L'enseignant qui a montré la vidéo sordide du meurtre commis par Luka Rocco Magnotta a été congédié. Comme il s'agit d'un employé précaire, la décision était d'une évidence crasse et je ne suis pas convaincu que son syndicat travaillera très fort à contester son congédiement. Un précaire dont le contrat finissait dans moins de deux semaines, pffff. Reste à savoir si le lynchage continuera par la suite et qu'on tentera de révoquer son permis d'enseignement.
Maintenant, plusieurs questions me viennent en tête. Parce que réfléchir au lieu de donner une opinion instantanée, ça sert à ça.
Une notamment qui est très délicate: que peut-on montrer aux élèves en classe comme image ou support visuel? Par exemple, vous enseignez l'histoire (ou l'équivalent en novlangue réformé). Comment aborder la Shoah, les camps d'extermination? Comment aborder le massacre de Nankin ou la guerre du Viet-Nam? Où tracer la limite?
En tant que tel, l'enseignant congédié a voulu (bêtement, stupidement et autres adverbes synonymes) inscrire sa démarche dans un cadre pédagogique. Ce serait le cas également dans les exemples que j'ai indiqués plus haut.
La seconde: si cette vidéo n'était pas celle d'un crime réel, aurait-on eu la même réaction? Combien de collègues ont fait écouter des films d'horreur abjects à des groupes d'élèves comme «activités récompense» sans que personne n'y trouve à redire?
Âme sensible que je suis, je repense à tous ces films en science et en biologie avec des gros lions mangeant des zèbres et autres animaux malheureux. J'en faisais des cauchemars!
L'enseignant congédié a manqué de jugement, c'est vrai. Mais où tracer la limite, je me le redemande? Et cela valait-il un congédiement?
7 commentaires:
Surtout je me demande: le congédiement en tant que sanction est-il causé par le geste lui-même ou par la peur de "perdre la face" devant l'opinion publique? La CS devait peut-être craindre que toute autre mesure disciplinaire de "moindre envergure" allait encore davantage diminuer la confiance des gens envers le système public, confiance qui est déjà assez mince...
Le Prof
Il faut bien sentir les autres pour faire ce métier. Reconnaître le malaise quand il s'installe et aussi être un peu à l'affut et souvent anticiper.
Dans certains moments, nous abordons avec nos jeunes des aspects troubles de l'homme, cela fait parti du métier car nous devenons des références pour les jeunes que nous influençons et ils nous interpellent régulièrement. Combien de fois ai-je vu des vidéos ou des photos dans la salle informatique ces derniers temps visibles sur nombre de journaux en ligne de ce fameux cannibale de Floride?
Il est de notre devoir aussi de ne pas céder à certaines complaisances.
Aborder cette expérience de voyeurisme extrême avec des jeunes ne me semble pas du tout professionnel et je comprends donc assez la réaction générale à cet événement. ET évidemment, cela nous interpelle sur le pouvoir important qu'on nous accorde d'être adulte influant auprès de jeunes. Je m'interroge sur ce recours démocratique pour décider de ses actes pédagogiques.
Il y a certainement un sens de la limite à méditer! Si on veut jouer les chamans, la classe n'est peut-être pas la place appropriée.
Le Prof: tout à fait. Je décide de présenter «Nuit et Brouillard» dans mes cours. Il m'arrive quoi?
Jonathan: je suis en partie d'accord. Un enseignant marquant est toujours un chaman en soi. Sinon, il est un technicien. Le problème est de savoir ce qu'il propose. Et comme tu le dis, d'avoir de l'écoute et de l'empathie.
J'ai déjà été témoin de ce que peut créer l'ingérence de journalistes dans une école. Le sensationnalisme, les demi vérités, les êtres humains que l'on écorche au passage. Je me souviens d'une chose très clairement: la peur de la direction et de la cs. J'émets donc l'hypothèse que c'est cette même peur chez les hauts dirigeants qui a accéléré le processus de congédiement de l'enseignant dont il est question ici. On se débarasse d'une belle patate chaude. Bien que je déplore et reste bouche bée devant un tel manque de jugement chez un enseignant, je me dit que les médias ont grandement contribué à sa perte.
