24 février 2011

Une bicyclette pour un dyslexique (ajout)

C'est cette image qui m'est venue en tête à l'annonce des mesures contenues dans le discours inaugural de la nouvelle session parlementaire du premier ministre Charest.

Voici ce que le premier ministre a annoncé concernant l'éducation et mes réactions à chaud.

Tableau blanc interactif et portable

J'annonce que chaque classe de chaque école du Québec sera dotée d'un tableau blanc intelligent et que chaque professeur sera muni d'un ordinateur portable.

Argument avancé par M. Charest pour appuyer cette mesure:

«Nos jeunes sont attirés par les nouvelles technologies. C'est leur univers. L'école doit s'inscrire dans cette réalité. Le tableau noir, celui que nous avons tous connu, sera modernisé.»

Je m'interroge beaucoup sur l'impact réel du tableau blanc interactif en classe. Est-il vraiment utile? Son utilisation est-elle optimale ou servira-t-il de rétroprojecteur high tech? Ces questionnements me semblent fort légitimes et je dois avouer ne pas avoir trouvé de réponses satisfaisantes à ceux-ci. De plus, quelle formation aurais-je pour apprendre m'en servir et qui va me la donner?

Concernant le portable, encore une fois, comment cette mesure sera-t-elle implantée concrètement dans nos écoles? Qui gérera cet immense parc d'ordinateurs? Qui les paiera? Y aura-t-il une formation adéquate quant à leur utilisation? Trouvera-t-on aussi des techniciens informatiques en nombre suffisant dans nos écoles? Imposera-t-on une marque précise? Aurais-je la possibilité d'y intégrer les logiciels de mon choix?

Je tiens également à souligner que les écoles n'ont pas toutes les infrastructures techniques pour appuyer l'implantation de portables et de TBI. Qui paiera ces infrastructures comme des réseaux sans fil ou des connexions par câble?

À ce sujet, je souligne quelques éléments importants qu'on apprenait récemment:

- 32,8 % des ordinateurs installés dans les écoles secondaires ne sont pas reliés à Internet.
- 62,1 % des enseignants avouent n'utiliser qu'une «minorité» des applications de télécommunication des nouvelles technologies, comme la correspondance, les échanges et les forums.
- 51,2 % des enseignants du secondaire n'ont pas une «maîtrise suffisante» des nouvelles technologies pour les intégrer dans leur enseignement.


Dans l'ensemble, tous ces objets finiront-ils par être, à l'usage, des gadgets ou de véritables outils pédagogiques?

Le sport

Le sport est un élément central de la vie étudiante. C'est une voie de réussite scolaire. Il crée de saines habitudes. Il enseigne de précieuses leçons sur soi, sur les autres et sur la vie. Il y a au Québec un engouement pour le sport étudiant. Les gradins se remplissent d'élèves et de parents; la fierté des équipes scolaires rejaillit sur des communautés entières. Quand on est fier de son école, on y reste et on y réussit.

J'annonce que le gouvernement investira pour renforcer la fierté et l'appartenance liées aux équipes interscolaires. Toutes les écoles secondaires publiques du Québec auront les ressources pour améliorer les équipements d'entraînement et doter leurs équipes d'uniformes que les élèves seront fiers de porter.


Tant mieux pour les profs d'éducation physique. Mais je reviendrai sur ce point.

L'anglais

Depuis 2003, nous avons augmenté le temps consacré à l'étude et à la maîtrise de la langue française. Notre langue, c'est notre identité; c'est aussi notre force. Notre langue, c'est un instrument de liberté. En cela, il n'y a aucune opposition entre la pleine maîtrise du français et la connaissance d'une deuxième et d'une troisième langue.

J'annonce que les élèves de 6e année du primaire consacreront la moitié de leur année à l'apprentissage intensif de l'anglais. Cette approche sera progressivement étendue à tout le Québec sur un horizon de 5 ans. À cet égard, nous mettrons en valeur des collaborations nouvelles entre commissions scolaires francophones et anglophones.


