Un petit résumé
En 2007, une mère effectue une sortie dans les médias régionaux et nationaux, dénonçant le traitement qu'aurait fait subir une enseignante à son enfant. Elle comparait alors l'aire de retrait où était placé son fils à une cage ou à un enclos. Elle y va alors de plusieurs propos et réclame, si je me souviens bien, la démission de cette dernière et de la direction de l'école de son fils. Dans une conférence de presse, l'employeur prend la défense de son enseignante et rectifie, selon lui, certains faits.
L'enseignante, soutenue par son syndicat, décide alors de poursuivre les parents du jeune élève en diffamation pour une somme de 200 000$. Ceux-ci répliquent avec une poursuite de 1 670 000$ contre la commission scolaire et l'enseignante, car ils estiment avoir subi des dommages matériels et moraux. Par la suite, le montant réclamé par les parents est ramené à 1 100 000$ tandis que celui de l'enseignante est passé à 275 000$.
Des poursuites ont également été intentées par l'enseignante contre certains médias ayant traité de cette nouvelle et ont fait l'objet d'une entente hors cour à son avantage en novembre 2009. Je ne peux placer un lien vers la source appuyant cette information puisqu'elle indique le nom de l'enseignante concernée et que ce dernier ne peut actuellement être mentionné puisqu'il fait l'objet d'une ordonnance de non-publication dans l'affaire qui nous concerne.
Maintenant devant les tribunaux
Il importe de préciser que le but de ces deux procès croisés n'est pas à proprement parler de déterminer si l'enseignante a bien agi ou pas dans le cas de Félix, mais davantage si les propos exprimés par les différentes parties étaient diffamatoires et ont causé des préjudices. (ici)
Le juge doit également tenir compte, si j'ai bonne mémoire, de différents facteurs dans sa décision, dont la bonne foi des individus concernés mais aussi leur degré de responsabilité quant à cette situation et des dommages qu'ils ont véritablement subis. Il est difficile effectivement de dédommager quelqu'un qui est responsable de son propre malheur ou qui n'a vécu aucun dommage vérifiable.
Des faits mensongers?
Pour Louise Sinotte, la mère de Félix, le communiqué et la conférence de presse convoquée par la commission scolaire de l'enseignante au coeur de ce litige étaient truffées d'erreurs et ont nui à sa réputation, entre autres lorsqu'on affirmait que Félix avait un comportement perturbateur connu de ses parents et que sa mère aurait refusé plusieurs services offerts pour aider ce dernier. (ici)
Tout d'abord, et c'est un phénomène quasi universel, je remarque que certains parents ont de la difficulté à voir la réalité quand on parle de leur enfant. Pour sa mère, Félix est «semblable aux autres» et elle soupçonne que certains commentaires négatifs à l'égard de son fils auraient été ajoutés dans le carnet de ce dernier après que les procédures judiciaires aient été intentées. Accuser quelqu'un d'avoir falsifié une preuve est une accusation grave. De plus, elle qualifie de «manquements mineurs» le comportement d'un jeune qui ne lève pas la main pour prendre la parole en classe, qui perd son temps et qui dérange souvent.
Ce qu'on apprend aussi, c'est que Félix aurait eu des comportements violents à quelques reprises, ce que la mère a tenté de minimiser. Il aurait notamment eu un comportement dérangeant dans l'autobus scolaire qui a entrainé un suspension de deux jours d'école. Puis, il se serait aussi battu avec un élève de sa classe à qui il aurait asséné un coup de chaise. (ici)
Pour sa part, Félix se décrit comme un enfant normal, ne présentant aucun problème de comportement. Il ne se rappelle pas avoir été un élève dérangeant ou violent, à part un coup de poing donné dans le dos d'un confrère de classe, alors qu'un ancien camarade dit plutôt de lui qu'il se chamaillait souvent. Il ne se souvient pas non plus avoir bénéficié pendant plusieurs mois des services d'un orthopédagogue. (ici)
Pour le frère jumeau de Félix, qui était dans la même classe, la chose est assez simple: «Je crois qu'elle ne l'aimait pas. Elle était méchante et préférait les filles aux garçons, c'était clair.» (ici)
Pour l'enseignante, les parents ont tenu des propos diffamatoires en affirmant que l'enfant était placé dans une cage ou un enclos, que le jeune y était gardé en permanence et que cette mesure avait débuté le 9 janvier 2007 et non le 19 janvier. (ici)
Déjà, diverses photos ont bien montré que les termes employés par les parents pour désigner l'aire de retrait où Félix était assignée sont exagérés puisqu'il ne s'agissait pas d'un endroit clos. Par contre, il faut noter que les médias ont retenu la photo qui donnait à penser qu'il s'agissait d'une cage en treillis de bois fermée. Un autre angle aurait présenté cette réalité bien différemment. (voir les deux photos dans ce billet)
Maintenant, pour ce qui est de savoir si Félix a passé ses journées complètes à l'école dans cette aire de retrait, on a affaire ici à des versions contradictoires, comme on pouvait s'y attendre. Le juge aurait à trancher entre celles de l'enseignante et de sa direction et celles de Félix, de son frère et d'un camarade de classe. Il aurait été intéressant que d'autres adultes aient été convoqués en cour à cet effet, ce qui aurait permis d'éclairer cette zone d'ombre.
