La semaine dernière, le ministre de l’Éducation du Québec, Sébastien Proulx, a lancé un livre intitulé «Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire». Il serait bien difficile de lui donner tort sur ce point puisque la maitrise d’une langue est plus qu’une compétence : elle est un espace d’épanouissement, de pensée et de liberté. Il serait également difficile de soutenir que la culture générale et la littérature, comme il l’affirme, ne sont pas nécessaires à la formation des jeunes et moins jeunes.
Non, ce sont bien
d’autres points soulevés dans ce long texte de 144 pages qui m’interpellent et
me questionnent.
Ambiguïté sur le statut de ce livre
La première
interrogation qui vient à l’esprit à propos de cet ouvrage est bien sûr son
statut : comment peut-on faire abstraction du fait que son auteur, qui veut
convier le monde scolaire à un dialogue, soit aussi un ministre de l’Éducation
et, qui plus est, un ministre qui sera en élection dans sept mois? M. Proulx affirme
ne pas avoir voulu rédiger un plan de travail, un programme électoral ou un
bilan (p. 12), mais
ce texte est un peu tout cela à la fois. Comment considérer ses propos comme
ceux d’un simple observateur du monde scolaire alors qu’il en est le principal
décideur? S’installe un certain malaise et on ne cesse de se demander «Qui
parle?» et «Que nous réserve-t-il pour l’avenir?»
Dans la même veine, et
de façon plus générale, on en vient à s’interroger à savoir quelles sont les
grandes orientations qui guident le parti Libéral depuis son élection il y a
près de quatre ans. Celles de son programme électoral qu’il a jeté aux oubliettes?
Celles d’un des prédécesseurs de M. Proulx qui affirmait qu’il n’y aurait pas
un enfant qui allait mourir de ne pas avoir de nouveaux livres? Celles de la
nouvelle politique de la réussite éducative que ce ministre a adoptée en juin
dernier et que certains analystes ont qualifiée de décevante?
On ne le sait plus. Et
pourtant, toute cette question est fondamentale si on veut assurer un
développement cohérent et suivi des jeunes qui fréquentent nos écoles.
Une vision déchirée du système scolaire
Dans de nombreux
passages, le ministre Proulx dépeint le système scolaire actuel de façon quasi idyllique,
suggérant même d’ouvrir des écoles made in
Québec à travers la planète: «Notre école est reconnue, nos méthodes sont
éprouvées, nous sommes parmi les meilleurs au monde dans bien des
disciplinaires scolaires, d’autres enfants ou des adultes apprenants seraient
choyés de recevoir notre diplôme à l’étranger.» (p. 52) Il
souligne également que le Québec semble bien se tirer d’affaire si on se base
sur les résultats des tests PISA en 2015. (pp 72-73)
Alors, pourquoi
vouloir refaire tant de choses si le système scolaire québécois va si bien?
Comment peut-on vouloir exporter notre expertise si on l’estime déficiente? Et
surtout comment avoir oublié que les résultats des tests PISA sont, de l’avis
même des auteurs de cette étude, à prendre avec «circonspection» à cause du faible taux de réponse des écoles québécoises qui ont été sollicitées pour
participer à celle-ci?
Le mythe du changement
Chose certaine, le
ministre Proulx est un adepte du changement. Ce mot revient régulièrement dans
son ouvrage et est toujours présenté de façon positive. Par contre, on le verra
plus loin, on retrouve moins, peu ou pas du tout dans son texte des termes comme
«enseignement explicite», «données probantes», «efficacité» ou «rigueur».
Emporté par son élan
de changement, le ministre écrit : «Il faut résister à la tentation de
dire : ‘’Il faut être prudent. Je ne ferai rien de différent.’’» (p. 13) Il affirme même que le ministère qu’il dirige
ne doit pas «punir les rêveurs». (p. 58) M. Proulx utilise par ailleurs des termes durs pour
décrire les gens réfractaires à la nouveauté, les qualifiant de «fatalistes» (p. 10) de «tenants du
statu quo» (p. 64)
ou d’«objecteurs de changements». (p. 64) Mais
que valent ces changements s’il n’est pas démontré, recherches sérieuses à
l’appui, qu’ils sont profitables pour les jeunes Québécois?
Et c’est ici qu’on
relève la première contradiction majeure de cet ouvrage. Selon le ministre, les
élèves sont des «matières à forger» (p. 17) mais «Pas à partir d’idéologies. Pas à partir de
convictions personnelles.» (p.
17) Or, bien des propos du ministre sont généralement peu ou pas étayés
sur des données probantes.
Le mythe du beau
Pour le ministre
Proulx, les jeunes du Québec «ont le droit de fréquenter de belles écoles.» (p. 39) Nous pouvons tous
en convenir, surtout quand on constate l’état actuel de plusieurs d’entre
elles. «Nous bâtirons différemment et mesurerons les résultats qui
s’ensuivront.» (p. 41)
Mais de quels résultats parle-t-on? Mais pourquoi cette frénésie du beau, puisque le ministre reconnait lui-même quelques
pages plus tard que «l’architecture seule n’a pas une incidence significative
sur la réussite des élèves»? (p.
