Pascale Breton dans La Presse signait récemment deux textes pour lesquels je préfère ne pas employer de qualificatifs.
Le premier est intitulé: «Doit-on tolérer l'incompétence en éducation?» Juste ce titre est biaisé. En effet, il pose comme vrais les deux postulats suivants:
1- Il existe de l'incompétence en éducation.
2- Cette incompétence est tolérée.
Vous avouerez avec moi qu'il est impossible de répondre non à une question ainsi formulée. Difficile d'être contre la vertu.
Allons maintenant voir si le texte de la journaliste est de la même eau. Et dès le début, on comprend que oui puisqu'elle affirme: «En attendant, on tolère la médiocrité dans nos écoles.» Médiocrité, rien de moins... Pas des gens moins compétents, incompétents, mais médiocres.
Puis, elle interviewe un enseignant du primaire, Jean-François Roberge, qu'elle présente uniquement sous le titre d'enseignant de l'école La Chanterelle, sur la Rive-Sud. Or, il faut savoir que M. Roberge, c'est son droit le plus strict, est membre de la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) et fait siens tous les énoncés de ce mouvement comme on peut le lire ici. Je suis désolé, mais la journaliste aurait dû informer les lecteurs de ce fait. M. Roberge n'est pas un enseignant lambda comme un autre: il est idéologiquement très engagé quant à tout ce débat. Il s'agit, quant à moi, d'une faute.
Dans le reste de son texte, madame Breton y va d'informations floues. «Ça se fait ailleurs, aux États-Unis et dans d'autres provinces canadiennes.» Lesquelles? De quelles façons? Avec quels résultats? «Les «mauvais profs» représentent une minorité dans la profession.» Quel pourcentage de «mauvais profs» retrouve-t-on dans la profession? Cinq pour cent? Dix pour cent? Quarante-neuf pour cent? Quelle est l'étendue du problème? Pour combien de profs monte-t-on aux barricades? De plus, elle est dans l'erreur quand elle écrit que «Même les notes négatives inscrites au dossier de l'enseignant à la commission scolaire s'effacent après quelques mois.»
Enfin, lorsque la journaliste affirme que les directions d'école se sentent démunies devant les recours pour congédier un enseignant, elle se fait le perroquet d'un discours qui a besoin d'être mis en contexte. Ainsi, pourquoi devrait-on être étonné que «Pour entamer un processus disciplinaire, la direction doit constituer un dossier avec des faits précis, survenus à des moments précis»? Il est tout à fait raisonnable qu'il en soit ainsi. Devrait-on accepter qu'on congédie des gens sur des suppositions, des approximations? Ce n'est pas tant de ce processus que devraient se plaindre les directions d'école que du manque de ressource pour les appuyer dans leur démarche. Même chose pour la supervision des enseignants qu'elles n'arrivent souvent pas à faire.
Dans un deuxième texte maintenant, Mme Breton continue son réquisitoire. Dès l'intro, elle y va de l'affirmation suivante: «À moins de commettre un crime grave, un enseignant «moyen» peut poursuivre toute sa carrière sans acquérir de nouvelles qualifications ni être inquiété outre mesure par la direction de son école.»
Sait-elle seulement pourquoi il en est ainsi? Parce que certaines écoles et commissions scolaires n'assurent aucune formation continue des enseignants. Les journées pédagogiques, par exemple, sont devenues des journées administratives où l'on nous apprend à compléter des formulaires, des documents. Dans mon école, où les adjoints changent aux deux ans, elles sont l'occasion d'être informés des nouveaux changements instaurés par les nouveaux venus. Les règles entourant les réservations d'un autobus changent au même rythme que les feuilles des arbres tombent! Alors, pour la formation, oubliez ça! On est trop occupés à nous bureaucratiser!
Par la suite, la journaliste explique que peu d'enseignants sont véritablement congédiés au Québec. Après tout, le titre de ce texte n'est-il pas «Enseignants: de très rares congédiements»? Ainsi, elle nous apprend que 24 enseignants ont été congédiés au Québec et seulement deux pour des motifs reliés à leur véritable compétence. Encore une fois, un peu de contexte aurait été apprécié. Combien d'enseignants sont congédiés dans les autres provinces qu'elle ne nomme pas? Par exemple, en Ontario, tiens, où l'on retrouve un ordre professionnel. Ensuite, que fait-on des congédiements déguisés? J'ai connu deux cas de démissions fortement suggérées par une direction. Et faut-il obligatoirement des congédiements? Je songe entre autres à cette direction qui, plutôt que de jouer à lyncher des profs, a assuré un rôle de supervision et d'encadrement qui a permis à certains enseignants de retrouver le droit chemin.
