18 octobre 2009

Formation des futurs enseignants: Oui à des parcours universitaires différents!


Dans une lettre intitulée «La fausse pénurie d’enseignants», Maurice Tardif, professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, blâme les médias de se faire les porte-paroles de candidats mécontents de la durée de la formation pédagogique obligatoire d’une durée de quatre ans imposée aux futurs enseignants. Il affirme que ceux-ci, désireux d’obtenir rapidement un poste, invoquent une pseudo pénurie dans le monde de l’éducation et préfèrent apprendre leur métier sur le tas plutôt que de suivre une «véritable formation» en pédagogie.

Bien que cela ne soit pas clair dans ses propos, j’imagine que M. Tardif se plaint des individus qui détiennent un bacalauréat dans une matière connexe à celles enseignées dans nos écoles et qui peuvent bénéficier de nouveau depuis 2008 d’une formation universitaire d’un an – appelées «passerelles» dans le milieu scolaire - leur permettant de devenir des enseignants légalement qualifiés.

Une «pénurie» causée par une mauvaise gestion universitaire

Pour M. Tardif, le Québec ne connait pas une pénurie d’enseignants depuis 1980. Tous les directeurs des ressources humaines des commissions scolaires seront heureux de l’apprendre, eux qui cherchent inlassablement des candidats pour combler de nombreux postes vacants. Cet universitaire sait-il que l’on décerne comme jamais auparavant des tolérances d’engagement dans nos écoles, faute de personnel légalement qualifié dans certaines matières?

D’ailleurs, s’il existe une précarité chez les enseignants, comme il le montre avec raison, elle est entre autres causée par les universités qui ont formé jusqu’à la dernière minute des étudiants dans des matières qui allaient être retirées du cursus du secondaire ou qui étaient déjà en situation de surplus de candidats.

Au lieu de parler de «fausse pénurie», M. Tardif aurait dû se rendre compte que nos institutions universitaires ont mal géré le nombre d’étudiants qu’on a formés dans nos facultés des sciences de l’éducation. Et on peut se questionner sur les motivations de celles-ci quand on sait qu’elles verraient leur budget et le nombre de leurs professeurs diminuer si elles réduisaient le nombre de candidats qu’elles admettent.

Les enseignants non permanents, dont parle M. Tardif, sont souvent limités dans leur mobilité professionnelle et ne pourront venir rapidement résoudre le manque de profs dans certaines matières, contrairement à ce que celui-ci affirme.

Ceux-ci rêvent d’un poste dans une autre champ d’enseignement, mais souvent ne peuvent pas y avoir accès parce qu’ils ne sont pas légalement qualifiés. Ils ont généralement une bonne expérience de l’enseignement, mais ils ne peuvent que vivoter d’un contrat à l’autre, à moins bien sûr de retourner s’asseoir sur les bancs de l’université pendant quatre ans parce que cette dernière ne leur reconnait aucune équivalence, même pas un stage d’observation!

Voilà qui est bien plus odieux que la situation que soulève M. Tardif!

Une revendication légitime et reconnue depuis longtemps

M. Tardif affirme que la revendication de ceux qui détiennent un bacalauréat dans une matière connexe et qui veulent raccourcir leur formation pédagogique est profondément injuste. Il faut voir à quel point il les méprise en affirmant que ceux-ci «se sont sont subitement découvert une passion pour l’enseignement tout en refusant de se former pour ce travail».

Dans les faits, plusieurs des candidats se prévalant de ce raccourci enseignent déjà dans nos écoles par le biais de tolérances d’engagement et ils détiennent généralement un bac dans une discipline connexe à celle qu’ils enseignent.

Il y a quelques années, ils n’avaient qu’à compléter un simple certificat universitaire en pédagogie d’un an pour devenir légalement qualifiés. Puis, on a restreint l’accès à la profession d’enseignant en abolissant ce dernier et en exigeant l’obtention d’un bacalauréat de quatre ans.

Le retour d’une mesure permettant à ceux qui détiennent un bac dans une matière connexe de devenir légalement qualifiés sans avoir à suivre obligatoirement une formation d’une durée de quatre ans n’est que bon sens et logique. Ce qui serait injuste, c’est qu’en suivant le raisonnement de M. Tardif, on demanderait à quelqu’un de retourner quatre ans à l’université alors qu’il a déjà une meilleure connaissance du milieu scolaire ou de la matière à enseigner que bien des étudiants en enseignement !

