Je suis amené à côtoyer davantage des profs de première secondaire et leur réalité est d'une absurdité incroyable. Pourquoi? En partie à cause du non-doublement qui existe entre la première et la deuxième secondaire.
Dans tout notre système scolaire, il est possible d'indiquer à un élève qu'il doit reprendre son année, mais pas à ce moment-là. Au nom du respect du rythme d'apprentissage, un jeune voit son parcours scolaire échelonné sur deux années avant d'être soumis à une évaluation normative déterminante. Résultat: beaucoup de procrastination jusqu'à l'évaluation finale.
Souvent, l'élève arrive du primaire avec des retards parfois importants, selon l'école qu'il a fréquentée. Il faut alors procéder à une plate mais nécessaire mise à niveau. Mais qu'est-ce que le jeune apprend dès qu'il met les pieds en première secondaire: personne ne double, tout le monde passe en deuxième de toute façon!
Il existe depuis quelques années des classes-ressources qui permettent aux élèves trop faibles arrivant du primaire de prendre une année de plus avant de faire le véritable saut au secondaire. Mais elles ne suffisent pas à la demande.
D'ailleurs, dans le réseau public, il n'est pas surprenant qu'on assiste à une polarisation de la clientèle: augmentation des jeunes en difficulté d'un côté et des programmes de performance de l'autre. Un parent fera donc tout pour que son enfant ne soit pas inscrit dans une classe ordinaire du réseau public.
Bref, avec le non-doublement, le plus absurde est qu'on donne ainsi l'impression à l'élève qu'il a deux ans pour atteindre les objectifs du programme alors qu'en fait, s'il cumule des retards académiques importants dès les six premiers mois, il est souvent tout simplement hors course pour les reste des deux prochaines années! Il n'a pas deux ans pour voir le programme: le programme dure deux ans. Nuance!
L'enseignant peut alors utiliser son génie pédagogique, proposer des activités motivantes, mais nous avons tous été jeunes et ceux d'aujourd'hui ne sont pas plus différents de ce que nous étions. Bien sûr, il existe des enfants avec qui on peut expliquer qu'il vaut mieux ne pas cumuler de retard et valoriser la culture de l'effort, sauf qu'ils ne sont pas légions dans les classes ordinaires. Même dans les classes performantes, ce discours n'est pas toujours intégré par les jeunes.
Toute cette dynamique a des impacts sur le corps enseignant. Depuis un an, je vois parfois des profs désabusés. À l'usure, ils ont fini par ressembler à leurs élèves. J'ai déjà entendu des phrases comme:
- rien de ce que je fais compte aux yeux des élèves;
- ils vont tous passer pareil.
Dans certains cas, ces enseignants ont même l'impression d'être devenus incompétents parce que leur gestion de classe et les résultats de leurs élèves sont devenues une source de gêne professionnelle alors qu'auparavant, ils étaient des maitres de leur profession.
De façon plus absurde, il n'existe aucun moyen actuellement de s'occuper des élèves potentiellement décrocheurs du premier cycle. On doit principalement attendre qu'il aient terminé leur deuxième secondaire avant d'envisager des moyens pour les appuyer. Interdit de créer des groupes interniveaux. Interdit de faire doubler à la fin de la première année. Quant aux ressources d'accompagnement des élèves en difficulté durant l'année, elles sont proprement débordées. Et on ne parle pas des élèves intégrés qui alourdissent les groupes ordinaires.
Les directions d'école sont au fait de ce problème, mais il leur est difficile de prévoir des mesures pour contrer ce problème.
Le plus cruel dans tout cette dynamique pourrie est qu'à la fin de la deuxième année du secondaire, on ne fait pas doubler tous les élèves qui le devraient parce que sinon les cohortes de troisième seraient diablement petites. On fait alors encore passer les élèves et on les refile aux profs de troisième. Bonne chance!
Et à cette époque ou le décrochage scolaire est supposé être l'ennemi national numéro un, ou est l'année critique pour les jeunes qui mettent fin à leur parcours académique? Vous l'avez deviné: en troisième secondaire.
Loin de moi l'idée de croire que le doublement est une solution magique à tous les problèmes. Cependant, il est clair dans mon esprit que la situation actuelle - telle que vécue au quotidien et non pas imaginée dans l'esprit de ceux qui n'ont pas enseigné depuis des années - est non seulement intenable pour les profs mais injustement cruelle pour les jeunes.
6 commentaires:
Tu décris exactement la même réalité qu'au primaire!!
C'est innocent rare.
Le primaire et le secondaire, même combat! L'un continue l'autre, qu'on se le dise! Et il n'y a rien d'innocent là-dedans!
Cette réforme est un véritable FIASCO!
A l'école, des petits cons, on y danse, on y danse
Bon, merci pour cette sagacité et bravo toujours pour le front de poser clairement ce que tous (enfin, quand on regarde la réalité en face) nous observons un peu partout. Je parlais de déni ailleurs...
Dans l'esprit de leur programme de cons ou d'idéaux à la noix de coco, nous devrions prendre l'élève où il est pour le mener où il peut aller en individualisant notre démarche. On n'enseigne pas individuellement dans des groupes de 30 élèves, c'est impossible.
A partir de là, s'il n'y a pas de changement dans ces ratios, il y a une logique d'organisation serrée et intelligente à tenir. Il s'agit d'appliquer le traitement ou l'enseignement à des groupes les plus homogènes qui soient au plan des profils pour avoir un effet maximal. Bref, ne pas nier le problème est une évidence. La réforme, qu'on l'ait renouvelé ou pas, qui va contre tout souci d'efficacité réaliste d'organisation devrait franchement être repensé en profondeur. Il y a longtemps que l'on parle de son imposture...
Pourquoi y a-t-il toute cette merde?
D'abord, on essaye de faire avec le budget de la fin des années 80 sans avoir indexé rien de rien...On a beau nous dire que l'éducation, c'est 10 Milliards... Il y a 20 ans, on en mettait 8,5 Milliards. Cherchez l'erreur... Des classes spéciales organisées pour répondre au besoin de rattrapage coûtent des sous. Repensez notre système pour nous sortir de l'impasse d'avoir fermé l'accès à des écoles de métiers aux jeunes qui en ont vraiment besoin requiert aussi des efforts substantiels...
Évidemment, en pleine crise du travail, en garder qui ne font rien au plus bas prix, dans des culs-de-sac, arrange peut-être les gestionnaires de population...
Conséquence: la contre-culture des jeunes atteint des sommets ces années-ci. Des jeunes qui en bandent connaissent trop bien leur pouvoir. Ils sont toujours plus jeunes. Ça fait trop d'années que je l'observe, trop d'années que je ne trouve pas la chose normale qu'on n'en parle pas. Vous voulez les causes du décrochage: le babillage sourd dévalorisant la scolarité répété par les jeunes en difficulté qui veulent éviter de travailler pour être confronté à leur échec dans un système qui ne met rien (de vrai, je ne parle pas des solutions cosmétiques à la mode) en place pour l'aider... A quoi ça sert? Bout de viarge, regardez autour de vous, c'est la civilisation que la scolarité a créé...
Les profs motivent d'un bord, les jeunes se démotivent de l'autre... Vive la liberté d'expression!
Pour moi, un jeune qui se croit plus malin qu'un adulte a fini d'avancer. Le pire, c'est qu'il se leurre. Il aurait bien à apprendre surtout qu'il a l'âge et le temps pour cela, mais tout le convainc que non...
Le système scolaire ne sera jamais parfait. N'empêche qu'on pourrait sûrement faire mieux si on y mettait les moyens...
Gooba: déprimant...
Anonyme: la continuité dans une certaine médiocrité...
M. Bissonnette: je connais bien vos écrits et vos thèses pour les avoir lus et utilisées. Je vous dirai que, dans le cas que je soulève, effectivement, la réforme est pratiquement une hécatombe. Elle fonctionne avec les groupes performant avec lesquels j'enseigne mais, au secteur ordinaire...
Jonathan: il ne faut pas croire que tous les adultes ont raison, mais je partage en bonne partie cette phrase: «Pour moi, un jeune qui se croit plus malin qu'un adulte a fini d'avancer.»
À cet égard, en traitant les jeunes comme des adultes, en leur expliquant leurs droits (et rarement leurs obligations), en les situant comme le nombril de l'apprentissage, on ne leu rend pas toujours service.
C'est à espérer (pour les jeunes de sixième année) de se "planter" avec brio pour aller en classe spéciale au secondaire ou de réussir avec éclat pour aller dans les groupes enrichis. La classe ordinaire est la grande perdante de la réforme (pardon, du Renouveau pédagogique)
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