Il est vrai qu'on a augmenté le temps consacré à l'étude du français, soit, mais on remarque que la maitrise de celui-ci n'a pas significativement augmenté avec la réforme. Au contraire, les résultats des élèves du primaire en français ont même connu une baisse. Qu'à cela ne tienne: allons de l'avant avec l'anglais intensif en sixième année du primaire alors qu'il n'existe aucun consensus quant aux risques qu'elle peut représenter pour l'apprentissage du français.

Également, j'ai très hâte de voir comment s'effectueront cet enseignement intensif de l'anglais et ce partenariat entre commissions scolaires francophones et anglophones avec les différentes conventions collectives qui régissent leurs enseignants respectifs.

Par ailleurs, au risque d'être méchant, est-ce que les élèves anglophones de la sixième année du primaire vont avoir droit à un enseignement intensif du français langue seconde? Et si cette mesure est universelle et obligatoire, que fera-t-on avec certains élèves montréalais issus des communautés culturelles dont l'anglais est parfois meilleur que celui de leur enseignant?

Civisme et savoir-vivre

L'éducation forme les citoyens de demain. Elle doit aussi cultiver l'art du vivre ensemble et le respect envers les autres, notamment envers les enseignants.

J'annonce que des formations au civisme seront implantées dans toutes les écoles et que toutes les écoles du Québec devront être dotées de codes de vie centrés sur le respect de la personne, de l'autorité du professeur et des directions d'école.


Quelle formation? Produite par qui? Donnée dans le cadre de quel cours? On adoptera avant juin le code de vie dans mon école. Recevra-t-on des consignes précises à ce sujet avant cette date ou faudra-t-il improviser le tout? Légalement, n'est-ce pas au conseil d'établissement d'une école de déterminer le contenu d'un code de vie et de l'adopter? Le gouvernement devra-t-il modifier la Loi sur l'instruction publique dans le présent cas?

M. Charest a même indiqué qu'il préconisait le vouvoiement en classe. Va-t-il aussi me dire comment prendre les présences?

Conclusions masquées

Honnêtement, on dirait un saupoudrage de mesures sans véritables cohérence. On annonce et on verra après. Ça manque de vision, de valeurs, de réalisme. Et ça ressemble beaucoup à ce que je dénonçais dans un billet précédent. Encore une fois, on assiste au phénomène de la pyramide inversée. On décide en haut lieu ce qui sera bon sans tenir compte des besoins de la base ou fonder ses choix sur une analyse rigoureuse de la situation. On apporte des solutions sans manifestement comprendre le problème. Et surtout, on ne consulte personne au préalable, ce qui donne au tout un air d'improvisation indéniable, notamment si on songe au cas du code de vie.

Plusieurs intervenants soulignent d'ailleurs (ici et ici) que ces mesures ne répondent pas aux besoins exprimés entre autres par les enseignants et divers acteurs du milieu de l'éducation.

Des mesures plus urgentes auraient mérité qu'on s'y attarde comme les pré-maternelles à mi-temps pour les jeunes issus de milieu défavorisé ou l'ajout de ressources d'appui quant aux élèves en difficulté, handicapés ou qui présentent des troubles de comportement. Mais avec la récente venue de François Legault dans le paysage politique, il fallait marquer un grand coup médiatique et frapper l'imaginaire.

Comme enseignant de français, je remarque que ces mesures n'apportent presque rien quant à l'amélioration de l'enseignement de ma matière. Avec l'enseignement intensif de l'anglais, je m'interroge même à savoir si je n'assisterai pas à un recul de la maitrise du français par les jeunes.

Alors que celle-ci est un objectif important des plans de réussite qu'on demande aux écoles d'adopter et un incontournable dans la progression scolaire d'un élève, je me serais attendu qu'on appuie l'enseignement du français de façon significative. Or, qui récolte le gros lot? L'anglais et l'éducation physique. Trouvez la cohérence.