Les exemples seraient nombreux, mais je songe immédiatement à cette collègue remplaçante qui a un bac en psychologie et qui pourra bientôt enseigner en adaptation scolaire. Elle sera tout aussi qualifiée que bien de ses collègues. Je songe aussi à ce suppléant qui a un bac en littérature et qui fera un enseignant de français ayant de solides connaissances en lettres. Et puis, quand j’y réfléchis, cela m’embête de penser qu’après un an de pédagogie, Einstein lui-même ne serait pas assez qualifié aux yeux de certains bien-pensants pour enseigner la physique au secondaire.

Une formation pédagogique et disciplinaire discutable

M. Tardif estime finalement que ceux qui refusent de suivre quatre années de formation en pédagogie à l’université veulent réduire les exigences quant à la formation des maitres et que cela ne contribue en rien à revaloriser la profession enseignante.

Aussi bien lui dire pour qu’il ne se fasse pas d’illusions: s’il veut revaloriser cette profession, qu’il veille plutôt à améliorer la formation des futurs profs dans nos universités. Certains refusent plutôt de suivre cette formation parce qu’ils estiment qu’elle est totalement inutile. Comme bien des collègues, jeunes et moins jeunes, j’estime que mon bac en enseignement du français langue maternelle a été la plus grande perte de temps de ma vie. Je dois davantage mes qualités d’enseignant de français à mon bac en communication et mon DEC en lettres. Comme bien des collègues également, ma formation universitaire a été totalement déconnectée de la réalité de nos écoles et incomplète quant à la matière disciplinaire que j’ai eue à enseigner par la suite. J’ai davantage appris sur le tas dans des stages (souvent mal encadrés par mon université), par le biais de lectures personnelles et lors de mes premières années d’enseignement grâce à des collègues plus âgés qui m’ont pris sous leur aile.

Enfin, je suis plus qu’heureux de voir des candidats d’autres facultés que celle de l’éducation «arriver» dans nos écoles. Tout d’abord, il faut savoir que les différentes formations en éducation attirent généralement les cégépiens ayant la cote R parmi les plus faibles. Ensuite, s’il existe d’excellents jeunes enseignants, je suis las de côtoyer des finissants en enseignement du français qui – après quatre années de formation universitaire - ne savent pas qui est Albert Camus ou encore que «demeurer» peut être un verbe attributif…

La pédagogie, je veux bien. Mais un peu de contenu et de connaissances ne fera pas tort à notre réseau scolaire.

11 commentaires:

Anonyme a dit…

« Ensuite, s’il existe d’excellents jeunes enseignants, je suis las de côtoyer des finissants en enseignement du français qui – après quatre années de formation universitaire - ne savent pas qui est Albert Camus ou encore que «demeurer» peut être un verbe attributif… »

Peut-être devrait-on leur « attribuer » le qualificatif de « demeuré »…

Lia a dit…

Après 15 ans de pratique et après avoir vu mon père enseigner le français au secondaire pendant plus de 30 ans, je demeure convaincue que l'acte d'enseigner demeure mystérieux et insaisissable. Certains après 4 ans d'université n'auront jamais ce petit "supplément d'âme" (je crois que c'est de Michel Berger)qui les rend à la fois crédibles aux yeux des jeunes, de leurs parents et de la direction d'école. Enseigner ne s'enseigne pas. En musique,l'équivalent serait de dire qu'il n'y a que les musiciens sortis de l'université qui sont de véritables artistes. Eh bien, pour avoir évolué aussi dans ce domaine, je peux vous dire qu'il y a de très mauvais musiciens diplômés... et de merveilleux autodidactes!

Anonyme a dit…

Voici ce que j'écrivais hier sur le site de mes cours de maitrise cheminement qualifiant (que je dois suivre pendant 5-6 ans avant d'avoir mon brevet).

Attention, ce message n'est pas politiquement correct!

