19 avril 2009

Colombine et la haine de l'école

Il y a dix ans, les médias nous présentait une vision d'horreur: le drame de l'école Colombine. Deux jeunes gothiques homosexuels néo-nazis se livraient à un carnage dans une école qui les rejetait. Ça, c'était la version de l'époque. Version qui faisait bien l'affaire de certains idéologues qui ont eu le beau jeu de souligner le caractère «répressif» de l'école et qui remettaient en cause celle-ci.

Or, après une longue enquête (ici et ici), le journaliste américain Dave Cullen jette un regard totalement différent sur les deux adolescents à l'origine de cette tuerie. Je publie ici de longs extraits du texte d'Elma Elkouri pour que vous avez une bonne idée de la complexité des deux ados assassins.

«(...)les tueurs Eric Harris et Dylan Klebold n'étaient pas ces personnages caricaturaux assoiffés de vengeance que l'on aurait sans doute aimé qu'ils soient. Ils n'étaient pas victimes de la raillerie de leurs pairs ou adeptes d'une sous-culture mystérieuse.

Eric Harris est décrit par Cullen comme un jeune homme brillant et sociable. Le genre d'élève qui a toujours la main levée en classe, qui a toujours la bonne réponse. S'il était fasciné par la violence meurtrière et les armes, il n'en laissait rien paraître devant ses professeurs. Dans son cours de création littéraire, il pouvait écrire des poèmes pour dire non à la haine et oui à l'amour universel. Il flirtait, jouait au soccer et au bowling. Mais sa face cachée était celle d'un jeune homme manipulateur, calculateur, incapable d'empathie, qui réussissait froidement à leurrer tout le monde.

Des analyses psychiatriques approfondies ont fini par indiquer qu'Eric Harris était sans doute un réel psychopathe. Un diagnostic à rebours qui ne résout pas le crime, comme l'explique Dave Cullen, mais qui permet d'en établir les fondements. En commettant son crime, Harris voulait démontrer sa supériorité et en jouir.

Dylan Klebold était bien différent de Harris. Il est décrit comme un jeune homme brillant, lui aussi, mais bien plus timide. Il était le cadet d'une famille unie. Il aimait le baseball. Il était très bon en mathématiques. Il avait des projets d'études universitaires. Il avait une copine. Ils étaient allés ensemble au bal de fin d'études. Ils avaient pris des photos. Elle portait une robe de satin bleu. Il portait un smoking.

Ce que l'on a compris trop tard, c'est que sous cette façade d'adolescent ordinaire, Dylan Klebold était dépressif. Il était mal dans sa peau, il avait une piètre estime de lui-même. Il avait des idées suicidaires. Il noyait son mal de vivre dans la vodka. Ce n'était pas un gars d'action. Mais il s'est accroché à Harris qui, lui, en était un et qui a détourné son mal intérieur. D'où la question: aurait-on pu prévenir la tragédie si on avait détecté la dépression de Klebold?»


Même s'il est facile de résumer cette tuerie en affirmant qu'elle est l'oeuvre de jeunes perturbés psychologiquement, il n'en demeure pas moins que le Colorado a tiré certaines leçons de Colombine, dont celles de réduire l'accès aux armes à feu et de prendre plus au sérieux les menaces de tueries de ce genre. Par contre, souligne le journaliste Cullen, les services pour accompagner les jeunes en détresse psychologique sont toujours aussi déficients.

Qu'en est-il au Québec et au Canada?

Pour ce qui est des armes à feu, beaucoup de chemin reste encore à faire et on peut être découragé de constater que le gouvernement Harper veuille encore aujourd'hui alléger le contrôle entourant celles-ci.

De même, en ce qui a trait aux services d'aide psychologique dans les écoles, beaucoup de chemin reste à faire. En même temps, il ne faut pas oublier que la santé mentale d'un enfant relève tout d'abord des parents.

Par contre, on accorde aujourd'hui beaucoup plus d'importance aux menaces ou projets de menace se déroulant à l'école. Heureusement.

5 commentaires:

Ness a dit…

Déjà 10 ans demain depuis la tragédie de Columbine.

Aide psychologique dans les écoles?? On parle de services complémentaires ici?? Malheureusement, ce n'est pas demain la veille que l'offre de service va augmenter. Les jeunes souffrent. De plus en plus tôt.

PS: C'est un beau jeu de mots que vous avez fait, Prof!! "le Colorado a TIRÉ certaines leçons de Colombine"... hihihi

Le professeur masqué a dit…

Ness: quand j'ai écrit ce passage, je me suis fait la même réflexion que toi. Puis, je me suis dit qu'il n'y avait que moi d'assez... tordu pour faire ce lien

La_Minicia a dit…

c'est clair que votre cerveau est plus rapide que le mien, parce que moi je n'avais pas fait le lien! C'est triste tout de même... cette tuerie... pas la lenteur de mon cerveau! :P

Miri@m a dit…

Vous l'avez bien dit:"la santé mentale d'un enfant relève tout d'abord des parents". Les écoles peuvent disposer de services d'aide psychologiques sensationnels, mais si le suivi ne se fait pas à la maison, tous les efforts émis par l'école peuvent s'effondrer, d’un seul coup de baguette magique.

Évidemment, le tempérament de l'enfant, les personnes significatives qui rôdent autour de celui-ci restent des facteurs primordiaux et il faut en tenir compte. Par contre, tous ces éléments, si bons peuvent-ils être, ne peuvent pas contrer de fléaux grandissant de tueries dans les écoles. Cette déprime juvénile grandissante m'effraye, me désole, me rend confuse et impuissante.

En tant que future enseignante, j’aspire à porter une attention particulière à ces jeunes imprévisibles qui paraissent en santé et heureux. Malgré l’accès aux armes à feu qui diminue et les nombreuses préventions que les écoles mettent en place, je crois que ce ne sera pas assez. Il faut briser cette solitude qui se construit dans le quotidien du jeune, tenter de les sortir de leur désespoir et de leur vide intérieur. Beau défi utopique? Peut-être. Mais il faut commencer quelque part. Risquer. Il faut voir au de-là des apparences douteuses du jeune contemporain et permettre à tous et à chacun de retrouver l’essentiel parmi la panoplie d’illusions qui les entourent.

Anonyme a dit…

En tant qu'enseignant je crois qu'il est de notre devoir de détecté les élèves qui ont le mal de vivre ou qui sont victime d'harcelement et d'intimidation. Par contre, nous devons par la suite avoir accès facilement et rapidement au soutien nécessaire pour aider ces élèves. Je crois aussi que malheureusement les cas d'élèves désespérés seront de plus en plus fréquent. Est-ce notre société qui est mal adaptée aux problèmes que peuvent vivre nos jeunes? Ou est-ce les enseignants qui sont mal outillés pour repéré les élèves en détresse émotionnelle. L'enjeu est malheureusement vital bien souvent.