26 février 2020

La CAQ ne réglera rien à la déroute scolaire

Généralement, mais ce n’est pas toujours le cas, les enseignants héritent au début de leur carrière des groupes les plus difficiles. C’est ce qui m’est arrivé il y a longtemps. Aujourd’hui, on voudrait changer cette pratique. On me dit que 20% des jeunes enseignants décrochent après cinq ans. 

Des tâches souvent insoutenables

Je suis un enseignant d’expérience, un parmi les nombreux dont on connait mal leur réalité et à qui on veut attribuer les groupes «mal aimés».

Ces groupes dont personne ne veut, j’en ai connu pendant les 10-15 premières années de ma carrière. Me les redonner à nouveau dans le contexte actuel, c’est comme me faire revivre des moments que j’espérais derrière moi après de dures années de labeur. Si je n’avais pas tout le bagage que je possède maintenant, j’étais mû alors par une énergie plus vivifiante qu’aujourd’hui. Oui, je fais mes cinquante-six ans, miné par près d’une trentaine d’années au service d’un réseau d’éducation dysfonctionnel et pour lequel je n’ai jamais compté mon temps et mes efforts, parfois au détriment de ma santé, de mes amours, de ma famille.

Personne ne se demande si ce sont ces tâches qui sont tout simplement insoutenables, peu importe au fond qui on met devant une classe, de son âge, de son expérience. On nage plutôt dans les solutions faciles, dans la pensée magique; bref, un mode de gestion qui gouverne souvent le monde de l’éducation.

Personne non plus ne remarquera que bien des enseignants âgés ne se rendent pas à la fin de leur carrière, ne touchant pas ainsi leur pleine retraite. Ils préféreront se priver d’un revenu pour leurs vieux jours plutôt que de continuer à effectuer le métier qu’ils ont longtemps aimé et auquel ils ont consacré une partie importante de leur vie. Cette situation ne suscite à toute fin pratique aucune interrogation, aucun questionnement.  

Par ailleurs, le raisonnement qui veut que l’ancienneté équivaille à la compétence est faux. Certains  jeunes enseignants sont tout aussi professionnels avec leur expérience que d’autres plus âgés. Ne pas l’admettre revient à dire que tout nouveau diplômé est incapable de bien effectuer son travail avec certains groupes ou certains élèves. Parfois, la réussite dans la gestion de ces groupes relève davantage de la personnalité de celui qu’on met devant la classe que de son CV. Mais poser le problème de la sorte revient encore et toujours au même :  faire porter sur les épaules des profs un système qui est fondamentalement mal foutu. 

Des élèves qui ne maitrisent pas les savoirs essentiels 

Il est impossible, à moins d’être de mauvaise foi, d’ignorer que ces groupes difficiles sont le résultat d’une école à trois vitesses : celle des écoles privées subventionnées à plus de 60%, celle des écoles publiques offrant des programmes particuliers et celle des élèves «ordinaires» (le terme est celui utilisé par le MEES) qui n’appartiennent à aucun programme. On se rappellera que les deux premières effectuent une sélection, soit par les notes soit par le niveau socio-économique des parents.  En effet, ce ne sont pas tous les Québécois qui ont les moyens d’envoyer leurs enfants dans une école ou un programme ayant des frais de scolarité plus élevés. 

Demandez à tous les enseignants et ils vous diront qu’on retrouve souvent dans les groupes «ordinaires» des élèves dont les parents sont absents et dont le niveau socio-économique est habituellement plus faible. On y retrouve aussi, par la magie de l’évaluation, des élèves qui ne maitrisent pas les savoirs essentiels, quand ils n’ont pas tout simplement été promus alors qu’ils n’ont pas réussi des matières de base depuis plusieurs années. On ne parle pas ici de maquillage de notes sans le consentement des enseignants, sujet qui a fait l’objet de nombreux débats et qui a occulté une réalité toujours présente : on parle des règles de passage adoptées par les centres de services et qui font qu’un élève peut se retrouver en mathématiques deuxième secondaire sans jamais avoir réussi ce cours depuis la sixième année du primaire. 

