09 mai 2020

Comment le ministre Roberge a créé un trou noir au secondaire

Dans Le Devoir de ce matin, on publie un excellent texte de Marco Fortier où l'on constate l'immense trou noir dans lequel sont tombés certains élèves des écoles secondaires avec la fermeture de leur établissement. Les choses ne sont cependant pas si simples et le rôle du ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, mérite qu'on s'y attarde. Si trou noir il y a, c'est peut-être parce que l'étoile ministérielle a fini par s'écraser sur elle-même.

Un bon départ

Les deux premières semaines de cette crise, le ministre Roberge a bien fait en annonçant que la situation que nous connaissions s'apparentait à un congé et que les examens ministériels à venir étaient annulés. Le Québec vivait (et vit encore) des moments inquiétants. Parler d'école et de notes semblait absurde dans un tel contexte, surtout que bien des gouvernements sonnaient déjà la fin de l'année scolaire de milliers de jeunes partout en Amérique. Il est connu de toute façon qu'il est difficile d'effectuer des apprentissages de qualité dans des situations stressantes ou anxiogènes.

Mais on dirait qu'il n'y a pas que les citoyens québécois qui se soient mis sur pause durant ces deux semaines. Le ministre de l'Éducation et le MEES aussi. Ce précieux temps aurait dû servir à échafauder différents plans précis. Or, à partir de ce moment, les retards et les erreurs n'ont cessé de s'accumuler. 

Une série d'erreurs

Après ces deux semaines donc, le ministre aurait dû arriver avec une direction claire: on arrête complètement les activités éducatives comme en Alberta, par exemple, ou on va en télé-enseignement comme en Ontario. Il faut savoir décider. Après tout, gouverner, c'est choisir, dit l'adage. Or, avec M. Roberge, on avait l’impression qu'il ne savait pas sur quel pied danser et, aujourd'hui, à regarder la hâte avec laquelle le gouvernement Legault veut repartir l'économie et utiliser les écoles primaires comme des garderies où les enfants seront dans un milieu confiné, on se demande si cette hésitation n'était pas le signe qu'on ne savait pas quel rôle on voulait vraiment réserver aux écoles. 

Il est d’ailleurs incompréhensible, aux yeux de nombreux observateurs, que le Québec soit le seul gouvernement en Amérique du Nord (États-Unis inclus) qui tente, dans le contexte actuel d'ouvrir les portes de ses écoles. Sommes-nous vraiment meilleurs que les autres? Nos voisins seraient-ils si odieux qu'ils seraient insensibles au sort des enfants, à leur alimentation, à la violence physique et psychologique qu'ils subissent? Tous les pédiatres de ces endroits seraient-il finalement moins compétents que les nôtres?

Quoi qu'il en soit, pour imiter l'Ontario, il aurait fallu tout d'abord prendre des décisions plus rapides alors que le ministère a préféré mettre ses énergies dans des projets qui paraissaient bien aux yeux du grand public mais qui n'apportaient rien de bien consistant pour ceux qui s'intéressent à l'éducation. Une preuve de cet échec est que les diverses émissions «éducatives» de Télé-Québec, la plateforme École ouverte et la fameuse trousse pédagogique du MEES ont été battues en brèche par une simple enseignante sur Internet qui donnait chaque jour de semaine une demi-heure de cours en ligne par année du primaire. Les solutions les plus simples sont souvent les meilleures: apprendre peut encore se faire avec une bonne pédagogue et un tableau. Pas besoin de comédiens connus, de chercheurs universitaires émérites et de concept «songés».  

Pour imiter l'Ontario, il aurait fallu ensuite que le ministère dispose d'un corpus de cours en ligne accessibles et développés. Or, voilà qu'on apprend que, dès la première semaine de la pandémie, ce corpus existait mais que le ministre Roberge avait refusé l'offre de la commission scolaire Beauce-Etchemin qui était prête à partager son expertise de plus de 20 ans en télé-enseignement. Pourquoi? Le ministre n'a jamais répondu à cette question. De là, toutes les hypothèses farfelues sont possibles, dont celle qui veut que ce dernier aurait refusé par orgueil toute forme d'aide provenant d'une commission scolaire. 

Pour imiter l'Ontario, il aurait fallu également que chaque famille dispose d'un appareil électronique afin de permettre aux jeunes d'accéder à une formation en ligne. Ce n'est que le 27 avril, deux semaines après un plan similaire de notre voisine, que M. Roberge a annoncé que 15 000 appareils seraient distribués aux parents. Ce nombre sera-t-il suffisant? On ne le sait même pas. L'autre hic: nous sommes le 8 mai, ces appareils ne sont toujours pas remis et les cours en ligne débutent le 11... Comment était-il réaliste de croire un seul instant que le système scolaire serait capable d'un tel prodige en deux semaines? On est dans la pensée magique.

Enfin, pour imiter l'Ontario, il aurait fallu des directives claires du ministre lui-même. Celui-ci aurait même dû s'adresser aux élèves. Or, dans des communications destinées aux parents et aux enseignants, nous sommes passés des «vacances» aux «apprentissages facultatifs», puis aux «apprentissages fortement recommandés» pour terminer avec les «savoir jugés essentiels». 

