07 octobre 2017

École à la maison et projet de loi 144

Il existe actuellement un important débat en éducation qui se tient dans l'indifférence publique la plus totale: celui entourant l'adoption du projet de loi 144 portant sur la scolarisation des enfants à la maison. Ce débat soulève bien des questions en ce qui a trait à la notion de vie en société, à la liberté des choix que peuvent effectuer les parents mais aussi au droit des jeunes à une éducation pleine et entière.

Tout d'abord, reconnaissons qu'il existe des parents, véritablement soucieux de l'éducation et du bien-être de leurs enfants, qui choisissent cette option. On les entend sur les tribunes, on les voit dans les médias. Ils sont convaincants et ils sauront raisonnablement déployer tous les efforts nécessaires pour assurer l'éducation de leur progéniture jusqu'à la fin du primaire.  Par contre, il est illusoire de croire qu'ils pourront couvrir tous les contenus des cours dispensés à l'école secondaire. Les programmes sont trop chargés, trop complexes.

Si j'avais une première critique à formuler par rapport à la scolarisation à la maison, c'est qu'elle n'assure pas toujours la socialisation de l'enfant, qui est pourtant un des objectifs du programme scolaire québécois. La deuxième serait que j'éprouve des doutes parfois quant au contrôle des apprentissages que les jeunes réalisent.

Là où je décroche cependant, c'est lorsque entrent en jeu des considérations religieuses ou linguistiques. Si l'on analyse l'origine de ce projet de loi, on comprend qu'il vise principalement à assurer la scolarisation d'enfants qui fréquentaient des écoles religieuses ne respectant pas la Loi sur l'instruction publique. Plutôt que d'obliger certains parents à respecter la LIP, on en est venu à encadrer juridiquement une situation illégale en espérant qu'ils respectent un minimum d'obligations face à leurs enfants et les ramener, si possible, dans le système scolaire. On se souviendra de ces écoles ne respectant pas les prescriptions du programme de formation, de ces écoles qui perduraient d'un gouvernement à l'autre en comptant sur l'usure du temps et dont l'attitude frisait la mauvaise foi. On se souviendra aussi de Yonanan Lowen qui poursuit la Direction de la protection de la jeunesse, la Commission scolaire La Seigneurie des Mille-Iles ainsi qu'une école et un collège hassidiques, estimant avoir été privé de l'éducation séculière de base dont il était en droit de s'attendre en vertu des lois québécoises. On pourrait aussi citer le cas de l'institut Laflèche de Joliette.

Sachant cela, l'encadrement que prévoit le projet de loi 144 sera-t-il suffisant devant certains individus qui ont manifesté un mépris évident de la loi sur une aussi longue période de temps? S'ils ont réussi à vivre en marge du système scolaire aussi longtemps, sauront-ils s'y conformer maintenant? Est-ce que le ministre de l'Éducation est conscient qu'il peut s'agir ici, encore une fois, d'une stratégie pour acheter du temps? Choisit-il lui-même cette voie consciemment pour ne pas régler ce dossier qui est une «patate chaude» politiquement à cause des dimensions religieuses qui y sont reliées? Je ne le sais pas. Le défi du législateur est ici de trouver un point d'équilibre entre le citoyen bienvaillant et et celui qui l'est moins. En adoptant une approche qui se veut constructive, M. Proulx fait publiquement le pari qu'il saura réussir là où tant d'autres ont échoué ou refusé d'intervenir. Qu'on pense entre autres à cette communauté religieuse de Joliette - bénéficiant d'une entente similaire - dont les enfants étaient suivis pat une commission scolaire et dont les résultats scolaires des jeunes étaient désastreux.

De nombreux éléments problématiques existent aussi quant à ce que propose le gouvernement. Ainsi, si chaque enfant sera soumis à une évaluation annuelle, les conditions de celle-ci restent à déterminer. S'agira-t-il d'examens similaires à ceux d'une commission scolaire ou du ministère? S'agira-t-il d'un porte-folio? Et les commissions scolaires bénéficieront-elles des ressources suffisantes pour effectuer le suivi de tous ces enfants? Et dans quelle langue s'effectueront ces apprentissages? Le projet de loi 144 ne prévoit aucune obligation à ce sujet. Si le ministre Proulx indique - à juste titre - que rien n'obligeait précédemment que les apprentissages à la maison se fassent en français, pourquoi ne saisit-il pas cette opportunité de réaffirmer l'esprit de la loi 101 en matière d'éducation?



2 commentaires:

Franz a dit…

Bonjour,

Petite parenthèse cocasse : c’est en faisant du ménage sur mon vieux disque dur externe, dossier des Favoris, que j’ai retrouvé l’adresse de votre blogue. Je le visitais il y a déjà dix ans. C’est comme voyager dans le temps, en ce jour pluvieux de l’Action de Grâces…

Votre article ci-dessus est bien intéressant. Si possible, pourriez-vous élaborer davantage lorsque vous affirmez : Par contre, il est illusoire de croire qu'ils pourront couvrir tous les contenus des cours dispensés à l'école secondaire. Les programmes sont trop chargés, trop complexes.

Je connais personnellement un pasteur évangélique qui a fait l’école à domicile à ses quatre enfants, de la maternelle jusqu’en secondaire 4 inclusivement, et je peux vous assurer que tous les quatre ont été des premiers de classe dans leurs programmes collégiaux et universitaires respectifs. La plage d’âges de ses enfants va de 32 à 38 ans, aujourd’hui.

J’ignore si ce cas représente plus l’exception que la règle ou bien le contexte a drastiquement changé depuis la réforme. Tout éclaircissement sur la réalité d’aujourd’hui sera apprécié.

Merci,
Franz

Le professeur masqué a dit…

Rebonjour!

Honnêtement, les programmes de formation sont devenus tellement compliqués que bien peu de parents arriveraient aujourd'hui à enseigner les maths, les sciences et le français de cinquième secondaire, à mon avis. Qu'il y ait des exceptions, c'est bien possible.