12 février 2011

Décrochage: les futiles comparaisons

Ce matin, le JdeM traite de décrochage en citant en exemple l'Iowa où neuf garçons sur dix ne décrochent pas. La recette magique comprend deux ingrédients principaux: «l'importance de développer un «sentiment d'appartenance à l'école» par le biais d'équipes sportives, par exemple, et la «flexibilité» dans les horaires des ados, qui leur permet notamment de travailler tout en étudiant.»

Je me méfie toujours de ces comparaisons. Ayons un peu de recul. Quelle est la valeur du diplôme que décrochent ces élèves? Attendez que je me rappelle. Ah oui: les États-Unis sont au 17e rang en lecture et au 23e rang en sciences aux derniers tests PISA 2009. Et on ne parle pas de cette pratique qui consiste à faire passer les élèves pour qu'ils puissent demeurer membres des équipes sportives locales...

Comprenons-nous bien: les comparaisons sont nécessaires et sources d'enrichissement à condition d'être correctement effectuées. Ce qui ne semble pas le cas ici. Je ne dis pas que certaines solutions américaines ne méritent pas notre attention. Je ne crois simplement plus aux recettes magiques qu'on nous sert à la petite semaine.

Et puis, il y a l'exemple asiatique, tiens. Shangaï, Singapour et Hong Kong sont constamment dans le top 5 du PISA. Qu'attend-on pour imiter l'exemple asiatique!

(Pour les lecteurs ayant des problèmes de lecture, je souligne que cette dernière phrase est empreinte d'ironie. On ne sait jamais...)

7 commentaires:

Fc a dit…

Je vis et surtout j'assite, impuissante au décrochage de mon fils.

Tellement...

Sébastien Ménard a dit…

Ce que vous oubliez de préciser, Prof Masqué, c'est le rendement de l'Iowa au sein de l'ensemble américain : c'est un des trois États les plus performants, toutes disciplines confondues.

Les É.-U., dans leur ensemble, ont beau ne pas figurer au sommet des tests PISA, en quoi cela devrait-il nous empêcher de nous inspirer des mesures déployées par cet État américain, s'il réussit là où le Québec échoue lamentablement, c'est-à-dire en faisant réussir ses garçons ?

Quand vous faites allusion à des écoles américaines qui font «passer leurs élèves pour qu'ils puissent demeurer membres des équipes sportives locales», vous ne faites sûrement pas référence à l'Iowa que j'ai visité. Là-bas, un élève qui échoue à la fin d'un semestre est plutôt SUSPENDU de toute équipe sportive pour une durée de 30 jours. C'est LA LOI.

Vous oubliez aussi de souligner que l'Iowa est cité en exemple par un des plus grands experts québécois de la question du décrochage scolaire des garçons, le professeur Égide Royer, de l'Université Laval. Cet État américain est LA juridiction qu'il a choisi de mentionner, l'automne dernier, dans son plus récent livre traitant de la question. Appelez-le, vous verrez qu'il jubile face aux mesures déployées là-bas.

Une dernière chose : depuis quand accordez-vous de la crédibilité aux tests PISA ? Allez donc relire vos propres commentaires des 9 et 12 décembre derniers.


Un fidèle lecteur de votre blogue,
Sébastien Ménard
Le Journal de Montréal

Le professeur masqué a dit…

M. Ménard : merci tout d’abord pour votre commentaire et le ton courtois de celui-ci.

C’est rigolo : il y a quelques secondes, j’avais un échange avec une intervenante en éducation qui me reprochait le mot «futile» dans le titre de ce billet. Elle le trouvait trop fort, peut-être avec raison.

Je n’ai rien contre les comparaisons, bien au contraire. Mais encore faut-il que celles-ci soient justes et complètes. Votre commentaire apporte des précisions importantes et je vous en remercie. Le risque de ces comparaisons cependant est de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs sans comprendre ce qui se fait là-bas et de l’importer ici sans tenir compte de notre réalité.