Voici un exemple parmi tant d'autres: Jean Charest n'a annoncé aucune mesure concernant la lecture chez les jeunes. Pourtant, on sait tous qu'il s'agit d'une lacune qui doit être corrigée si on veut améliorer leur réussite scolaire, notamment chez les garçons. À quoi bon un tableau interactif dans une classe où des élèves peinent à décoder des mots?

Qu'on me comprenne bien: je ne dis pas que la plupart de ces mesures sont mauvaises. Mais elles ne contribueront pas à résoudre significativement les différentes situations problématiques que nous vivons en éducation.

C'est bien agréable de posséder une bicyclette pour un jeune, sauf que cela ne règle en rien ses problèmes de dyslexie.

*******

Une petite parenthèse sur les réactions de Mme Marois, ancienne ministre de l'Éducation et aspirante au poste de premier ministre du Québec et de François Paquet, président de la Fédération des comités de parents du Québec.

Concernant l'enseignement intensif de l'anglais, Mme Marois affirme: «Certains enfants pourraient aussi être retardés dans leur apprentissage, notamment du français.» Faut-il rappeler qu'il s'agit de la même personne qui suggérait il n'y a pas si longtemps une mesure similaire.

Et maintenant, concernant la réaction de M. Paquet quant à l'enseignement de l'anglais intensif: «Mes deux filles ont vécu ces cours-là. J'en ai implantés dans deux écoles et je sais que c'est des succès partout. Les parents désirent avoir des cours d'anglais intensifs.» Vous ai-je dit que M. Paquet aime parler de ses enfants et employer la première personne? Voilà maintenant qu'il a même implanté des programmes d'anglais intensif dans deux écoles à lui tout seul...

*******

Chez Arcand, on se moquait doucement du discours de M. Charest quant à l'éducation. Jean Lapierre parle d'improvisation et de fin de régime. On se questionnait sur la pertinence d'un TBI et d'un portable dans les classes déstructurées qu'on retrouve dans plusieurs écoles québécoise. Quant aux ententes entre commissions scolaires francophones et anglophones, on s'interroge sur la possibilité d'en réaliser au Saguenay...

Vincent Marissal, de La Presse, parle de «saupoudrage», de l'absence de mesures quant à l'enseignement du français et souligne que bien des municipalités ne sont même pas branchées!

5 commentaires:

Jonathan Livingston a dit…

Un portable par prof... On m'en a offert un là où je suis, mais bon, j'ai le mien comme une évidence et je trouve idiot de monopoliser des ressources pour cela. Je suis étonné par les statistiques que vous fournissez. A part, deux ou trois enseignants sur le bord de la retraite, je n'ai pas vu grands enseignants qui ne savaient pas s'en servir. Les tableaux blancs, depuis qu'on en parle... Enfin, ça coûte assez cher juste pour voir si c'est utile... Mais bon un peu moins de craie dans l'air me fera moins éternuer!

Pour les cours d'anglais intensif, la formule convenait à des jeunes qui se démarquait pour leur capacité d'autonomie. J'ai deux de mes enfants qui sont passés par là. Je me dis que dans nos classes d'intégration de la difficulté, ça va faire un beau cocktail!

Des budgets pour des uniformes wow!

Bon, en terme de code de vie scolaire, je vois tout de même d'un bon œil que l'État donne le ton en renforçant le souci de faire respecter la personne, les enseignants et la direction d'école. Il y a à mon sens dans plusieurs milieux des lacunes à ce sujet.