Ce qui me désole des textes de Mme Breton, c'est leur absence de rigueur mais aussi qu'ils véhiculent un discours à la mode sans aller au-delà des clichés les plus éculés. On s'attend d'un article écrit par une journaliste de La Presse qu'il nous informe. Pas qu'il soit un ramassis d'à-peu-près.
Dans ce discours à la mode, on vise toujours les enseignants du primaire et du secondaire. À croire que la médiocrité n'existe que là. Jamais on ne s'intéresse aux directions d'école incompétentes, par exemple, à ou d'autres ordres d'enseignement. Un prof de cégep qui scrappe des élèves, ça n'existe pas.
On parle aussi d'évaluation des enseignants sans rarement décrire comment cela se fait ailleurs. Tout comme on ne décrit pas ce qui existe au Québec comme encadrement au niveau des collèges et des universités. Là-dessus, rendons à Mme Breton le mérite de s'être informée auprès d'un collège privé, même si de telles procédures existent aussi dans certaines écoles publiques. (Comme s'il n'y avait que le privé qui ne tolérait pas l'incompétence. Tiens, juste dans mon coin, il y a plus d'élèves qui quittent le privé pour venir à mon école que l'inverse. Devinez pourquoi?)
Si on décide d'aborder ce sujet, qu'on le fasse donc avec sérieux et rigueur. Pour l'instant, on est dans le même niveau d'analyse et de pensée magique que les débats sur l'abolition des commissions scolaires et le décrochage des garçons... On va finir par ancrer dans la tête des gens que les profs du secteur public sont des incompétents tout en voulant d'un autre côté valoriser l'école. Chercher l'erreur. Laissons de côté congédiement et incompétence pour parler davantage de formation et de formation continue des enseignants. Il est faux de penser qu'on pourra congédier 200 profs demain... Pourquoi consacrer tant d'énergie à une action négative et ne pas plutôt travailler à améliorer tous les enseignants du Québec? Pourquoi ne pas encourager et reconnaitre ceux qui vont se doter d'une formation supplémentaire à celle obtenue à l'université, par exemple?
********
En passant, voici quelques autres faits que Mme Breton aurait pu inclure dans ses textes à propos de la compétence des enseignants:
- Les programmes en éducation accueillent des étudiants dont la cote R collégiale est faible. Certains doivent même suivre des cours de mise à niveau en français alors qu'ils veulent enseigner... le français.
- Le gouvernement et les syndicats se sont entendus dans le cadre des négociations sur l'équité salariale pour accorder moins d'importance à la scolarité des enseignants. Le proverbe «Qui s'instruit s'enrichit» a alors été désavoué d'une façon pour le moins paradoxale. Quand le message vient de si haut...
- Pour des raisons financières, dans plusieurs champs d'enseignement, les universités forment un nombre d'enseignants de loin supérieur aux besoins nécessaires, évitant ainsi de sélectionner les élèves ayant les résultats les plus forts.
- Le MELS permettra sous peu aux futurs enseignants de reprendre autant de fois le TECFÉE que nécessaire. Qu'en pensent MM Legault et Roberge?
- La rumeur veut qu'il soit pratiquement impossible de faire échouer un stage à un étudiant en enseignement, les superviseurs des universités semblant généreux.
- Avec la réforme du bac en enseignement et l'ajout d'une quatrième année, on décerne automatiquement le permis d'enseigner à un finissant universitaire alors qu'autrefois, il devait compléter une période de probation de deux ans. Cette dernière était de loin plus exigeante que ce que l'on retrouve aujourd'hui.
- La mise à la retraite de nombreux enseignants sous le gouvernement Bouchard a créé de toutes pièces une pénurie, ce qui fait que, pendant plusieurs années, on a embauché à peu près n'importe qui. En anglais, avec les idées du gouvernement Charest en matière d'enseignement, les portes sont toutes grandes ouvertes. Yess, no, toaster...
- Les directions d'école ont le beau jeu de se plaindre, mais ce sont souvent elles qui embauchent, supervisent et évaluent les enseignants. Or, comme elles sont souvent affectées à une école pour deux ans, croyez-vous qu'elles accordent toute l'attention nécessaire à ce dossier, surtout quand elles sont débordées par une foule d'autres tâches?
Toute cette problématique est de loin plus compliquée que la pensée magique et les textes de La Presse.
6 commentaires:
La rumeur des incompétents en éducation excusent bien des parents des mauvais résultats de leurs enfants. On peut accuser sans preuve bien aisément le dernier venu de l'équipe de profs.