Il est sûr que ma référence aux tests PISA est quelque peu surprenante. Je crois qu’il s’agit d’un outil parmi d’autres qui nous permet d’avoir un certain portrait d’une réalité, mais sûrement pas un portrait exact et parfait de celle-ci. C’est un outil très critiquable, je le concède (surtout quand on l’utilise pour affirmer que la réforme est un succès). Si je l’ai utilisé, c’est à défaut d’autre instrument de comparaison. Mais il est assez juste d’affirmer que le réseau de l’éducation américain connaît de graves difficultés.

Le problème que j’ai avec le débat soulevé par votre texte est qu’il mélange implicitement décrochage scolaire, fréquentation scolaire et performance académique. Ces jeunes Américains ont fréquenté l’école et n’ont pas décroché, soit. Mais qu’ont-ils appris? Qu’ont-ils réalisé comme apprentissages concrètement? Quelle est la valeur des apprentissages qui ont été effectués? La persévérance, je veux bien, mais à quelles conditions quant aux apprentissages? Voilà un point que j’aurais aimé voir dans cette comparaison.

Par ailleurs, vous soulignez que l’Iowa est un des trois états les plus performants des États-Unis. Cette donnée est intéressante, mais mérite d’être relativisée. Comment se compare l’Iowa avec d’autres ensembles géographiques? Pour l’instant, pour ce que j’en sais, pour faire une analogie avec le hockey, c’est qu’il est un des trois meilleurs joueurs d’un club très moyen.

Lorsque je fais référence à certaines écoles américaines qui font passer leurs élèves pour qu’ils demeurent membres d’équipes sportives, j’ai en tête un exemple d’une université où certains élèves réussissaient des cours auxquels ils n’avaient jamais assisté. Bien que vous énoncez qu’il existe un loi en Iowa, je me permettrai deux commentaires :
- on n’a pas à être suspendu quand on réussit, mais qui valide cette réussite?
- Depuis quand une loi est-elle automatiquement garante de la réalité?

Un dernier commentaire : s’il existe des solutions au décrochage scolaire au Québec, pourquoi en parle-t-on depuis plus de 40 ans? Pourquoi, avec toute l’expertise ministérielle et universitaire, cette situation perdure-t-elle?

Sébastien Ménard a dit…

Je suis content d'échanger avec vous, Prof Masqué. Mais je ne reviendrai pas sur l'ensemble de votre billet. Seulement sur votre dernier point, si vous permettez. Le temps me manque...

Il est vrai que la situation perdure, sans doute depuis plus de 40 ans (ça, malheureusement, je ne suis pas assez vieux pour l'affirmer). Le hic, c'est justement qu'on fait toujours appel à «l'expertise ministérielle et universitaire», au Québec. Rarement à l'expertise du terrain, selon ce que j'entends un peu partout.

Il est cependant faux d'affirmer, comme vous le laissez entendre, qu'on fait appel à «toute» l'expertise disponible. La preuve ? Le professeur Égide Royer, à qui je faisais référence précédemment, est appelé en renfort par le gouvernement français, depuis quelques mois. Son expertise est sollicitée sur toutes sortes de questions. Mais chez lui, au Québec, ce sont surtout les médias qui le consultent...

Un point fondamental, en terminant, qui répond en partie à plusieurs de vos interrogations.

Peut-être n'avez-vous pas lu mon reportage au complet. Peut-être le texte secondaire que nous publions en page 2, ce matin, vous a-t-il échappé. Quoi qu'il en soit, il y a une une différence fondamentale de «culture», entre le Québec et l'Iowa, quant à l'importance sociale de l'éducation. Là-bas, décrocher n'est tout simplement pas une option. Chez nous, c'est une toute autre histoire.

Bonne journée!


Sébastien Ménard
Le Journal de Montréal

Le professeur masqué a dit…

M. Ménard: Je citerai ce texte d'Vves Boisvert de La Presse.

*****

«Le constat le plus révélateur du rapport Ménard sur la persévérance scolaire était l'écart d'intérêt pour l'éducation entre le Québec et le reste du Canada.

