n'ont pas de cours. Enseigner dans de telles conditions peut s'avérer difficile. La porte de la classe doit impérativement demeurée fermée parce qu'il y a une importante circulation dans les corridors. Parfois, devant cette même porte, on retrouve des casiers où les jeunes s'attroupent et discutent, ce qui dérange les jeunes en apprentissage.

Une école surpeuplée signifie aussi qu'il faut maximaliser l'utilisation des locaux d'enseignement. Une façon d'y parvenir est bien sûr d'augmenter la taille des groupes. En première et deuxième secondaire, le nombre d'élèves par groupe est prescrit à un maximum de 28. Mais par la suite, seul le nombre de pupitres entrant dans une classe semble être la limite de jusqu'où l'on peut aller. Dans le cas de classes d'élèves réguliers, cela augmente d'autant les possibilités d'enseigner à un nombre plus important d'élèves en difficulté ou présentant des problématiques particulières, ce qui est tout à fait nuisible à leur réussite.

Rentabiliser l'utilisation des locaux est un véritable cauchemar pour la technicienne en organisation scolaire responsable des horaires des élèves et des enseignants. Par exemple, dans une école avec un cycle de neuf jours comprenant quatre périodes quotidiennes de 75 minutes chacune, comment utiliser au maximum, durant les 36 périodes du cycle, l'espace avec des cours ayant deux, trois, quatre, cinq, six, sept ou même huit périodes par cycle? Le résultat fait qu’un même enseignant peut avoir plusieurs locaux de classe situés loin les uns des autres, parfois même sur différents étages. On revient à cette image du professeur «saumon» remontant le courant le plus rapidement possible plusieurs fois par jour. Mais le salmonidé stressé tire en plus une valise à roulettes ou un charriot où il place tout le matériel dont il a besoin, perpétuel migrant errant d'une classe à l'autre. Avoir en sa possession une clé donnant accès à l'ascenseur devient un atout incroyable. L'enseignant devant constamment se déplacer, il lui est difficile d'accueillir ses élèves sereinement ou d'être présent après le cours pour recueillir des confidences de ceux qui vivent des moments difficiles. L'enseignant est pressé. De toutes parts.

Impossible également pour l’enseignant la possibilité d'aménager plusieurs locaux pour qu'ils reflètent sa personnalité ou sa matière. Contrairement au primaire, les salles de classe au secondaire sont anonymes, impersonnelles, souvent déprimantes. Parfois, plusieurs enseignants de différentes matières y cohabitent difficilement et manquent d'espace pour ranger le matériel propre à leur matière. 

Pour l'élève, on comprend qu’il est difficile de se sentir accueilli dans une telle classe. Le sourire chaleureux d'un enseignant a ses limites. Et puis, il lui est parfois difficile de trouver son prof quand il en a besoin. Dans quelle classe donnera-t-il sa récupération aujourd'hui?  On comprend alors que le lien élève/enseignant, si précieux parait-il quant à la réussite scolaire, en prend tout un coup.

Dans des situations extrêmes mais qui sont extrêmement fréquentes, on finit par aménager des classes dans des locaux qui ne sont pas prévus à cette fin. On agrandit de l'intérieur et, cyniquement, on se surprend à penser que la moindre garde-robe présente un potentiel intéressant... 

En éducation physique, on se retrouve souvent (toujours) devant un manque de plateaux où donner des cours. On se résout alors à aller à l'extérieur, été comme hiver, au soleil comme sous la pluie. Tout pour faire aimer l'activité physique, quoi!

En plus de ses impacts pédagogiques, la course à la rentabilisation des locaux génère des coûts qui ne sont pas toujours négligeables. Il faut prévoir une nouvelle série de dictionnaires ou des manuels pour une classe qui n'accueillera qu'un groupe de français. Il faut acheter davantage d'armoires pour y ranger le matériel qu’on a dû démultiplié et ainsi de suite.

Pour les enseignants, enfin, c'est aussi leur espace de travail qui en subit les contrecoups. Oubliez les bureaux de travail individuel pour corriger comme au cégep: bienvenue dans les locaux à aire ouverte où on les entasse parfois jusqu'à 28 et où il leur est impossible de travailler décemment. À cette ère où on leur demande d'être plus présents à l'école, on devrait au moins leur assurer des lieux où ils peuvent oeuvrer efficacement, où la moindre prise de courant ne devient pas un enjeu énergétique vital parce qu'il n'y en a que trois au total dans tout le local. Et surtout, impossible d'aller «squatter» une classe vide pour corriger en silence: il n'y en a pas. 


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À la lecture de ce texte, on peut se demander pourquoi on tolère des écoles surpeuplées, surtout dans des régions où il est évident que le nombre d'élèves et de futurs élèves ne connaitra pas de baisse prévisible. Incompétence? Mauvaise organisation? Économie de bout de chandelle? Chose certaine, je demeure convaincu que si nos décideurs devaient vivre dans les conditions dans lesquelles sont plongés nos élèves et leurs enseignants, ils seraient les premiers à se plaindre, à juste titre, et à vouloir changer les choses. On ne parle pas que de décoration ou d'architecture: on parle aussi de la réussite des jeunes.

5 commentaires:

Lucie a dit…

Il suffit d'être patient: le célèbre trio du Lab-école saura trouver une solution à toutes ces problématiques. ;-)

Le professeur masqué a dit…

Oh que j'y avais pensé de les inclure dans mon texte, ces «Three amigos.» de l'éducation....

Joseph a dit…

La solution est simple, faites comme moi et venez travailler en région... Nous avons d'autres problèmes, mais vous allez avoir votre classe à vous tout seul.

Le professeur masqué a dit…

Parfois, en région, il n'y a pas d'école du tout...

Dédé a dit…

J'ai déjà eu 39 élèves dans une classe de français en 4e secondaire. Un peu plus et il fallait en suspendre quelques uns au plafond tellement on était tassés.

Les contraintes budgétaires et organisationnelles ont toujours été et seront toujours un frein à l'évolution vers une école centrée sur le bien-être de ceux qui y vivent au quotidien.