Mais bon, quand je pense à l'incompétence la plus évidente dans ce métier, ce n'est pas dans la rumeur que je la vois, mais dans des textes bien lisibles. Je le vois dans des programmes idéologiques sans fondement qui, depuis 15 ans, ont atteint des sommets dans leur nullité. Il n'y a qu'à ouvrir la plupart des outils pédagogiques et manuels scolaires publiés dans les dernières années pour constater, encore faut-il être un peu compétent, que l'approche conceptuelle de haute voltige qu'on veut servir à nos jeunes encore en maturation intellectuelle n'est manifestement pas appropriée à l'immense majorité d'entre eux. Il faut être compétent en maudit pour naviguer dans l'enseignement avec de pareils bateaux. Évidemment, ceux qui n'enseigne pas ne voit que la belle mise en page et pense que le calibre des textes est convenable à notre jeunesse à éduquer. Il ne voit pas le point d'interrogation permanent, puis la démission, que ces poutines vont instiller dans la tête de ces jeunes novices si l'on ne ramène pas tout cela un peu à leur niveau.
En ECR, dont j'ai glané les volumes (Tête-à-Tête, on les a renommé Mal-de-Tête!)récemment avec une nouvelle collègue, on atteint des sommets fabuleux. Je ne sais pas à quoi cela rime de faire réfléchir sur l'autonomie, la liberté et l'ordre social des jeunes de 12 et 13 ans, mais c'est dans le programme, alors on y est allé gaiement. Quand je pense qu'on y allait plus raisonnablement il y a 15 ans dans le développement de la relation de soi avec les autres en 3e secondaire morale, je me dis qu'on a perdu quelque chose. Quand je rencontre le concept d'absolu dans un manuel de secondaire 2, je ne peux pas ne pas me souvenir que je n'ai pas croisé ce terme avant mon cégep. Comment franchement réfléchir à l'ordre social sans un brin d'histoire récente, sans conception économique, sans expérience de la vie avec les institutions? En histoire et en géographie, même poutine, on saute des étapes manifestes pour plonger les jeunes dans des analyses conceptuelles de haut niveau. Utiliser des concepts d'analyse pour structurer la connaissance historique et géographique, alors que la ligne du temps et l'espace sont de loin bien plus naturels est une idée d'universitaires qui ont oublié qu'ils avaient été des jeunes.
A croire que ceux qui voulaient nos jeunes compétents se parlaient à eux-mêmes!
Vous misez en plein dans le mille avec votre commentaire. En lisant cet article, j'en ai presque eu de l'urticaire. Certains journalistes ont tendance à mélanger incompétence avec un manque de ressources. Lorsque l'on parachute les nouveaux enseignants en leur disant de se démerder de leur mieux, il se peut que le résultat en bout de ligne ne soit pas étincelant.
Pour ce qui est de l'Ontario, les congédiements pour incompétence sont pratiquement inexistant. Toutefois, l'ordre des enseignants force l'enseignant fautif à subir une formation avant de pouvoir réintégrer le marché du travail, ce qui devrait être la norme partout selon moi.
Et pan dans le mille, irremplaçable PM.
Au collégial, tous les professeurs sont soumis depuis un an à une évaluation des enseignements (et non des enseignants, pour ne vexer personne). Le cas échéant, un professeur pourrait se voir forcé de suivre une formation spécifique pour corriger certaines lacunes qu'auraient soulignées les étudiants par le biais d'un questionnaire d'évaluation.
Reste qu'en effet, c'est du journalisme plutôt jaune et démagogique.
JE ne partage pas toujours vos idées et propos, mais j'aime bien ce billet. Merci d'avoir partager cette réflexion. L'article en question m'avait échappé.
Vous avez raison sur le fond. Les reportages de La Presse étaient médiocres, foi d'ancien journaliste...au Devoir!
Cela dit, deux ou trois problèmes subsistent:
1- L'absence d'une obligation précise faite aux enseignants qui sont des professionnels et se reconnaissent comme tels, d'assurer leur formation continue, obligation que l'on retrouve pourtant dans beaucoup d'ordres professionnels.
2- Une frilosité certaine relative à la supervision pédagogique considérée généralement comme une mesure réparatrice pour les profs en difficulté, plutôt que comme une mesure normale pour assurer le progrès professionnel de chacun. Voir le site de l'Alliance des professeurs de Montréal.
3- La croyance parmi la profession qu'une fois acquis le brevet, la compétence est acquise pour toujours;
4- L'absence de consensus au sein de la profession sur le pertinence de l'évaluation et par conséquent l'absence de recherche sur les moyens de la faire adéquatement.
Bref, le statu quo est préféré depuis toujours à un véritable progrès dans ce dossier.
Bonjour,
Ce n'est pas la première fois que La Presse écrit de la m...
Je vous invite à lire un billet qui montre lui aussi la malhonnêteté intellectuelle de ce journal.
Comme quoi, il ne faut plus s'étonner de ce que pond Gesca.
http://lepamphletparu.blogspot.com/2009/04/pourquoi-la-presse-mirrite-deuxieme.html
Enregistrer un commentaire