Un mandat irréaliste

Comment un enseignant d'expérience comme M. Roberge peut-il croire qu'on peut ramener au travail un groupe d'élèves après leur avoir annoncé que plus rien ne comptait? «Il est trop tard. L'année est fucking finie. Le ministre l'a dit», m'a expliqué un jeune au téléphone. Des parents, pas plus bêtes que leurs enfants, ont demandé qu'on cesse de les appeler et ont baissé les bras parce qu'ils ont compris que l'année scolaire était à toutes fins pratiques terminée.

Avec regret, je dois écrire que le ministre vit dans un monde de rêve s'il pense que l'école sera capable de raccrocher les élèves du secondaire après deux mois d'arrêt. Ils sont tous ailleurs. Dans leur chambre. Au travail. J'ai même quelques jeunes de 13 ans qui ont trouvé un petit boulot. Finalement, M. Roberge veut qu'on remette dans un tube le dentifrice qu'il a lui-même fait sortir... 


Sur le terrain, bien des enseignants, des parents, des directions ont perdu foi en leur ministre, si ce n’est pas en ce gouvernement. Ils lisent les lettres souvent contradictoires ou peu claires qu'il leur envoie et hochent la tête en se demandant comment ce dernier peut encore croire que ses directives seront réalisables. Il a perdu contact avec la réalité et, de son bunker, lance de nouvelles stratégies d'attaque, donne des ordres de redéploiement alors que la bataille est perdue depuis longtemps. L'année scolaire est finie. Il est temps que quelqu'un le lui dise ou indique au premier ministre Legault qu'on doit arrêter de se couvrir de ridicule, de perdre le peu de crédibilité qu'il nous reste comme intervenants en éducation auprès des jeunes et de leurs parents. Travaillons à préparer la prochaine année scolaire plutôt qu'à nous épuiser à poursuivre de chimériques licornes.  

En plus d'être un gâchis, la gestion de cette crise en éducation nous met devant un superbe défi: comment développer la motivation intrinsèque de nos jeunes quant à l'école?   Comment amener ceux-ci à vouloir apprendre autrement que parce qu'il y a des notes, des bulletins, des examens? C'est là le puissant et désespérant message qu'ils nous envoient actuellement.








15 commentaires:

Isabelle a dit…

Ce qui m'attriste, c'est que bon nombre d'enseignants ont participé à la création de ce trou noir, en ne maintenant pas un lien avec les élèves (et en ne poursuivant pas les apprentissages dits essentiels à distance), et ce, dès le début du confinement. Il ne fallait surtout pas attendre la bénédiction du Ministère pour agir! Chaque prof est capitaine de son navire, avec la collaboration des membres de sa Direction. Tout autre professionnel, prenons pour exemple un psychologue, aurait-il coupé le lien avec son client, en attendant des consignes de son Ordre? On me répondra que tous les élèves n'avaient pas accès à un appareil technologique (et ne l'ont peut-être toujours pas), mais chaque famille que cette situation concerne aurait pu trouver des solutions de concert avec l'école, si l'éducation était véritablement une priorité.

Anonyme a dit…

Anonyme a dit…

Vous êtes enseignante ?

Unknown a dit…

Je le disais depuis le début dire à des ados que le travail est facultatif c'était faire travailler les professeurs pour rien. Un autre manque de respect envers eux selon moi. Ce temps là certains ont appelé mes enfants c'Était super prendre des nouvelles et garder un lien, mais au lieu de préparer des choses facultatives que beaucoup d'adolescents n'ont pas fait ils auraient effectivement dû se préparer, la technologie est là. Mais notre ministre dénigre tellement les familles qui font l'école maison qu,il ne va pas offrir un service que bien des jeunes pourraient apprécier :(

Anonyme a dit…

Moi je suis parent de 2 ados et nous avons poursuivi une routine presque scolaire et nous obligeons nos enfants à faire les trousses pédagogiques envoyés par le ministère et les travaux que les profs envoient. Nous prenons le temps de corriger les travaux avec eux. Ce n'est pas facile car ma conjointe et moi travaillons encore 40h par semaine, mais quand on fait de l'éducation une priorité faut mettre les efforts.

maryse a dit…

L'Alberta n'a jamais arrêté les activités éducatives! Aucune semaine d'enseignement n'a été perdue. Les cours ont continué et continuent toujours en ligne, de la maternelle à la 12e année. Tous les élèves auront un bulletin à la fin de l'année et aucun élève n'aura perdu son année scolaire.

Anonyme a dit…

Une collègue albertaine m'a fait remarquer que vos informations relatives à cette province sont erronées. Sinon, j'adore vos textes. Enfin, je suis incapable de vous retrouver sur Facebook.