50)
Il ne s’agit pas de
dénigrer cette volonté de bâtir ou d’aménager de belles écoles au Québec, mais
simplement de souligner que cette initiative a moins d’impact sur la réussite
scolaire que bien d’autres mesures dont l’efficacité a été largement reconnue.
Investira-t-on encore dans les structures physiques sans s’intéresser à donner
tout d’abord aux élèves l’accompagnement et les services dont ils ont besoin
pour leur réussite?
Des exigences spécifiques à l’égard des
enseignants
Pour le ministre
Proulx, les enseignants ont un statut spécial. Ils font un peu plus que les
autres employés de l’État en ce sens qu’ils «façonnent […] notre avenir.» (p. 31) Ce sont des
«vocations qui tendent vers un but commun.» (p. 66) Ah! la fameuse vocation… que d’idées
a-t-on lancées en ton nom!
C’est pour ces raisons
que certaines exigences spécifiques doivent s’appliquer à ceux qui oeuvrent en
éducation, notamment en ce qui a trait à la langue parlée et écrite, la
compétence professionnelle ainsi que la formation des enseignants et leur
accompagnement en début de carrière. (p. 31) Pourtant, en quoi
la qualité de la langue ou la compétence professionnelle serait-elle moins
importante pour tout autre fonctionnaire? Ce dernier doit-il avoir moins la
vocation pour son emploi? Accepterait-on des infirmières, des biologistes ou
des procureurs moins compétents que devraient l’être les enseignants?
Voici concrètement
comment se traduiraient quelques-unes de ces exigences.
Tout d’abord, les futurs
enseignants devraient faire partie de l’«élite pour occuper l’emploi le plus
important dans une société» (p.
65) et devraient avoir plus qu’un baccalauréat, soit une formation
universitaire de deuxième cycle leur donnant également une solide culture
générale. (p. 32) Le
ministre sait-il que le bac en enseignement actuel est d’une durée de quatre
ans comparativement à trois pour bien d’autres formations? Et, alors qu’on vit
une pénurie quant au personnel enseignant, comment pourra-t-il convaincre de
nouveaux venus de s’engager en éducation en maintenant les mêmes conditions
salariales qui sont sous la moyenne canadienne tout en ayant des exigences plus
élevées? C’est faire fi de la logique du marché de l’emploi.
De plus, le ministre
croit que les enseignants devraient voir leur développement professionnel
encadré afin de s’assurer annuellement d’un certain nombre de jours de
formation continue. (p. 32)
Encore ici, le ministre sait-il que le plan Courchesne de 2008, en ce qui a
trait au français, prévoyait une mesure similaire qui n’a jamais été appliquée?
Pourquoi avance-t-il cette idée alors que bien des directions d’école et des
commissions scolaires veillent déjà à s’assurer de la formation continue de
leur personnel, comme il le reconnait lui-même plus tard dans son texte? (p. 46)
Enfin, en ce qui a
trait à la valorisation de cette profession, le ministre croit inévitable le
fait d’aborder les notions d’évaluation des enseignants et de la création d’un
ordre professionnel pour ces derniers (p. 35), une idée qu’ils ont pourtant majoritairement
rejetée et qui serait à la fois contre-nature de leur imposer. D’ailleurs, à
plus d’une reprise, l’Office des professions du Québec n’a pas recommandé la
création d’un ordre professionnel pour les enseignants, jugeant qu’aucun danger
évident de préjudice envers le public n’a été démontré.
Ces exigences à l’égard
des enseignants, son souhait de moins parler en termes de «Conseil du trésor» (p. 35) et de «relatons
de travail» (p. 35),
sa volonté d’accorder plus de pouvoirs aux directions des écoles québécoises (p. 54) et d’augmenter le rôle du privé en éducation (p. 73), tout cela révèle que le ministre, bien que maintenant membre de la grande famille politique
libérale, a peu renié les idées qu’on défendait à la défunte ADQ et aujourd’hui
à la CAQ.
L’exercice auquel
s’est livré le ministre Proulx est ardu et louable, mais je me demande quel
était son véritable objectif. Cependant, loin d’être fataliste ou tenant du
statu quo, il me laisse avec trop d’interrogations et de malaises. Cet
ouvrage, enfin, néglige également d’aborder un élément important qu’on retrouve
pourtant dans le titre de celui-ci : l’écriture. Que propose le ministre
sur ce point? Comment peut-il accepter, entre autres, que l’examen d’écriture
de cinquième secondaire en français de son ministère permette à un élève de le réussir tout en faisant une faute tous
les 15 mots en ce qui a trait à l’orthographe d’usage et l’orthographe
grammaticale? Peut-être faudra-t-il
attendre un prochain livre de M. Proulx pour le savoir.
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