Personnellement, après un bac en littérature et une maitrise en histoire, je me sens pas mal plus qualifiée pour enseigner le français qu'un diplomé en enseignement psycho pop 101 qui n'a jamais ouvert un classique de toute sa vie!...de toute façon avec la pauvre côte R qu'il faut pour entrer en enseignement, franchement...pas de quoi pavoiser!!

Bon, je suis full méga fru contre ce système à la con...le lobby des facultés d'éducation est une honte! Elles se sont offerts des programmes de 4 ans inutiles, des cours bidons payants...voilà le problème en éducation! La faiblesse des gens que l'on recrute, la non-valorisation de la profession...désolée mais les gens intelligents, brillants et qui ont des bonnes notes après le Cegep ne vont tout simplement pas étudier en éducation!! Ce n'est pas politiquement correct de le dire mais je le dis pareil!
Je suis de plus en plus déprimée des jeunes enseignants que je vois en stage dans mon école! Dire que ce sont eux qui vont enseigner à mes enfants! Des profs d'univers social qui montrent "Fascination" à leurs élèves (quand ce n'est pas La momie 2) et qui pensent que l'on dit vraiment des chevals...si c'est ça que donne le BAC de 4 ans...j'aime mieux m'en passer...avoir le tour dans une classe, je suis, encore une fois, mille fois désolée, mais ça ne s'apprend pas! Avoir de la culture, du dynamisme et du charisme (essentiel en enseignement) n'est pas créditable, malheureusement pour tous les touristes de la profession!

Alors, pour le moment, je prends des cours bidons (pour la plupart du temps) via le programme de maitrise, je paye des frais, j'ai des A en pelletant des nuages de bouettes...je suis reconnue dans mon milieu comme une enseignante qualifiée et compétente, j'ai des élèves de stage 1 qui viennent m'observer en classe et en sortent "falbergastés", mes évaluations annuelles sont excellentes...et je lis des niaseries sans fin sur la compétence des NLQ...!

Voilà...

unautreprof a dit…

À mon avis, ce qui a vraiment fait de mes 4 ans de BAC la différence sont mes stages : tous raisonnablement difficiles, avec de bons maîtres associés (la crème!), ils m'ont aidé à être l'enseignante que je suis.

Quant au contenu, désolée, mais ce fut du survol. Par ma curiosité et ma culture générale, mais surtout, par mon désir de toujours apprendre et maîtriser mon contenu, je possède plusieurs connaissances, mais ce n'est pas sur les bancs d'université que j'ai eu accès à ça.

Aigo a dit…

J'ai écrit sur le même sujet et mon constat rejoint le vôtre: nos futurs profs n'ont souvent qu'une page de manuel d'avance sur leurs étudiants. Que l'un d'eux leur pose une question, ils ne sauront pas y répondre.

Jean-Pierre Proulx a dit…

J'ai expédié un commentaire à La Presse à la suite du reportage de Mme Allard sur le sujet qui fait l'objet de ce billet. On ne l'a toutefois pas publié. Je l'ai déposé sur le site du RAEQ où on pourra le lire si on y trouve intérêt: http://recit.org/raeq/index.php/2009/10/14/title_47
Je terminais mon papier comme suit:

"Mais il y a aussi ces cas d’espèces, d’enseignantes et d’enseignants qui depuis trois, quatre ans, voire davantage, enseignent sans brevet ou un permis temporaire. Or il se peut que parmi ces personnes, certaines aient acquis à travers leur expérience concrète, les compétences que l’on attend d’eux. Dès lors, il faut appliquer à eux, ce qui se passe pour d’autres métiers ou professions, soit vérifier la qualité de leurs acquis expérientiels et leur reconnaître le cas échéant, moyennant l’imposition de formations ad hoc complémentaire pour ce qui leur manque.

Or paradoxalement, ce que la politique d’éducation des adultes et de la main-d’œuvre du Québec favorise et promeut pour toutes sortes de métiers ou de profession semble ne pas valoir pour la profession enseignante. Aussi, est-il grand temps que le ou la ministre de l’Éducation, qui demeure encore le gestionnaire autorisé de la profession enseignante, passe à cet égard à l’action et reconnaisse enfin les acquis expérientiels des meilleurs candidats."

Une Peste! a dit…

"...Or il se peut que parmi ces personnes, certaines aient acquis à travers leur expérience concrète, les compétences que l’on attend d’eux. "

Or, il se peut ...
Il se peut?

