25 janvier 2020

Éducation: un grand rendez-vous manqué

Le projet de loi 40 et les prochaines négociations dans le secteur public auraient pu être l'occasion d'un grand rendez-vous entre tous les intervenants en éducation pour revigorer un réseau scolaire qui en a bien besoin. Mais voilà, le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, et le gouvernement de la CAQ de François Legault en ont manifestement décidé autrement.

Un projet de loi très révélateur

Le projet de loi 40 aura réussi à unifier contre lui des organisations ayant pourtant déjà connu des différends importants comme les commissions scolaires, les syndicats enseignants et les comités de parents. Quand autant de gens ayant habituellement des intérêts si opposés partagent le même point de vue, la population en général devrait commencer à se poser de sérieuses questions sur ce que propose M. Roberge. N'appuient principalement le ministre que les cadres scolaires, qui devaient normalement passer à la trappe selon les promesses de la CAQ et qui aujourd'hui sont fort reconnaissants de se trouver dans les bonnes grâces du ministre, et les directions d'école, qui croient à tort qu'elles bénéficieront de davantage de pouvoirs une fois cette mesure législative adoptée.

Pour les enseignants, le projet de loi 40 vient consacrer la piètre opinion qu'a le ministre de ses anciens confrères de travail.  Cette piètre opinion, on a aussi l'impression qu'elle est semblable à celle de ses proches collaborateurs, de ses sous-ministres ou de ses haut-fonctionnaires qui disent connaitre si bien l'éducation et qui ont géré la catastrophe dans laquelle nous vivons depuis des années. Et on ne parle pas de ces chercheurs experts qui ont leur entrée privilégiée et qu'on n'entend plus réclamer la création d'un institut d'excellence en éducation maintenant qu'ils ont l'oreille du ministre.

Pas assez formés, ne bénéficiant pas d'une expertise assez précieuse pour être reconnue à sa juste valeur dans la constitution des nouvelles instances décisionnelles qu'il entend créer, M. Roberge réduit les enseignants à de simples exécutants, à des techniciens n'ayant qu'à suivre les consignes de ceux qui savent ce qui est bon pour l'école québécoise.

Oui, il y a eu de beaux discours avec une larme à l'oeil, des professions de foi empreintes de sollicitude ainsi que des serments, la main sur le coeur... mais les gestes parlent davantage et on constate que tout cela manque de bienveillance, une notion devenue rare en éducation.

Des demandes patronales rarement vues

Les négociations collectives actuelles auraient pu être l'occasion de revaloriser la profession enseignante mais, manifestement, la CAQ, animée par des réflexes néo-libéraux, en a décidé autrement. Tout d'abord, en soumettant aux enseignants des augmentations de salaire en dessous du coût de la vie, elle leur indique cyniquement que, pour elle, les gens oeuvrant en éducation ne méritent que de s'appauvrir. Quelle belle occasion manquée de s'assurer que les enseignants québécois ne soient pas les moins bien payés au Canada!

Mais au-delà du salaire, ce qui est consternant est que les diverses demandes patronales viendront alourdir la tâche des enseignants. Alors que le nombre de cas d'épuisement professionnel augmente, que l'embauche et la rétention du personnel sont des défis importants, que les jeunes enseignants décrochent après cinq ans, que les plus âgés quittent avant leur pleine retraite, que nous sommes en pleine pénurie de personnel au point de mettre à peu près n'importe qui devant une classe, voilà que le gouvernement Legault - dont on louait l'expertise économique - s'imagine qu'il retiendra les employés en place et attirera de nouveaux candidats dans cette profession en réduisant leurs conditions de travail.

Les mauvaises langues disent que c'est dans le but de s'assurer l'appui des cadres scolaires et des directions d'école quant au projet de loi 40 que le gouvernement de la CAQ a déposé de telles demandes qui rejoignent en tous points celles que font ces deux groupes d'intérêts depuis des années. Vérité? Mensonge? Dans le contexte actuel, on serait bien tenté de le croire.

Depuis les 26 ans que j'oeuvre en enseignement, jamais je n'ai vu des collègues partout au Québec aussi cyniques et désabusés. Ils oeuvrent dans des écoles surpeuplées, parfois insalubres, avec du matériel souvent désuet, avec certains élèves entassés dans une même classe que les parents eux-mêmes n'arrivent pas à éduquer correctement et qui viennent pourtant critiquer leur gestion pédagogique quand cela fait leur affaire... Jamais aussi je n'ai autant vu de collègues décourager leurs élèves, leurs amis ou même leurs enfants qui songent à devenir enseignants. Cela en dit beaucoup sur ce qu'ils pensent de la valeur de leur profession et de la reconnaissance qu'ils reçoivent quant à leur travail.

Si le gouvernement de la CAQ remporte la lutte qui s'annonce avec les syndicats enseignants sans parvenir à signer une entente, pour reprendre les mots d'un ancien premier ministre canadien, «dans l'honneur et l'enthousiasme», cette victoire sera le signe d'une défaite pour tout le système d'éducation québécois et marquera, quant à moi, le début des années sombres dans nos écoles québécoises.

MM Legault et Roberge ont devant eux une occasion incroyable de changer le climat délétère qui règne dans le monde de l'éducation depuis des années. Ils en ont le pouvoir; ils en ont aussi les moyens financiers. Si leur discours à l'effet que notre jeunesse mérite ce qu'il y a de mieux est davantage que des mots,  qu'une promesse creuse et vide de sens, c'est à eux de faire le premier pas.


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