Je suis un vieux prof nostalgique du temps où mon horaire de travail consistait à mes périodes d'enseignement et d'encadrement. On notait le tout sur une feuille de papier qu'on signait et remettait à l'adjoint de notre secteur.
Puis sont arrivées les négociations collectives où ils ont «obtenu» l'équité salariale. J'écris «ils» parce que, dans mon cas, cet ajustement équitable s'est traduit par à peu près rien du tout. J'étais «trop» scolarisé comparé à d'autres collègues. Les enseignants ont alors fait la preuve paradoxale que «Qui s'instruit s'enrichit» ne s'appliquait pas en éducation en acceptant une convention collective où des gens beaucoup moins scolarisés voyaient leur salaire majoré en fonction du beau principe: «Travail égal, salaire égal».
J'ai encore de la difficulté à croire que tous les profs avec un brevet A puissent accoter un prof correct ayant quatre années de formation universitaire. Mais bon. Un jour, je me dis qu'une entraineure d'ÉnergieCardio pourrait faire la job d'un professeur d'éducation physique et avoir le salaire qui va avec... puisqu'elle fait à peu près le même boulot que lui. Ça me semble équitable.
Je me dis aussi qu'on devrait pousser ce principe d'équité en fonction de la correction et du travail qu'on rapporte le soir à la maison. Je connais des profs qui n'en ont jamais, d'autres qui finissent par s'épuiser à la tâche. Travail égal? Mon cul, ou plutôt le cul de ceux qui se le pognent encore à deux mains, oui!
Quoi qu'il en soit, avec l'équité sont arrivés l'augmentation et le contrôle des heures travaillées. Ça, par contre, je connais bien. Maintenant, je dois remplir à l'ordinateur un horaire qui précise à la minute près tout le travail que j'effectue dans un cycle de neuf jours. Il existe ainsi 34 codes différents dans ma commission scolaire pour détailler ce que je pourrais faire dans une journée. Si j'ai bien compris, ces 34 codes se découpent en tâche d'enseignement (1845 minutes), en tâche éducative (305 minutes), en tâche complémentaire (185 minutes) et en travail de nature personnelle (540 minutes) dont je dois respecter le nombre exact de minutes.
Qui plus est, selon chaque direction d'école ou les années, les paramètres peuvent varier. Ainsi, cette année, on doit absolument prendre 50 minutes pour diner et allouer également au moins 25 minutes aux élèves pour diner. Si on suit ce raisonnement à la lettre, il est impossible ou presque de placer des activités le midi avec des élèves.
Bref, tout cela pour vous dire que remplir cet horaire de contrôle du temps travaillé est un enfer d'autant plus absurde qu'il ne correspondra jamais à la réalité.
Premièrement, parce qu'on ne peut prédire ce qui arrivera dans la journée d'un prof. Un élève vit une crise de larmes à 12h01. Mais ça ne rentre pas dans mon travail de nature personnelle puisque celui-ci exige que je ne sois pas en présence-élève. Un jeune a besoin de récupération après le cours? Aussi bien faire cela immédiatement, non? Oups! J'ai placé mon diner à l'horaire. Reviens dans 50 minutes.
Deuxièmement, quand on coupe mon salaire lors d'une absence, on ne tient absolument pas compte des éléments que j'ai placés à mon horaire. Allons-y avec un petit exemple. Je suis absent un jour 4. Par miracle, j'ai réussi à placer seulement cinq heures de travail ce jour-là en surchargeant mes huit autres journées. Eh bien sachez qu'on me coupera l'équivalent d'un deux-centième de mon salaire malgré tout (une journée complète). Un autre exemple: je n'avais placé qu'une heure de travail de nature personnelle un après-midi et je suis absent: on me coupe une demi-journée de travail. Bref, on me coupe du temps que je n'avais pas à faire! C'est pour cette raison que les profs s'absentent généralement les journées les plus chargées. Tu en veux pour ta coupure de salaire!
Troisièmement, les directions vérifient rarement si ton travail correspond à ton horaire. Elles le font quand elles t'ont pris en grippe ou que ton «absentéisme» est rendu trop important. Elles n'ont pas toujours le temps de s'occuper de cet aspect de la gestion du personnel. Moralité: les fraudeurs habiles peuvent dormir en paix. Par contre, les profs qui travaillent, eux, se font suer avec une augmentation du nombre d'heures à travailler et un horaire à la con à remplir.