L'enseignement démocratique où on discute et établit des normes de conduites est une farce. Un jeune doit comprendre que le respect n'est pas négociable et il lui faut apprendre à gérer ses impulsions. Mais bon, l'éducation aux bonnes manières commencent par une demande de comportements simples qu'on fait respecter et sanctionne au quotidien, pas par une exposition longue et inutile des raisons qui la justifie. Les enfants qu'on considèrent trop comme des adultes apprennent vite à manipuler les autres. Ce qu'on aurait besoin, là aussi, serait de poste incarnant la fonction disciplinaire. Dans le moment, on fait occuper cette fonction à des gens qui ont bien d'autres tâches à mener et expédie celle névralgique de la sanction des conduites déviantes dans l'école. J'ai vu dans une école privée une ressource responsable du parascolaire et de la vie étudiante devoir assumer ce rôle...

Effectivement, tout cela sent l'improvisation une fois de plus.

bobbiwatson a dit…

Encore une fois les priorités sont mises de côté. Est-ce qu'un tableau blanc interactif peut remplacer une orthophoniste?

Quant à l'anglais "half and half", ce projet existait déjà il y a quelques années dans des écoles primaires de ma CS. S'il était si bon pour les élèves pourquoi a-t-il été abandonné au primaire?

imaginezautrechose a dit…

Mon Dieu! Je n'avais pas lu ces nouvelles, ayant été hier très occupée... Je suis outrée. Complètement OUTRÉE!!!

Comment gaspiller de l'argent en passant complètement à côté du sens de l'éducation? Comment dépenser de l'argent inutilement? Comment est-il possible de la part d'un gouvernement qui coupe, coupe, coupe d'avoir assez d'argent pour vouloir doter toutes les classes d'un tableau interactif? Bullshit! Qu'amèneront ces tableaux? Je le prédis: du trouble. Des bris techniques, des pertes de temps des enseignants qui ne sauront pas comment les utiliser. D'où (misère...) cette idée que les technologies sont essentielles dans le milieu de l'éducation? Attirer les jeunes? Quel argument fallacieux... Je corrigerais les dires de M. le premier ministre : "L'école doit s'inscrire dans la logique de la société capitaliste de consommation et apprendre aux jeunes qu'il ne faut pas se contenter de peu mais toujours se doter du dernier gadget à la mode pour faire rouler l'économie. C'est ce que les jeunes doivent apprendre."
La situation devient de plus en plus dangereuse selon moi. Les médias ne cessent de nous rapporter les grandes dérives des technologies et de tous ces jeunes qu'elles finissent par noyer: trop de temps devant l'ordinateur, Internet, jeux, Facebook, cybersexe, cellulaire, mp3, ... Qu'est-ce que les jeunes connaissent encore du monde réel?

Et ces cours d'anglais? Pour quelle raison croyez-vous? SOCIÉTÉ-CAPITALISTE-MONDE-DU-TRAVAIL-MONDE-DES-AFFAIRES-MONDIALISATION-...

"L'éducation forme les citoyens de demain. Elle doit aussi cultiver l'art du vivre ensemble et le respect envers les autres, notamment envers les enseignants.
"

Mais qu'est-ce que c'est que cette merde de formations au civisme et de codes de vie? M. le premier ministre, faites-vous vous-mêmes preuve de civisme en nous imposant vos choix qui sont tout sauf bons pour la société? Votre code de vie est-il vraiment basé sur le respect?

Je m'arrête ici. J'ai une montée de lait ce matin. Ça fait longtemps que je me suis sentie aussi fâchée!!!!!!!!!!!!!

Paul C. a dit…

Comprenez que les mesures TIC sont des mesures économiques et non pédagogiques. On ne dit rien sur l'utilisation de ces machines mais il est certain que ça sera bon pour l'économie. Encore une fois le système d'éducation fera vivre des "pushers" de bébelles dispendieuses qui sont "bien positionnés" aux yeux de nos CS.
De l'incompétence sur écran géant!

unautreprof a dit…

Le TBI, c'est un outil. Un fichu de bel outil. Qui se brûle lorsque mal ou trop employé.
Le TBI n'est pas une solution.

Simpliste.