Anonyme a dit…

Justement...pour répondre à Isabelle...moi je suis enseignante au secondaire...on apprenait en même temps que M. et Mme tout le monde les nouvelles décisions du ministère de l'éducation. J'ai voulu commencer à enseigner du nouveau contenu et un parent s'est plaint que je ne respectais pas la date du 19 mai pour l'enseignement de nouveau contenu. Ma direction m'a dit que je ne pouvais pas...j'étais déçue...ça toujours été comme ça...on ne tient pas compte de l'avis des enseignants...c'est le ministre qui décide et les parents mettent de la pression sur la direction qui en met sur nous ensuite. Le pire ministre de l'éducation est un ancien enseignant qui n'a pas enseigné depuis longtemps et il est complètement dans le champs...Dans cette crise le ministre a pris un foutu temps pour réfléchir. Moi dès le début j'étais prête à enseigner à distance...j'ai rapidement pris contact avec mes élèves, j'ai fait un sondage pour savoir la situation de chacun de mes 117 élèves...tous avaient internet. À chaque lundi j'ai déposé des ressources sur mon MOODLE (plate-forme pour y déposer des documents). Au debut 70% des élèves consultaient mes documents...ensuite 65%...et finalement moins de la moitié. Le ministre disait que c'était du travail facultatif...ce qui signifie pas important pour un jeune...je décerne un prux citron pour le ministère de l'éducation pour la gestion de la crise. Dès le début, on aurait pu sonder les besoins des familles, faire un prêt de matériel informatique et ensuite laisser les enseignants faire leur travail au moment où les enfants n'avaient pas encore remisé leur sac d'école.

Mr Renaud a dit…

Mensonges Mensonges! Lol! on enseigne de la maison depuis le début de la quarantaine ici en Alberta....par contre on ne retournera pas à l'école...

Anonyme a dit…


Isabelle: pendant les deux premières semaines, le ministre nous a dit «Congé!» Des collègues parlaient à leurs élèves, mettaient en ligne des trucs, mais la plupart ont mis le pied sur le frein et ont attendu. Parce qu'en éducation, on a appris à attendre. On a appris à ne plus avoir d'initiative. Je suis triste de le dire. Le système veut centraliser, contrôler. Je tiens un blogue, je suis familier avec l'enseignement avec un ordi et j'ai compris que si je commençais quelque chose, je devrais tout refaire parce que... je ne prends pas la bonne plateforme désignée par la CS. Je ne niaise pas. Ensuite, pour les savoirs, le ministre a changé 3-4 fois de positions. Facultatifs, suggérés, fortement recommandés... Voilà ce qu'on a eu comme consignes. Pour ce qui est des familles, j'en ai certaines qui mangent grâce à la Saint-Vincent-de-Paul et qui n'ont pas Internet. Je ne niaise pas. Je livrais des paniers de Noël avant avec mon école. Voir applaudir des enfants parce qu'on apporte une épicerie.. Une sacrée leçon de vie.

Unknown 1: Les profs n'ont pas compris la position du ministre. Ou tu fermes ou tu mets des balises claires et tu prends les moyens de les atteindre. Le ministre a été sur pause.

Anonyme; je ne jugerai pas un parent qui n'arrive pas à tout faire. Certains enfants sont ... incroyables. En même temps, bien des constats vont devoir s'imposer. Cela étant, il y aussi des familles qui se débrouillent bien dans ce système. Mais on pourrait leur faciliter un peu la vie. Chapeau à vous!

Maryse, Mr Renaud et anonyme: une recherche est venue appuyée mes propos. Sur Radio-Canada. Voici un lien parmi plusieurs.

Dernière anonyme: vous illustrez très bien mon propos. Ça et le fait que j'étais tanné de défendre un système incohérent. Quand les parents te disent que le ministre est tout croche et que tu dois te taire...



PM (pour Prof Masqué...)

Anonyme a dit…

Lien et extrait:

L’exemple albertain

L’Alberta est sur toutes les lèvres depuis que la province a annoncé la fin de l’année scolaire en cours. Les élèves de la maternelle à la douzième année scolaire vont recevoir leurs notes finales et passeront automatiquement à l’année suivante lors de la rentrée scolaire. Quant aux élèves qui finissaient leur parcours secondaire, ils obtiendront automatiquement leur diplôme.

https://www.lapresse.ca/covid-19/202003/17/01-5265175-les-ecoles-se-preparent-a-de-longues-fermetures.php

maryse a dit…

Informations erronées. Je suis enseignante en Alberta et tous les cours (tous les niveaux, de la maternelle à la 12e année) ont continué en ligne, après la semaine de relâche. Oui, les élèves recevront une note finale, un bulletin et passeront à l'année suivante. Mais il n'y a pas eu une seule semaine de congé et les enseignants ont continué à travailler, encore plus qu'avant, car c'était tout un défi que d'adapter notre façon d'enseigner afin de pouvoir poursuivre en ligne!

maryse a dit…

Si vous avez besoin de preuves... https://www.alberta.ca/student-learning-during-covid-19.aspx

Isabelle a dit…

Oui, je suis enseignante de français au secondaire depuis plus de 20 ans.

Isabelle a dit…
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