Sitôt arrivé devant mon école secondaire faite de briques blanches et
brunes, l'autobus de la STCUM ouvrit ses portes et cracha son flot
d'écoliers bigarrés qui, eux-mêmes, crachaient leurs flots d'insultes et
de bêtises à qui mieux mieux. Le brun véhicule repartit en crachant,
lui aussi, une fumée infecte noire alors que nous nous apprêtions à
entrer dans ce lieu terne où certains de mes enseignants nous
cracheraient, à leur tour, vertement leur cours avec force de
postillons. Dire que certains de ces êtres autoritaires nous noyaient
sous le flot de leurs paroles ne relevait ni de la métaphore ni de
l'hyperbole. Nous essuyions parfois littéralement leur colère sur nos
visages.
Néanmoins, j'aimais l'école. C'était un lieu somme toute paisible. À cent mille lieux et exactement six kilomètres et demi de la maison familiale. La violence y était très peu présente. Des cris, des quolibets, du pousaillage, comme on dit, mais que des choses bénignes. Je pouvais m'y réaliser en oeuvrant dans les activités étudiantes. J'avais une valeur, des buts, une identité. Bien sûr, on me traitait parfois de «fif» parce que je réussissais en classe mais, là, au moins, je savais me défendre. À la petite école de mon quartier, comme j'étais parmi les plus grands, j'avais appris les rudiments de la lutte pour me débarrasser de tous ces petits teigneux napoléonniens qui s'en voulaient inconsciemment pour leur taille réduite et qui croyaient s'élever en s'abaissant à vouloir me foutre une râclée. J'avais simplement transféré ces acquis primaires au secondaire. Avec autant de succès.
Depuis la rentrée, les trajets autrefois monochromes en autobus avaient des couleurs différentes. Ils étaient blonds et bleus. Une ravissante fille d'à peu près mon âge montait maintenant à bord du collectif véhicule à quelques rues de chez moi. Je n'avais aucun mérite à la remarquer puisqu'elle était hautement remarquable. Là où par contre j'éprouvais une certaine gêne, c'était que je n'avais pas su masquer mon intérêt à mes camarades de classe qui voyageaient avec moi. Avaient-ils surpris un regard, un froncement de sourcils, une lèvre légèrement souriante, une joue rougissante? Jouissaient-ils de pouvoirs paranormaux et lisaient-ils dans mes pensées? Chose certaine, ils auraient mérité d'être immédiatement embauchés par une agence d'espionnage ou de rejoindre le trio des Champions dont j'écoutais les exploits chaque semaine à la télévision.
Cette idylle rêvée qui ne dépassa pas le stade du rêve dura deux semaines. Pendant celles-ci, mes camarades me prodiguaient une foule de conseils sur la façon d'aborder la nouvelle venue. Ce qui les surprenait était que ma gêne et ma timidité étaient inébranlables, malgré leurs assauts répétés pour m'inciter à poser le premier geste. Dans l'autobus qui sautait à chaque cahot et où mon coeur tressautait à chaque regard de la belle, je restais figé comme la statue de plomb dans laquelle j'avais décidé de me réfugier depuis des années. J'étais un amoureux incompétent notoire.
Puis, la mort de ma mère est venue troubler cette histoire. Pendant deux jours, je n'allais plus à l'école. Adieu l'autobus de l'amour, je funéralisais en famille. Le vendredi soir, au salon où on n'en finissait plus de mentir dignement, ce fut le choc: la belle blonde aux yeux bleus de mes transports quotidiens venait d'entrer dans la pièce où gisait la boite de bois contenant le corps cancéreux de ma mère. Que faisait-elle ici? Qui lui avait parlé de ce décès? Se pourrait-il que... Pendant trente secondes, j'analysais les milliers de scénarios qui venait à mon esprit, mais aucun ne semblait logique. Elle approcha de moi à côté d'un homme que je n'avais jamais vu auparavant et dont pourtant le visage me semblait familier. Comme s'il avait un air de famille.
Ma
cousine Nathalie faisait partie de ces ressuscités apparus à la suite
de la mort de ma mère. Elle demeurait à trois rues de chez moi. Depuis
des années. Mais mon oncle et mon père, qui faisaient pourtant le même
métier et étaient embauchés parfois par les mêmes employeurs, ne se
parlaient plus. Depuis des années. D'une main molle, celle qui m'était
maintenant apparentée m'offrit ses sympathies. Je ne savais si c'était
pour ma mère ou pour mes espoirs amoureux qui disparaissaient tout à
coup à cause des frontières inviolables qu'impose la génétique.
Le
lundi, après les funérailles de ma mère, j'étais de retour dans
l'autobus de la STCUM. Mes camarades de classe savaient tout de mon
histoire d'amour morte-née et avaient eu la gentillesse de ne pas me
taquiner. Tomber amoureux de sa cousine. Pathétique.
J'ignorais
tout d'elle et il me fallut donc oublier celle qui fut l'objet d'un de
mes premiers béguins au secondaire, ce que je fis. J'ignorais tellement
tout d'elle que j'appris seulement des années plus tard qu'il s'agissait
d'une enfant adoptée.
11 commentaires:
Cette belle prose a fait ressurgir chez moi plusieurs souvenirs devenus beaux avec le temps, comme si ce dernier venait arrondir les angles. Merci de partager.
Une prévision?
Sans lien avec ton post... Sais-tu ce qui est arrivé au prof solitaire... Son prof a disparu et je crois que c'est èa cause de sa convocation èa la CS. Je pense qu'ils ont trouvé son blogue. Si c'est le gars, j'espère qu'on peut l'aider.
Anonyme: ?
Guy: son blogue est seulement ouvert à des invités qu'il connait. Je n'y ai pas accès. Cette restriction est sûrement liée aux événements récents qu'il a connus.
Merci de l'info. J'avais son courriel hotmail èa une époque, lorsqu'il était èa son autre adresse. Dommage, j'aimais bien le lire. S'il se souvient du chevalier-ours (Blogue de France) et de mon adresse yahoo.ca j'aimerais bien garder contact.
Un tramway nommé Désir?
Anonyme: je peux vous le voler en partie?
Genre Un autobus nommé Désir?
Tramway ou autobus, vous aurez le même résultat n'est-ce pas?
Espérant que cette période de réjouissance te permettra de passer au stade 10, surtout si le réveillon du 24 a été émotif.
Merci pour vos articles,.... je dois avouer, je vous est trouver completement par hassard en cherchant pour location autobus les choses que l'on trouve sans savoir, l'article ma rappleller de mes jours quand j'habitait a Geneve et utilisait souvent les transporte publics.
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