Horaire à la con? Surtout quand notre propre syndicat dit que c'est la faute du patron si on doit le remplir et surtout quand le patron dit que c'est la faute du syndicat si... Comprenne qui pourra. Mais entre-temps, je me fais suer avec un processus administratif pénible, démotivant, inefficace et irréaliste.
Pas grave! Il a fallu des gestionnaires pour créer le logiciel que je dois utiliser pour compléter mon horaire, d'autres pour vérifier si je l'ai correctement rempli et ainsi de suite. Ça créé des emplois. Inutiles.
10 commentaires:
Et dans la tâche de «remplir à l'ordinateur un horaire qui précise à la minute près tout le travail», il faut bien sûr calculer le temps pour remplir ledit horaire. Ô joie du méta...
Je partage entièrement ton opinion. Depuis l'arrivée de cette manière de calculer notre temps, tout se monnaie et j'ai perdu beaucoup d'enthousiasme à faire des activités parce que justement, c'était rendu que je n'arrivais plus dans le temps.
Haaaaaa! Quel bon billet qui résume la pensée de plusieurs... enseignants!
De toute façon, ces heures sont absurdes étant donné que je connais peu d'enseignants qui ont la chance d'avoir suffisamment de temps au boulot pour tout faire. Si je travaille à la maison, pourquoi devrais-je m'en faire si j'arrive à 9h10 alors que je devais être à l'école à 8h50?
Même si je trempe dans le milieu un bout, même mes proches ne comprennent pas cette réalité lorsque je leur annonce que, parfois, j'ai du travail la fin de semaine... Imaginez la population en général...
De plus, ce qui est triste, dans cette façon de faire, c'est que, avec les années, je suis devenu, moi aussi, un spécialiste du calcul (pour ne pas dire un «calculator freak»!): je ne «m'embarque» plus dans des tas de projets qui m'amènent à «dépasser» le temps qui m'est alloué pour les accomplir!
Qui sont les perdants? Les enseignants? Les directions? Malheureusement, ce sont les élèves...
Bonjour,
C'est très cohérent avec la réforme et la société québécoise (vue par certains). Éxagérément égalitaire, favorisant la corruption (fraude, paresse) et complètement hostile aux gens compétents (lire: éduqués).
Vive le petit monde égalitaire des failbles, des paresseux, des incompétents et des gagnants de téléréalité.
Le temps que tu prends à remplir cet horaire est-il du temps payé ou du temps s'ul bras?
Anonyme 1: effectivement, quel est le code pour remplir l'horaire?
Isabelle: oui, c'est très navrant. On finit par ne plus avoir le temps de faire des activités avec les élèves. Pourtant, c'est ainsi qu'on fait des liens, qu'on motive, qu'on crée une appartenance.
Charles: Très juste! Les élèves mais aussi les profs qui ont envie de faire plus que de puncher...
Paul C.: Je n'irais peut-être pas jusque-là, mais disons qu'on démotive ceux qui ont de l'énergie.
Anonyme: ça dépend de mon horaire si je travaille à ce moment-là... : )
Ça fait quelques jours que je veux te répondre, PM. Mais je ne sais pas quoi dire devant tant d'absurdité administrative. Faque c'est ça: "..."
Au début, quand on remplissait ledit horaire absurde à la main, j'avais déduit 5,834528389 minutes par cycles de 9 jours, soit le temps requis pour remplir ledit horaire: la direction avait bien ri... jaune !
Maintenant, le logiciel utilisé pour remplir ledit horaire absurde limite les petites tranches à 15 minutes minimum...
La carte-à-punchisation de notre travail professionnel a eu le dessus sur... le professionnalisme reconnu, justement.
Vraiment triste.
Et bravo pour le topo complet sur cette situation ridicule, mais qui ne tue pas !
Heureusement, je travaille dans une commission scolaire ( probablement la seule ! ) qui n'oblige pas ses enseignants à faire cet horaire à la con. J,en suis bien heureuse ! En passant...nos élèves se classent premier au dernier examens du MELS dans notre région...
Julie: parfois, il n'y a rien à dire.
Sylvain: «La carte-à-punchisation de notre travail professionnel a eu le dessus sur... le professionnalisme reconnu, justement.» Très juste.
Anonyme: il n'y a peut-être pas de lien direct, mais des profs heureux travaillent mieux.
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