Ici, la couverture journalistiques a été assez correcte, je crois. Ce sont les commentateurs, certains leaders d'opinion instantanée et les tribunaux populaires qui ont placé la barre très haute. La CS a voulu réglé l'histoire rapidement. On verra ce que fera l'enseignant. Parfois, on laisse tomber les recours parce qu'on a l'assurance d'être replacé ailleurs ou un deal semblable. En même temps, un précaire pour deux semaines de salaire va-t-il livrer une telle lutte?
N'importe quoi!Pourquoi scrapper une "erreur de jugement"? Je connais des profs qui ont fait beaucoup plus pour paraître super cool face à leurs élèves, peu importe le degré.
De mon côté, j'ai été très choquée d'entendre qu'un pédagogue avait montré des images réelles d'un meurtre à nos enfants, même si ceux-ci sont adolescents. De mon point de vue, une telle décision aurait dû passer devant la direction pour approbation. Celle-ci aurait pu choisir d'impliquer le CÉ ou de simplement demander au prof de prévenir les parents par une petite lettre à signer. Déjà, son erreur de jugement aurait soit été corrigée par les parents ou approuvée.
Ce n'est pas parce que des images extrêmement violentes sont créées pour les films ou vidéos sur internet, que des images épouvantables circulent facilement et librement sur internet, que nous devons nous transformer en courroie de transmission de ces horreurs.
Mais bon, je n'ai pas de télévision (j'en ai une, mais elle ne prend plus les ondes), mes enfants ne jouent pas encore aux jeux vidéos (la plus vieille a 7 ans) et j'ai été convaincue par de nombreuses études que les images violentes étaient très nocives pour les enfants (réelles ou fictives, puisqu'ils ne font pas la différence entre l'imaginaire et la réalité), de même que pour les adultes... j'imagine que je doit paraître très bizarre. Selon moi, on devrait éviter de se désensibiliser comme ça en regardant des images de comportements violents.
Je trouve cependant le parallèle avec les animaux très douteux... et facile. Les animaux se nourrissent ainsi... une fois repu, ils ne chassent pas pour le plaisir. Nous, nous élevons les porcs et les poules de manière bien plus choquantes, dans des conditions écoeurantes, sans que vous soyez tenté d'en faire un rapprochement avec la diffusion d'un meurtre commis par un humain sur un autre humain. Également, aucun risque que la famille du zèbre soit choquée par la vidéo montrée dans le cours de bio...
Pour moi, cette vidéo, c'est comme les films d'horreur ou violents qui présentent un viol en l'érotisant... (du point de vue de l'agresseur, bref). À quand la diffusion d'un véritable viol en direct dans un but pédagogique ?
Le problème, c'est que cela n'est JAMAIS pédagogique car il est impossible de se mettre à la place de la victime. C'est inconvenant pour la famille de la victime, cela perpétue le crime sur la personne (à l'égard de la famille, imaginons que ce serait notre enfant la victime!) et cela contribue simplement à horrifier nos enfants et à les désensibiliser par la suite, puisque c'est le mécanisme de défense de l'être humain pour gérer les horreurs.
Alors, aucun but pédagogique. Par contre, au sujet de comment enseigner l'histoire et ses horreurs : lire un témoignage d'une victime des camps de concentration (et dieu sait qu'il y en a de la littérature concentrationnaire - je suis en littérature hihi!), ça, c'est pédagogique : faire lire, faire de la micro-histoire, généraliser et relativiser, comparer, analyser (j'ai été prof de français pendant 1 an, hihi!). Lire des récits de découvertes, de guerres, regarder des vidéos témoignages, etc.
Je voudrais tellement qu'on nous laisse tranquille avec toutes les images sensationnelles et violentes présentées dans les médias, circulant dans les médias sociaux et internet... On n'a pas besoin de voir ça pour pouvoir se sentir concernée. Au contraire, je pense que ça nous paralyse et nous mène à l'inertie plutôt qu'à une envie de changer les choses...
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