Quand on a demandé aux Québécois s'ils jugeaient «extrêmement important d'assurer la bonne connaissance de la lecture, de l'écriture et des mathématiques», ils ont répondu oui à 81%. Les parents québécois ont effectivement l'éducation de leurs enfants à coeur.

Sauf que dans le reste du Canada, on a répondu oui à 94%.

Diriez-vous qu'il est extrêmement important d'acquérir une attitude disciplinée par rapport aux études? a-t-on demandé aussi. Oh, oui, ont dit 61% des Québécois sondés. C'était 80% dans le reste du Canada.»

*******

Cette attitude des Québécois n'explique pas tout, mais il s'agit assurément un des facteurs importants reliés au décrochage: les Québécois accordent moins d'importance à l'éducation.

Un autre extrait:

«Seulement le quart des francophones de 25 à 34 ans ont un diplôme universitaire au Québec. Chez les anglophones du Québec, c'est 35% et chez les immigrants, c'est 37%.»

*****

Une question comme ça: le décrochage est-il surtout une affaire de petits Québécois pure laine? À première vue, on serait tenté de conclure que oui.

Existe-t-il des données reliées au décrochage en fonction de l'«appartenance ethnique»? Il serait intéressant de vérifier cela.

http://www.cyberpresse.ca/chroniqueurs/yves-boisvert/201011/14/01-4342653-pour-une-fois-que-charest-a-raison.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_aujourdhui-sur-cyberpresse_267_accueil_ECRAN1POS1

Le professeur masqué a dit…

Premier extrait intéressant:

Les francophones semblent par ailleurs éprouver davantage de difficultés à terminer leurs études que leurs pairs issus des communautés culturelles.

Selon des données basées sur 2009, le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires est de 62 % chez les francophones, comparativement à 82 % chez les élèves dont la langue d’usage à la maison est le vietnamien, 78 % dans le cas du chinois, 67 % pour l’arabe et 65 % pour le persan.

http://fr.canoe.ca/infos/quebeccanada/archives/2010/10/20101005-152907.html

Deuxième extrait:

· En 2006, dans la grande région, 29 % des jeunes de 15 à 24 ans ne fréquentent pas l’école. C’est le cas de 25 % de ceux dont la langue maternelle est l’anglais, de 26 % des allophones et de 31 % des francophones. 6
· Le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires est de 82 % chez les élèves montréalais dont la langue d’usage à la maison est le vietnamien, de 78 % dans le cas du chinois, de 67 % pour l’arabe [Maghreb et Liban], de 65 % pour le persan [Iran], de 52 % pour l’espagnol [Amérique latine] et de 40 % pour le créole, en comparaison de près de 62 % chez les francophones. À Toronto et à Vancouver aussi, certains groupes issus de l’immigration réussissent mieux que le groupe anglophone, mais cet avantage est généralement moins marqué, sauf dans le cas des locuteurs du chinois. 9

http://www.quebecdroite.com/2010/10/education-du-grand-montreal.html

Dernier extrait:

Par ailleurs, les analyses de régression multiple montrent que lorsque l’on tient compte de leurs caractéristiques de départ, la probabilité d’obtention d’un DES chez les élèves non francophones est supérieure à celle des élèves francophones (rapport de cote de 1,39). Mais elles illustrent également l’existence de différences majeures entre les groupes. Les locuteurs du chinois ont ainsi trois fois plus de chances que les francophones d’obtenir leur diplôme, alors que chez les créolophones, la probabilité est de quatre fois moins.

http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/viepedagogique/152/index.asp?page=dossierB_2

Le professeur masqué a dit…

Des facteurs autres que l'appartenance à une communauté culturelle peuvent influencer ces chiffres: niveau socio-économique, scolarité des parents et principalement de la mère.

La sélection effectuée dans certains cas au niveau de l'immigration peut possiblement être une variable à considérer.