Qu’on comprenne bien la situation : on ne modifie pas la note donnée par un enseignant à un élève, on n’en tient tout simplement pas compte et celui-ci est promu au niveau supérieur! Je n’exagère pas. Ces cas sont connus et documentés, mais les médias n’en parlent pas. Bien sûr, on ne permet pas à l’élève de monter à un niveau supérieur sans lui adjoindre un plan d’aide ou un plan d’intervention. Mais que vaut ce plan lorsque, on l’a constaté depuis des années, les services pour l’accompagner sont rares, quand ils ne sont pas tout simplement inexistants?

La réalité malheureuse de l’éducation, ce sont ces classes «ordinaires» qui sont tout sauf «ordinaires». Ce sont des classes dysfonctionnelles pour lesquelles on manque d’encadrement et de spécialistes; ce sont des classes difficilement gérables dans lesquelles on intègre sauvagement des élèves totalement dépassés par les programmes de formation; ce sont des classes où une proportion importante des élèves n’a même pas eu les acquis pour réussir l’année précédente et pour laquelle on se fait croire qu’elle rattrapera son retard tout en assimilant une nouvelle année; ce sont des classes épuisantes qu’on confie à des enseignants, jeunes et moins jeunes, dont la tâche s’est déjà alourdie au fil des ans et qui deviennent rapidement submergés par tout ce qu’on leur demande.


L’évaluation, c’est pour les autres

Nos décideurs ne feront jamais ces constats parce que cela reviendrait à remettre en question la façon dont le système de l’éducation fonctionne. Cela reviendrait à remettre en question leur gestion administrative et pédagogique. Ils préfèrent plutôt la bonne vieille stratégie qui consiste à blâmer les plus faibles, ceux dont le pouvoir est le moins grand.  Ils préfèrent remettre en question la gestion de classe et la compétence des enseignants qu’ils ont placés dans des situations intenables. Non, jamais ils ne s’évalueront eux-mêmes : ils choisiront de diviser pour mieux régner en opposant les enseignants, jeunes aux moins jeunes.

Un exemple patent de cette mauvaise gestion: dans le cas des départs des jeunes enseignants, qui a relevé que les pratiques de nos décideurs contribuent à ce phénomène? En effet, on refuse le plus souvent de créer possible des postes à temps plein, accentuant ainsi la précarité des nouveaux diplômés, comme c’est le cas avec les infirmières en santé. Comment ne pas comprendre qu’un jeune enseignant soit excédé quand il se retrouve année après année, quand il est «chanceux», avec des postes à temps partiel à 85, 92 et même 94%? Au nom de quel principe refuse-t-on de lui placer à l’horaire de travail la demi-heure qui lui manque pour en faire un employé à temps plein? 

En éducation, le gouvernement de la CAQ a les allures d’un vieil administrateur.  La loi 40 et les demandes qu’il a formulées dans les présentes négociations collectives (on ne peut vraiment pas parler d’offre quand on ne donne absolument rien) le démontrent. À lire les propos de MM Legault et Roberge, les problèmes de l’éducation au Québec se résument simplement aux commissaires scolaires - qu’ils ont fait disparaitre - et aux enseignants. 

La loi 40 et les récentes demandes patronales limitent l’autonomie professionnelle des enseignants. Elles augmentent les contraintes qu’ils subissent déjà en matière de formation. Elles restreignent leur représentativité à l’intérieur des diverses instances qu’on entend modifier ou créer. Elles augmentent la réddition de comptes pour obtenir des services aux élèves.  En bref, si on ne corrige pas le tir, la CAQ en viendra à surcharger encore plus ceux qui ont tenu à bout de bras l’école publique des classes ordinaires et moins ordinaires pendant des années et n’apportera aucune véritable solution sinon qu’un inefficace et traditionnel brassage de structures. 

La vision de la réalité de nos décideurs ne mènera nulle part, sinon qu’à l’échec. Cet échec, c’est celui des enseignants qui seront encore et toujours débordés, qui se sentiront profondément insatisfaits de leur travail quand ils ne vivront pas carrément un sentiment d’incompétence. Cet échec, c’est surtout celui des jeunes d’aujourd’hui qui quitteront l’école sans connaissance, avec ou sans diplôme. Et cet échec, c’est enfin celui des élèves qui les remplaceront et qui connaitront le même destin.

Aucun commentaire: