Note: vous pourriez penser, en lisant cette chronique, que je manque d'humilité. Il n'en est rien. Ma plus grande certitude personnelle est que j'ai encore beaucoup à apprendre
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Ce matin, Foglia parle éducation et, dans la conclusion de sa chronique, il mentionne que bien des jeunes enseignants (il aurait pu ajouter des vieux, tant qu'à y être) ont peu de culture générale. Je ne peux hélas que lui donner raison!
C'est sûr qu'à l'ère de Google, les enseignants pourraient être plus un «médiateur qu'un informateur», comme on le suggère ce texte de Daphnée Dion-Viens dans Le Soleil, mais je demeure convaincu qu'un enseignant doit incarner le savoir et être doté d'une culture générale très largement au-dessus de la moyenne. Plus encore, il doit être doté d'une CURIOSITÉ générale qui le pousse à s'intéresser à ce qui se passe autour de lui.
À part les maths (désolé Miss...), il m'arrive souvent d'avoir envie d'assister à certains cours donnés par des collègues. J'ai envie d'apprendre, d'en savoir plus. Il me semble que c'est un trait qu'on devrait transmettre à tous nos élèves. Or, pour le transmettre, faut-il encore l'avoir.
De plus, je crois qu'un enseignant doit être capable d'impressionner ses élèves par son savoir et ses compétences. Il m'est souvent arrivé que de mes élèves me demandent: «Mais monsieur, comment vous faites pour savoir ça? Comment vous faites pour être intelligent de même» Inévitablement, je leur réponds: «Je ne suis pas intelligent. Je m'informe, c'est tout. Je lis ou je pose des questions à des gens qui connaissent.» Et ceux-ci de me répondre parfois, le sourire aux lèvres: «C'est vrai, vous ne pouvez pas être intelligent: vous êtes un prof...»
De plus, ce comportement permet de tisser des liens plus serrés avec les élèves et entre les matières enseignées dans les différents cours qu'ils suivent. Je peux connaitre leur monde, partager leurs passions, mais aussi leur montrer à quel point les savoirs sont intereliés. Je crois d'ailleurs que ceux-ci respectent plus un prof de français qui peut parler de participes passés, de monter à cheval à la western, de Nascar ou de la guerre d'Algérie que celui qui ne décolle pas de son cahier d'exercices.
Je ne veux pas faire un relevé exhaustif des lacunes de certains collègues, mais j'en ai déjà côtoyé une qui ignorait que Venise était en Italie. Dans un registre plus péteux de bretelles, j'en ai connu un autre qui se targuait de connaitre LA littérature, mais ne pouvait mentionner qu'une seule oeuvre de Camus...
Je ne dis pas que, pour être un bon enseignant, il faut posséder un tas de savoirs livresques, mais l'absence de ceux-ci et d'une notion de curiosité générale me semblent être déplorables.
17 commentaires:
J'abonde en ton sens surtout en ce qui concerne la curiosité générale. De plus, plusieurs de nos jeunes sont eux-mêmes souvent bien curieux et ouverts ce qui rend les discussions avec eux intéressantes. Les cours en sont plus riches aussi.
Pour moi, cette critique envers les profs n'est pas fausse, mais elle pourrait s'appliquer à l'ensemble de la société. Évidemment, comme le prof transmet un savoir et est en relation avec des jeunes, ce manque de culture général (mais surtout d'intérêt envers...) a plus d'impact.
D'accord à 100%.
Dommage, mais c'est la réalité! Lors de rencontres avec les profs, j'ai parfois été sidérée par les fautes de français sur leurs tableaux noirs... et ce n'était pas de la main des élèves! La curiosité, le désir d'apprendre plus, de comprendre mieux, les profs devraient donner l'exemple oui, mais les parents ont aussi une très grande responsabilité.
Je vous lis avec beaucoup d'intérêt.
généralE...
En fait, beaucoup de professeurs se campent dans leur matière : ils peuvent expliquer n'importe quelle notion, mais dans leur domaine seulement.
J'enseigne le français, mais souvent, je fais appel à la géographie, l'histoire, la science, même les maths !
Comparez la culture avec du pain de blé entier ! Moi je préfère être un prof de blé entier, avec de la culture et avec l'envie de la partager avec mes élèves, plutôt qu'un prof de farine blanche, plate et sans culture.
Encore faudrait-il définir la culture. Celle avec un grand C, vestige d'un autre temps dont certains babyboomers sont nostalgiques? Ou celle d'aujourd'hui qui dit que le hockey, internet, les maths, la géographie, la littérature-sans-que-ce-soit-les-grands-auteurs, la musique-pas-nécessairement-classique, la bouffe, les voyages? J'opte pour la seconde.
«J'ai envie d'apprendre, d'en savoir plus. Il me semble que c'est un trait qu'on devrait transmettre à tous nos élèves. Or, pour le transmettre, faut-il encore l'avoir.»
Ceci est tellement vrai !
«De plus, je crois qu'un enseignant doit être capable d'impressionner ses élèves par son savoir et ses compétences.»
Ici aussi.
De mon expérience, de tels profs (si rares) ont été des modèles de philosophie de vie pour moi: chercher à comprendre, raisonner, questionner, sur tout, et plus encore. Intégrer le tout.... questionner encore...
De tels profs sont ceux qui ont débordés de leur matière, ont mis en perspective ce qu'ils venaient de nous enseigner.
Ceux qui terminent le dernier 15 minutes du cour avec «un recul» sur la matière.
«Je ne dis pas que, pour être un bon enseignant, il faut posséder un tas de savoirs livresques, mais l'absence de ceux-ci et d'une notion de curiosité générale me semblent être déplorables.»
Encore d'accord ici.
Ce que les jeunes cherchent est de comprendre le monde dans lequel ils vivent.
Le fait de mettre une connaissance en perspective avec ce monde est ce qui les intéressent, bien plus que la connaissance comme telle...
Ils ont soif de «comprendre» bien plus que de «savoir»...
Plus que d'accord, je considère que ce devrait être une évidence, d'où les hauts cris de plusieurs (dont moi) lorsqu'on a charcuté le diplôme de pédagogie en le recentrant autour des outils de transmission au détriment des cours plus généraux de littérature, d'histoire, etc. Et on me permettra de jeter un petit pavé dans la mare en réponse à Julie : c'est précisément à force de confondre la culture et le divertissement culturel que nous nous retrouvons avec des étudiants (et des profs) qui n'ont plus que des coups de coeur Renaud-Bray comme référence et qui sont incapables d'amener les jeunes vers autre chose que ce qu'ils connaissent déjà. L'école est le lieu de transmission d'un savoir antérieur, pas d'un savoir actuel. Tant mieux si on est capable d'actualiser ce savoir-là en le reliant à un système de référence qui leur est familier, mais je ne crois pas qu'ils ont besoin qu'on leur apprenne internet, non plus que le hockey, Bryan Perro ou Loco Locass. Je suis toujours stupéfait des vertus automatiques qu'on accorde à la lecture, quelle qu'elle soit, comme si c'était un exploit en soi que de faire livre un bouquin (bien que je sache très bien que parfois c'en est un) et qu'à ce compte, n'importe quel suffirait à faire des étudiants des lecteurs. Il en va de même pour la culture et si par malheur on s'entête à affirmer que la culture n'est pas le divertissement du tout venant, on est aussitôt traité de vieux gâteux nostalgique.
Ce que dit Foglia, c'est que l'école républicaine qu'il a connue lui a permis de sortir de la misère culturelle dans laquelle il avait grandi. Pour plusieurs de nos élèves, l'école est la seule voie d'accès vers cette culture, appelons-là savante ou sérieuse, voire élitiste, comme vous voulez, mais si l'école ne donne plus accès à cette culture à Tit-cul Tremblay ou à Chloée N'guyen, comment y seront-ils exposés ? Pas à la télé, pas sur internet non plus puisqu'ils n'y iront pas si on ne leur a pas entrebaîllé la porte.
Un autre prof: d'accord pour le manque de culture en général, mais un prof est un agent de transmission. Il a une plus grande responsabilité, au même titre qu'un journaliste, par exemple.
Marico: les parents? C'est un peu vache, mais je suis déjà heureux quand ils s'occupent de leur enfant et ne motive pas n'importe quelle absence...
Klassy: alors, je suis un pain avec 14 sortes de grain...
Julie: moi, j'opte pour les deux!
François: soif de comprendre, de savoir et de découvrir!
Satraperoi: un peu comme Julie, je crois qu'il faut un mélange des deux. La culture classique était le divertissement d'autrefois. Et dans la culture d'ajourd'hui, on retrouve des classiques de demain! Mais j'aime bien cette référence à l'école républicaine.
Ce n'est pas évident pour un prof de devenir un siphon à connaissance. Je pense que c'est viser trop haut, même. Et on retombera toujours sur une minorité qui suivent cette "voie", comme le dit les anciens coms.
Déjà, aux profs, on peut leur demander qu'ils maîtrisent bien leur domaine de prédilection et surtout qu'ils sachent l'expliquer et le faire vivre. Autrement dit, qu'ils sachent insuffler de la passion dans leur cours. Et ça, accroche-toi, parce que c'est pas du gâteau.
Mais bon, on peut rêver. Parce qu'en réalité, on n'apprend pas à un prof son métier. Il l'apprend à grande peine lui-même sur le terrain. Et ce type de pratique "sauvage" ça sera toujours insuffisant et bancale. Je n'apprend rien aux concernés!
Cordialement,
Brice.
Je suis plutôt d'accord avec Satraperoi. La culture, ça s'acquiert. Ce que décrit Julie est en grande partie du divertissement culturel et c'est très bien. Mais une culture littéraire, musicale, cinématographique, etc. doit inclure la connaissance du passé. J'adore Stephen King et Metallica, mais ils ne remplaceront jamais Hugo et Bach qui eux ont passé l'épreuve du temps. J'n'ai pas la prétention de connaitre le futur, mais j'ai l'impression qu'on retiendra plus Messiaen que Metallica.
La plupart des profs que je connais pensent comme Julie. Je suis un vieux con.
Mon cher prof masqué préféré, je suis tellement d'accord avec toi.
(Et vraiment, et en toute prétention, si tu venais à mes cours, tu trouverais ça cool les maths, car on y fait de l'histoire, de philo et des analyses de textes (les maths deviennent presqu'un prétexte pour se rencontrer !)
Qu'on ne se méprenne pas: je suis prof de littérature dans un cégep, je sais ce qu'est la culture classique, je l'aime, je la connais et je l'enseigne. Mais à trop vouloir encenser les "vieux classiques" au détriment de l'actuel, ça reste en travers de la gorge de nos étudiants et je passe à côté d'un de mes mandats: éveiller les jeunes à la lecture et à la culture pour qu'ils s'y intéressent tout au long de leur vie. Si c'est par Metallica que je leur fais découvrir Bach, pourquoi pas?
Désolé Julie, j'vous avais prise pour une potentielle consoeur...
C'est tout de même un peu déprimant que même dans un cours de littérature au collégial, il faille se soucier du goût de lire des étudiants. C'était la même chose en musique. Les étudiants en avaient pour la plupart rien à cirer de l'analyse et des oeuvres du passé s'ils ne les jouaient pas.
Je comprends que plusieurs nouveaux (ou vieux) profs manquent de culture générale. Mais c'est davantage un phénomène de société. Les statistiques le prouvent: le hockey fait plus parler que la politique. Si les élections portaient sur le choix du gardien de but du CH, le taux de participation serait ridiculement élevé!
Parmi les approches d'apprentissage en lecture (souvent bidons) qu'on nous enseigne à l'université, celle-ci est la plus intéressante: passer par la culture populaire pour aborder la classique. Passer par Twilight pour aborder Dracula? Pourquoi pas?
Je n'irais pas jusqu'à faire lire Twilight, mais ça peut très bien servir d'introduction.
Il ne faut pas dénigrer la culture populaire. Ça serait dénigrer les élèves puisqu'ils baignent dans celle-ci. On ne peut pas revenir en arrière: les gens passent plus de temps à chatter qu'à lire ou à s'informer. Les profs ont le devoir de s'informer, mais je crois qu'ils ont aussi le devoir de s'adapter aux nouvelles générations.
Je vais encore m'inscrire en faux, j'ai l'habitude. Peut-être est-ce attribuable au fait que ma formation est double, littérature et musique, mais il m'a toujours semblé que la musique offrait un excellent modèle de pédagogie parce qu'elle a l'avantage de l'absence de sens, qui fait écran au principe de transmission. Pas facile de faire aimer Bach à des étudiants. C'est vieux, ça ne les "interpelle" pas, comme dirait un pédagogo. Que faire alors ? Passer par Métallica, ça ne me dérange pas, bien que je doute du résultat : c'est bien plus Métallica qui en sortira gagnant ("eille, y sont aussi forts que Bach, cool !) J'ai pour ma part opté pour une autre attitude : ils n'aiment pas ça ? Et puis après ? Je ne suis pas là pour enseigner l'amour de la lecture, je ne suis même pas certain qu'une telle chose s'enseigne, et ne crois certainement pas qu'elle importe. Savoir lire m'apparaît plus important qu'aimer lire, comme savoir conduire une voiture est plus important qu'aimer ça (je déteste pour ma part). Quand on enseigne Bach, c'est pour entre autre expliquer le fonctionnement et la maîtrise du contrepoint, de l'harmonie, ce n'est pas, ultimement, pour faire des élèves des amoureux de Bach. Le même principe s'applique en littérature, sauf que pour bien des profs, ça devient une question morale, voire personnelle ("j'aime ça moi, et j'y trouve du plaisir, donc je vais vous montrer à y trouver le même plaisir", ce qui revient à imposer notre vision du monde. Moi, j'appelle ça du prosélytisme culturel plutôt que de l'enseignement). Je trouve curieux qu'en éducation physique, cette question-là ne se pose même pas : veut-on qu'ils aiment le sport ou veut-on qu'ils en fassent ? Veut-on qu'ils aiment les maths ou qu'ils en maîtrisent les arcanes ? Veut-on qu'ils aiment l'histoire ? Ils n'aiment pas Victor Hugo, bon. Il faudrait donc passer par Garou ? Il est normal à quinze ans de préférer Black eyed peas à Bach et à 18, Karkwa à Beethoven. À 25, 30 ans, s'ils ont été préparés à passer à autre chose, ils passeront peut-être à autre chose. Et s'ils ne le font pas, tant pis, ce n'est pas grave. Nous leur auront au moins donné la liberté de ce faire. La liberté que donne l'éducation, c'est un concept qui semble avoir complètement disparu des écrans radar.
Satrape: Tu sais, ça fait 17 ans que j'enseigne et je ne sais même pas encore si la lecture, ça s'enseigne...
Prof masqué : tu dis ça par amertume sans doute. Lire, c'est avant tout comprendre les codes grammatical, syntaxique et orthographique. Ça, ça s'enseigne. De là à déchiffrer un texte, aller au delà du sens premier, il y a un pas de géant, je sais. Tout le monde peut apprendre les gammes et les arpèges. Ce n'est pas la même chose que faire de la musique, mais ça commence là. Et des gammes, c'est plate en titi, je t'assure. Sauf qu'une fois maîtrisées les gammes, le reste est mille fois plus facile.
De mon côté, j'essaie de ne plus m'en faire avec ça et de ne plus le prendre comme un rejet de ma personne quand mes étudiants n'aiment pas Baudelaire, ou Verlaine, ou Ducharme, bref quand ils n'aiment pas l'objet de mon enseignement. C'est même la principale chose que m'auront apprise mon expérience d'enseignant : ne pas confondre l'objet (matière) avec le sujet (moi-même). Ça me permet d'enseigner des choses que je n'aime pas nécessairement, et de ne pas déprimer si mes étudiants n'aiment pas ce que j'aime par-dessus tout, Rimbaud par exemple, qu'on ne peut réellement comprendre qu'avec l'âge.
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