Juste un mot: Ouch.
Combien de mépris dans l'énoncé.

J'en comprends également qu'hors du cursus bac quatre ans en enseignement, point de salut. Ces "autres", qui triment, enseignent (si, si!), sont confrontés aux classes souvent les plus dures, qui préparent leur(s) cours, qui font face - de façon autrement plus aigue - à la précarité d'emploi, qui n'espèrent même pas obtenir un jour une permanence, qui sont shiftés par leur syndicat, qui sont pieds et poigts liés devant leur direction, qui doivent tairent leur cheminement scolaire devant leurs collègues et qui pourtant ... enseignent foutument bien, ne seront jamais autre chose que des profs de seconde zone.


...

Entouka.

Jean-Pierre Proulx a dit…

" Une peste" montre au créneau pour une expression maladroite et accuse son auteur de mépris. Franchement!!!

"J'en comprends également qu'hors du cursus bac quatre ans en enseignement, point de salut."

Justement, vous comprenez mal. Je prétends précisément le contraire. Si l'on veut bien reconnaître l'expérience acquise sur le terrain de celles et ceux qui, en raison de circonstances diverses, se sont retrouvés en classe sans brevet acquis à l'Université, on aura fait un progrès.

Pour l'heure, cela n'existe pas encore (sauf erreur).

Une Peste! a dit…

Oui, je persiste et je signe.
C'est méprisant comme énoncé.

By the way, j'ai mentionné que l'énoncé est méprisant. Pas souvenir d'avoir écrit que l'auteur l'était.

À moins que je ne sache ni plus ce que j'écris, ni plus ce que je (re)lis?

Vous lisez où m'sieur Proulx que je vous traite de méprisant? Je suis vraiment, vraiment curieuse de savoir ça, moi.
Donc?

Point deux.
Aucune situation réelle (dans le sens de "COLLÉES sur la réalité) dans nos évaluations. C'est possible de les arranger complétement et cela d'un bout à l'autre. On sait quand on sera observé(e),par qui, dans quel groupe, avec quelle notion ... C'est un jeu d'enfant que de se bien faire voir.

Faque. L'histoire des évaluations des "faux-enseignants", c'est juste une autre idée pour alourdir la structure, la rendre plus chèrante.

Mais surtout. Une autre gentille idée pour créer de la job à nos chers profs d'unifs qui n'ont pas mis les pieds dans une vraie salle de classe depuis le siècle dernier.

Cousu de fil blanc.
Au point d'croix.

Anonyme a dit…

@anonyme:

Je ne peux m'empêcher de réagir à votre énoncé: «désolée mais les gens intelligents, brillants et qui ont des bonnes notes après le Cegep ne vont tout simplement pas étudier en éducation!!»

Quel jugement de valeur!

Personnellement, j'ai choisi l'enseignement du français comme j'aurais pu choisir les études littéraires... Simplement, l'enseignement m'intéressait davantage. Oui, certains de mes collègues à l'université n'ont pas ouvert un seul classique. Mais honnêtement, des jugements de valeurs comme ceux-ci sont très méprisants... de quoi donner envie aux étudiants compétents d'abandonner la profession!

Julia

Anonyme a dit…

Julia

J'aurais dû nuancer au disant que la majorité des gens "forts à l'école" ne se dirige pas spontanément en enseignement. Cela ne veut pas dire que la profession ne regorge pas de gens brillants, seulement que le métier de prof n'est pas du tout valorisé socialement.
Petit test fait dans une classe d'élèves performants de secondaire 5. À la question "qui aimerait devenir enseignant?" aucune main ne s'est levée...questionnant non?
Vous conviendrez aussi avec moi que la cote R exigée pour entrer en éducation est relativement basse! Pas de quoi pavoiser malheureusement! Ne le prenez pas personnel...

M.Proulx.
Je suis contente de lire votre commentaire. J'enseigne sans brevet depuis 6 ans. Je suis évaluée depuis le début (non seulement par des évaluations en classe mais par mon rayonnement dans mon école, ma réputation et les échos des élèves). Pour régulariser ma situation je dois faire une maitrise comprenant des stages en classe. Le monde à l'envers!

Laurence la petite démone