22 décembre 2011

Mon conte de Noël

Noël ne sera pas blanc pour la famille Charles. Pourtant, contrairement à celui de certains autres Québécois, il sera joyeux. En effet, pour la première fois depuis des années, il y aura un véritable réveillon le soir du 24 décembre et les enfants auront des jouets. Dans cette banlieue qu'est Longueil, ce cas n'est pas unique. Mais ce qui est unique cette année, c'est que cette famille avait été désignée par le hasard. Enfin. Pour une fois. Chanceuse.

Quand l'adjoint de l'école primaire de son fils l'avait appelé pour lui dire que sa famille faisait partie des douze à avoir gagné un panier de Noël, le père n'en avait pas cru ses oreilles. Il s'était senti le besoin de s'assurer qu'on ne lui jouait pas un vilain tour. Puis, doutant à nouveau de la bonne fortune des choses, il s'était mis à réfléchir. Comme il avait trop peur de la réponse, il n'osait pas poser la question qui lui torturait l'esprit. Le silence, qui avait étouffé la conversation, devint très pesant et causa un malaise. L'adjoint savait quoi ne pas dire. Le père, lui, voulait oublier ce à quoi il pensait.

Henry, le fils le plus âgé de la famille Charles, inscrit en troisième année, va souvent le ventre vide à l'école. Il bénéficie du programme des petits déjeuners et des diners gratuits. La Saint-Vincent-de-Paul lui avait offert une partie de ses effets scolaires en début d'année et des vêtements. Le jeune garçon a également des frères et des soeurs qui ne vont pas encore à l'école mais dont les besoins sont tout aussi criants. Habituellement, les vacances scolaires de Noël signifient pour Henry qu'il ne mangera pas à l'école, donc qu'il mangera moins. Mais pas cette année.

La famille Charles est pauvre et on peut faire bien des reproches aux parents. Les coeurs les moins durs, les moins aigris par la vie comprendront qu'ils sont démunis, surtout démunis d'éducation, de ressources à consulter, de repères pour les guider et de chance pour leur permettre de croire en eux.

Pendant que le silence s'éternisait lentement au téléphone, l'adjoint pensait à comment il apporterait les boites d'épicerie à cette famille. Il frapperait à la porte d'un appartement miteux qui coute pourtant 700$ par mois et remettrait une première boite d'aliments au père en lui expliquant qu'il redescendait en chercher d'autres. Puis, il ferait autant d'aller-retour qu'il y aurait de boites, les donnant une à la fois, pour ne pas avoir à entrer dans le logement, à moins d'y être invité. Voilà ce qu'il ferait. Pour ne pas gêner. Pour éviter le malaise qui, déjà, avait tué leur conversation.

Finalement, le père de Henry, à la fois fier et honteux, posa LA question: «Vous ne nous avez pas choisis parce que mon fils a l'air pauvre?» C'est là que l'adjoint comprit qu'il avait bien fait de mentir, de ne pas avoir avoué que sa famille avait été retenue parce que les intervenants de l'école avaient remarqué les difficiles conditions dans lesquelles elle vivait.

Un pieux mensonge. Pour célébrer une fête encore quelque peu religieuse. Cela lui sembla tout à coup de circonstance.

11 commentaires:

Le professeur masqué a dit…

Je ne voulais pas gâcher ce récit avec l'ajout suivant:

L'histoire racontée dans ce conte est, comme le consacre la formule, véridique mais aussi trop fréquente. Les noms, les lieux et certains détails ont été changés. Ce qui ne change pas est la pauvreté de certains jeunes Québécois.


Cette semaine, des directions d'école livreront jeudi ou vendredi des paniers de Noël à des familles d'élèves. Dans d'autres cas, ce seront des enseignants ou des membres du personnel. Pas de flafla. Pas de guignolée médiatique. Que des collectes faites auprès d'élèves plus nantis. Des écoles qui nourrissent des jeunes démunis. Les ventres seront moins vides, mais qui s'occupera de rassasier leurs espoirs?

