Depuis quelques semaines, on parle d'une éventuelle campagne électorale au Québec, mais aussi de l'impact qu'auront les nouvelles technologies de l'information et des communications sur celle-ci, dont évidemment Twitter.
Deux événements sont venus alimenter ce débat: un commentaire supposément sexiste écrit par le chef de la Coalition Avenir Québec, François Legault, à l'effet que les femmes accorderaient moins d'importance au salaire dans le cadre du choix d'un emploi et un échange accusant les souverainistes d'être racistes de la part de Kamal G. Lutfi, candidat de la même formation politique dans Chomedey et démis le 22 juillet de ses fonctions à la suite de ses propos controversés. D'ailleurs, le lendemain, le «loose cannon» de Laval tirait cette fois sur son ancien chef, affirmant que celui-ci lui aurait confié que «quand il était au PQ il y avait effectivement des séparatistes RACISTES».
Réglons tout de suite deux choses: la première est que M. Legault n'est pas sexiste et que ses propos - au demeurant très défendables - s'appuient entre autres sur une étude de l'OCDE. Qui plus est, son intervention sur Twitter a été rapportée par certains intervenants de façon hors contexte, comme ce pourrait être le cas pour n'importe quel commentaire émis oralement ou à l'écrit, soi-dit en passant. Twitter n'est donc pas en cause ici. La deuxième est que M. Lufti a tenu des récriminations qu'il aurait pu transmettre oralement ou par le biais d'un courriel. Certains pyromanes n'ont pas besoin de Twitter pour se brûler.
Si l'on résume les propos de divers commentateurs, Twitter serait donc un piège pour les politiciens et il conviendrait qu'ils ne l'utilisent pas pour plusieurs raisons
Tout d'abord, Twitter ne permettrait pas de développer une pensée approfondie à cause de la longueur des messages que l'on peut émettre grâce à celui-ci. Pourtant, si je veux, je peux tweeter la Bible au complet par le biais de ce média. Ça serait long, mais possible. En fait, le présent texte pourrait être transmis par le biais de Twitter. On peut aussi greffer des liens à un message, au besoin, pour appuyer ou illustrer notre pensée. Enfin, il est possible de spécifier que le tweet que l'on a émis est le premier d'une série de dix, par exemple (1/10) ou utiliser twitlonger.
Oui, il est vrai que Twitter est conçu pour émettre préférablement des messages courts, d'où les risques de raccourcis dangereux. Mais un message court ne signifie pas nécessairement qu'il soit superficiel. Je pense à toutes ces citations de George Bernard Shaw, de Woody Allen ou de Cioran. Elles ont peu de caractères, ce qui n'enlève en rien de leur profondeur et de leur sagesse.
Mais voilà: nos politiciens ne sont pas tous des Churchill et ne savent pas tous manier le verbe avec autant d'intelligence et d'esprit de concision. Il est bien connu d'ailleurs qu'ils écrivent rarement leurs discours politiques. Également, autrefois, peu d'hommes politiques voyaient leurs propos diffusés de façon aussi importante alors qu'aujourd'hui, même le dernier des candidats d'un troisième parti peut envoyer ses écrits dans la sphère publique à l'aide d'un simple cellulaire. On le constate très bien dans le cas de Kamal G. Lutfi.
Et puis, il y a le caractère instantané de Twitter qui peut jouer de vilains tours au politicien intempestif. Doit-on toujours réagir publiquement dans la seconde à une situation? Je ne crois pas. Il m'arrive de prendre deux ou trois jours avant de réagir sur ce blogue à certains événements. Mais aujourd'hui, le politicien qui n'occupe pas immédiatement l'espace public est désavantagé par rapport à un concurrent. Le jeu en vaut-elle la chandelle?
Une autre difficulté avec Twitter réside aussi dans son
caractère interactif qui permet difficilement d'installer un dialogue, contrairement à la fonction clavardage de MSN ou Facebook. On y va davantage au mode «Un
Tweet, une réponse.» L'usager est, en quelque sorte, conditionné à
produire des «one liners», un peu comme un humoriste, et à attendre une
éventuelle réaction. Ici, ce n'est pas la longueur des tweets qui limite
la réflexion, mais leur caractère même qui nuit à
l'approfondissement de la pensée. Par ailleurs, chaque réaction est autant d'occasions
de faire dévier le propos de l'autre. À ce sujet, je comprends mal que
l'on parle de «tweet fight» au moindre échange suivi comme ce fut le cas
avec François Legault, chef de la CAQ, et Martine Desjardins, présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec. Mais il faut dire qu'au Québec, un échange entre deux individus
ayant des points de vue opposés est immédiatement associé à une engueulade...
Si Twitter peut être un instrument de communication efficace, il permet aussi de montrer publiquement que certains de ses
utilisateurs politiques sont simplement des cons ou des individus très malhabiles en ce qui à trait à leur façon de s'exprimer à l'écrit . L'homme politique traditionnel doué d'une grande éloquence à l'oral et qui s'appuie sur une bonne équipe de rédacteurs ne correspond plus aux exigences qu'on a envers le politicien 2.0. Cette nouvelle ère des communications est bien plus exigeante que celle que l'on a précédemment connue.
Rappelons-nous d'ailleurs de ce moment historique où Jean Lesage, alors premier ministre du Québec, avait battu à plate couture le leader unioniste Daniel Johson lors du premier débat des chefs télévisé en 1962 sur les ondes de Radio-Canada. Plus que les talents de tribun du chef libéral, c'est le brio avec lequel on avait amené cet homme politique à bien utiliser ce nouveau média qu'était la télévision à l'époque qui aura permis à Jean Lesage de terrasser son adversaire.
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