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Libre opinion - Mes élèves, je suis fier de vous
André Cournoyer, Enseignant en sixième année à Montréal
Ils étaient vraiment beaux dans leur costume et leur robe des grands jours. Ils étaient tellement grands et fiers. Dans le groupe, il y avait de jeunes couples qui vont devoir se défaire, des amitiés qui vont se perdre. Certains déménagent, Gatineau, Laval ; d’autres retournent même dans leur pays d’origine. J’ai connu des enfants motivés, intéressants et intéressés, ouverts aux autres et qui sont l’avenir du Québec et du Canada. Dans ma classe de 21 élèves, j’avais 14 langues maternelles différentes, et ce, sans compter l’anglais et le français.
Pouvez-vous imaginer un jeune Africain, originaire du Congo, fan de hockey et du Canadien de Montréal ? Avez-vous déjà rencontré des enfants d’origine chinoise et sud-américaine qui se retrouvent le soir pour aller patiner et glisser ? Imaginez le spectacle du temps des Fêtes avec de jeunes filles de religion musulmane, foulard sur la tête, qui, avec leurs amis, bouddhistes, sikhs, chrétiens et autres, chantent des cantiques de Noël. C’est la réalité des élèves du Montréal d’aujourd’hui. Et je suis privilégié d’en être.
J’ai connu aussi des parents impliqués, ouverts aux autres, attentifs à leurs enfants. Parfois inquiets, mais tellement motivés à réussir leur nouvelle vie. Certains venaient le soir prendre des cours de français dans la même classe que fréquentait leur enfant le jour. Je leur souhaite à tous bonnes vacances et bonne chance. Bonne chance au secondaire à mes anciens élèves et bonne chance dans leur nouveau pays à leurs parents. Je leur souhaite de continuer d’être ce qu’ils sont. Ils peuvent être satisfaits de ce qu’ils font et nous pouvons nous estimer chanceux de les avoir avec nous.
Si j’en crois le ministère de l’Éducation, il ne me reste que trois ans à pouvoir vous parler ainsi de mes élèves. Dans trois ans, avec l’implantation de l’anglais intensif, ils ne vont que passer dans ma classe, où ils n’y seront que cinq mois, dont un à faire des examens. Il ne me restera alors que quatre mois pour les connaître et leur enseigner tout ce qu’ils devront apprendre.
Ce sera fini pour nous les sorties scolaires où ils découvrent Montréal et son environnement, le Québec et sa culture. Ce sera fini pour nous les projets où ils explorent les sciences qui influencent leur vie, l’histoire de ce pays qui les accueille, la géographie de ce territoire qu’ils habitent et où ils s’informent sur les religions de leurs amis et voisins.
Finie l’école en dehors des classes, finis les projets d’art un tant soit peu élaborés. Nous n’en aurons plus le temps. Nous n’aurons plus le temps, les élèves et moi, de nous apprivoiser. Je ne connaîtrai plus vraiment leurs parents. Finalement, ce sera aussi fini le temps du prof complice, proche de ses élèves.
Il me reste trois ans à aimer ce que je fais avant de penser changer de niveau, comme envisagent de le faire plusieurs autres collègues enseignants de sixième année. Nous laisserons la place, comme cela se fait déjà dans les commissions scolaires où l’anglais intensif (et autres matières diluées) est déjà implanté, aux nouveaux enseignants fraîchement sortis de l’université et qui, après deux ans, vont probablement eux aussi changer de niveau, désabusés et épuisés d’avoir voulu enseigner en quatre à cinq mois ce qui se fait aujourd’hui en dix.
Je pars dans quelques jours pour sept semaines me ressourcer, refaire le plein d’énergie, d’idées, de projets à réaliser pour pouvoir continuer à vous dire, quelques fois encore, à quel point je suis fier de mes élèves de sixième.
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André Cournoyer, Enseignant en sixième année à Montréal
2 commentaires:
Oh ça me serre le coeur! Quelle lettre à point et pertinente. Quelle tristesse!
Si triste et si vrai !
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