Anonyme a dit…

Merci pour cette histoire professeur masqué. Je suis émue...
Paola ;)

Marc St-Pierre a dit…

Soulager la misère momentanément, c'est la partie facile. Fournir à ces enfants des outils pour s'en sortir, notamment en leur apprenant à lire avant la fin de la 1ère année, c'est la partie difficile. En même temps, on bâtit nos vies sur nos souvenires d'enfants. Et des Noëls heureux, c'est un gros morceau de tout ça.

Joyeux Noëll Prof Masqué, même si ce n'est pas politiquement correct de dire ça. Pour les druides à l'écoute: joyeux solstice !

La mère qui s'pense meilleure que les autres a dit…

C'est beau et très triste, parce que si je comprends bien l'état d'esprit du père, s'il avait appris qu'on leur donnait cela parce qu'ils sont pauvres, il aurait refusé. Et ça aurait été un signe que pour certains pauvres, il n'y a pas d'espoir puisque le plus gros problème est à l'intérieur d'eux-mêmes.

Il y a beaucoup de pauvres qui sont terriblement orgeuilleux et qui supportent leur pauvreté, et la font subir à leur famille, parce qu'ils ne veulent pas s'abaisser à ceci, à cela, à faire tel type de boulot, à accepter telle charité. Pour moi, ça mérite des baffes. Dès qu'on met des enfants au monde, la priorité, avant même notre égo et notre orgeuil, c'est eux.

Joyeux Noël, merde. De la part d'une ancienne pauvre.

Le professeur masqué a dit…

Paola: attends ce soir.

M. St-Pierre: vous voyez, sans être démago, je crois que tous les ministres et hauts fonctionnaires devraient faire de telles livraisons. Simplement pour connaitre concrètement ce que sigifie donner. Pas de l'argent, du temps, mais de un je-ne-sais-quoi de plus engageant. Pour apprendre. J'ai fait un bout de la Guignolée cette année, trier des conserves, porter des boites. On parle beaucoup de la réussite des pays scandinaves. Le sens de la communauté des élus là-bas est autrement développé.

Mère: je suis d'accord. Quand je parle d'être démuni, je parle aussi d'être démuni de repères. Mais pas des baffes. Pour éduquer, ça ne fonctionne pas.

La mère qui s'pense meilleure que les autres a dit…

Je constate encore une fois que le mépris que l'on a, dans nos sociétés, pour la valeur hautement éducative des baffes, sera difficile à combattre tant il est répandu. Pourtant, la baffe (au figuré, et au propre!) est parfois la façon d'éduquer la plus efficace et la plus respectueuse.

Comme j'aurais aimé que quelqu'un, quelque part, respecte mon père au point de lui en mettre une bonne. Mais personne ne l'a jamais fait, et il n'a jamais changé.

Je pense qu'on maquille notre manque de courage (administer la baffe) sous une bonne couche de prétention morale ("ce n'est pas bien!"). Surtout les parents, ceci dit.

marc st-pierre a dit…

PM: qu'ils le fassent, anonymement, loin des caméras.

Gen la vilaine a dit…

Quand je vois des actions faites ainsi, sans flafla, sans artifice, juste pour faire plaisir, ça me console souvent avec la vie :)

C'est pas vrai que tout le monde pense juste à son nombril de nos jours... Y a encore des gens qui croient en la bonté :)

unautreprof a dit…

On fait de même avec les élèves pour les activités spéciales pour nos plus démunis organisées par des organismes du milieu, où on ne doit en choisir que 2 par classe.
On leur dit qu'on a pigé.
Certains ont plus de chance que d'autres à la pige faut croire...
Mais maudit qu'on haït ça en choisir seulement 2! On consulte les collègues des années précédentes : «lui, il y était allé l'an dernier?»
Dans une école où la cote de défavorisation est de 9, ben mettons qu'on pourrait y aller pas mal toute la gang.

Anonyme a dit…

Cher Pm...tu avais raison...

Paola ;)

Prof Solitaire a dit…

Touchant... et très vrai, je le sais.

Joyeux Noël à toi, mon cher collègue masqué!