Le 5 février était la date limite pour la remise des notes du premier bulletin pour bien des écoles. Pourquoi ne pas ne pas saisir cette occasion pour également évaluer notre ministre de l’Éducation?
Des mesures sanitaires insuffisantes
Même s’il n’en est pas le premier responsable, M. Roberge a accepté l’implantation de mesures sanitaires qui ont fait que les écoles québécoises, toute proportions gardées, ont connu trois fois plus d’éclosions que celles de l’Ontario. Ce dernier se garde bien de souligner une si triste réalité. Pour certains employés scolaires et parents, le ministre a été peu soucieux de la santé des gens dont il a la responsabilité. Si ce sont des risques que le premier ministre a dit lui-même assumer, la chose est d’autant plus facile quand on ne travaille pas dans une école ou que notre enfant ne fait pas partie d’une bulle regroupant 31 autres familles.
Dès la rentrée en septembre, des enseignants ont demandé le port du masque pour les élèves et une forme d’enseignement à distance afin de limiter le nombre de contacts dans les écoles. Deux mesures que le gouvernement a dû se résoudre à prendre par la suite. Combien d’éclosions aurait-on évitées si on avait mis immédiatement de l’avant ces mesures basées sur un simple principe de précaution? On ne le saura jamais.
Des mesures pédagogiques tardives
Sur trois points, au niveau pédagogique, le ministre Roberge a été à l’encontre de certains principes élémentaires en éducation.
Tout d’abord, il ne s’est pas assuré de mettre de l’avant des interventions précoces afin de limiter ou réduire les difficultés scolaires rencontrées par les jeunes et liées à la pandémie. Ce n’est qu’en février 2021 qu’il a annoncé un programme de tutorat alors que bien des enseignants demandaient des mesures d’aide dès la rentrée 2020-2021. Ce programme, présenté comme une mesure phare, est déjà critiqué parce que trop tardif mais également insuffisant. Les sommes consacrées à celui-ci feront qu’une fraction des élèves en difficulté recevront tout au plus une dizaine d’heures en petit groupe sous la supervision d’un adulte parfois en ligne et pas nécessairement qualifié. On est loin des exigences pour qu’une telle mesure soit efficace selon les données probantes.
Ensuite, en ce qui a trait la pondération, on a compris que le ministre attendait de voir les résultats du premier bulletin pour dévoiler les changements qu’il comptait apporter à celle-ci. De plus, on note que celui-ci prend soin d’utiliser les chiffres qui l’arrangent en s’intéressant au taux de réussite et non pas aux notes des élèves. Un jeune qui passe de 81% en novembre 2019 à 62% en février 2021 est toujours en réussite. Faut-il s’en réjouir pour autant? Dans les faits, M. Roberge a ajusté son évaluation en fonction du résultat des élèves. Une pratique qu’il a lui-même dénoncée dans son livre «Et si on réinventait l’école?» Là encore, ce n’est que six mois après la rentrée que le ministre a annoncé la véritable pondération de l’année. Déjà, dès décembre, de nombreux enseignants demandaient au ministre de dévoiler celle-ci afin d’éviter le décrochage chez des élèves qui se savaient en échec. Sur le terrain, ce n’est que cette semaine qu’on a enfin pu redonner de l’espoir à certains jeunes.
Reste la question des savoirs essentiels. La liste définitive de ces derniers n’est arrivée qu’en février 2021, elle aussi. Le ministre aura beau indiquer que son ministère avait envoyé des premières indications à la rentrée, que valaient celles-ci aux yeux des enseignants quand ils savaient qu’on annonçait une nouvelle liste en cours d’année?
Pour toutes ces raisons objectives, le député de Chambly a perdu la confiance de bien des intervenants du réseau de l’éducation. Et, même si la question est délicate, certains traits de sa personnalité sont venus encore plus nuire à l’évaluation qu’on peut faire de son travail. Alors qu’il a tenté récemment de se présenter sous le jour d’«un gars ben ordinaire», le ministre est perçu, à tort ou à raison, comme un individu borné qui manque d’humilité. Son attitude, conjuguée aux nombreux retards de ses actions, fait qu’il lui reste peu de crédibilité.
En bref, le ministre Roberge n’a pas su répondre à temps à ce que la situation demandait et à se poser en véritable leader en ce qui a trait à l’éducation au Québec. Il est l'illustration parfaite du principe de Peter où «tout employé a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence». Est-ce son ministère qui est trop lourd pour remplir les commandes qu’il lui donne? Est-ce lui qui ne réussit pas à le faire fonctionner ou à lui insuffler un dynamisme suffisant? Une performance semblable a valu une rétrogradation à l’ancienne ministre de la Santé, Danielle McCann. Pourtant, M. Legault, qui a déjà occupé cette fonction et qui doit bien connaitre les exigences reliées à celle-ci, le garde en poste. Pourquoi?
L’évaluation du «chef»
Tout d’abord, le ministre Roberge a mené à l’adoption du projet de loi 40 sur l’abolition des commissions scolaires et travaille à l’implantation des maternelles à quatre ans. Deux promesses électorales majeures du programme de la CAQ. De plus, le député de Chambly a un plaisir manifeste à inaugurer des projets de nouvelles écoles, ce qui fait la fierté du premier ministre.
Il faut comprendre que MM Legault et Roberge ont une vision commune de l’éducation et que ce dernier a même été parmi les premiers partisans de la CAQ. Avant même la fondation officielle de ce parti, certains analystes sentaient bien qu’il serait le protégé de M. Legault au poste qu’il occupe actuellement.
Ce n’est pas par hasard que, devant les difficultés que ce dernier a rencontrées, le premier ministre l’a délesté d’une partie de ses responsabilités (soit l’enseignement supérieur) et lui a envoyé de précieux conseillers.
Bref, pour l’instant, pour le premier ministre, l’évaluation du ministre Roberge est positive. Celui-ci le sert très bien, d’autant plus qu’on a l’impression que cet enseignant est prêt à tout pour conserver son poste, même à jouer ce que des collègues appellent le rôle d’«enseignant de service» avec ses 17 années d’expérience.
M. Roberge est donc l’homme du premier ministre, mais pas nécessairement celui dont le monde de l’éducation, les parents et les élèves ont véritablement besoin. Combien de temps M. Legault le gardera-t-il encore en poste? Tant et aussi longtemps qu’il ne nuira pas à son parti. Tant et aussi longtemps que les électeurs des comtés qui ont porté au pouvoir des députés de la CAQ ne manifesteront pas leur insatisfaction. Les récriminations des employés scolaires, des syndicats n’auront aucun effet sur M. Legault. De même, pour celles des analystes politiques dont le vote ne compte pas aux yeux de celui qui espère être réélu en 2022.
On est bien loin des besoins des jeunes.