En ce qui a trait à la durée du retrait et du moment où les parents ont eu connaissance de cette mesure, on est davantage dans une situation où, manifestement, la direction de l'école et l'enseignante sont dans une position vulnérable parce qu'elles ne se sont pas assurées d'une communication efficace avec les parents.
Dans les cas litigieux ou qu'on sent qu'ils deviendront problématiques, il est préférable de tout noter sur l'élève: copie, retenue, réprimande, etc. Un adjoint de mon école appelle cela «monter un dossier». Également, il vaut mieux toujours avoir des communications écrites. Certains enseignants favorisent des notes au carnet scolaire que le parent doit signer. Pour ma part, je recommande davantage des lettres que l'élève doit ramener signées des parents à son enseignant. Je peux ainsi les garder en ma possession, contrairement au carnet de l'élève
Dans l'histoire de Félix, c'est davantage un récit d'horreurs. Voici quelques exemples tirés des articles que j'ai pu lire.
L'enseignante aurait tenté de téléphoner aux parents pour les informer de son projet mais en vain. Elle leur a donc envoyé une note écrite. Elle n'a pas eu de leurs nouvelles avant le 6 février vers midi. (ici)
Quant à la note qu'elle a écrite aux parents dans le carnet de route de l'enfant pour leur annoncer l'existence d'une aire de retrait, celle-ci ne contenait pas les mots «aire de retrait». L'enseignante avait plutôt écrit que l'enfant travaillait désormais en arrière de la classe pour ses travaux individuels. (ici)
L'enfant a répliqué qu'une fois la situation décrite, il croyait que sa mère avait compris, alors qu'elle avait plutôt imaginé que son fils ne voyait pas bien au tableau en raison d'une poutre, et non d'un treillis. (ici)C'est pourquoi elle (la mère) n'a pas cherché à entrer en contact avec l'enseignante pour en savoir plus, croyant plutôt que s'il y avait quelque chose de grave, celle-ci la contacterait. (ici)
Ce n'est qu'une fois la découverte de l'aire de retrait, le 6 février 2007, qu'il en aurait été question avec la directrice de l'école. (ici)
L'enseignante a admis ne pas avoir parlé des problèmes académiques et de comportement du petit garçon à Mme Sinotte en septembre et octobre 2006 et ce, même si elle l'a rencontrée. (ici)
En novembre, elle a par contre soutenu avoir proposé à Mme Sinotte l'aide d'un psychoéducateur pour son fils, aide qui a été refusée. Toutefois, cette proposition a été faite verbalement et non par écrit. (ici)
Et il faut rappeler que tout cela serait arrivé alors que le jumeau de Félix, pourtant dans la même classe et doté d'une bonne capacité d'expression en français, n'aurait pas été capable de raconter correctement la situation vécue par son propre frère à ses parents. (ici)
Faire son propre malheur?
Lorsqu'on poursuit quelqu'un en diffamation, un autre aspect important est de savoir si on a contribué à son propre malheur ou pas. Dans le cas qui nous concerne, c'est un point que l'avocat de l'enseignante a tenté d'exploiter, comme on le verra.
Tout d'abord, on pourra toujours s'interroger sur la pertinence du recours à des médias dans certaines situations.
Dès la «découverte» de cette situation, les parents de Félix se sont rendus à son école avec un appareil-photo. «Ils étaient fâchés et criaient après moi en disant que ça n'avait pas de bon sens de faire travailler un enfant là. Ils trouvaient ça abominable. J'étais bouleversée. Je ne comprenais pas trop car je trouvais ça invraisemblable», a affirmé en cour l'enseignante. (ici) La mère de Félix affirme qu'elle ne savait pas, à ce moment, que le couple ferait appel aux médias, même si elle avait pris des photos.
Deux jours plus tard, les parents font part de cette situation à un média télévisé (ici). Par la suite, pendant plusieurs jours et sur plusieurs tribunes médiatiques, ils répéteront à bon nombre de reprises les propos qui leur sont reprochés dans le cadre de ce procès. (ici) De mémoire, ils remettent même aux médias les photos qu'ils ont prises à l'école.
Dans son témoignage, la mère de Félix affirme avoir agi ainsi dans le but de dénoncer la situation vécue par son fils et de pousser la commission scolaire à le retirer de l'aire de retrait. «Nous avons suivi l'ordre des choses. Nous sommes allés voir l'enseignante, la direction de l'école et nous avons contacté la commission scolaire. Nous avons été très patients. La situation était inacceptable.» (ici) Elle reconnait cependant qu'elle a accepté que son fils et elle soient filmés et photographiés. Si on lui avait proposé de masquer son visage, elle aurait accepté, dit-elle. (ici)
Les préjudices subis?
Actuellement, à partir des textes que j'ai lus, l'enseignante semble avoir davantage démontré les préjudices qu'elle a subis que les parents de Félix. Si toutes le parties impliquées dans ce procès ont témoigné avec émotion (ici), cette dernière bénéficie en effet d'une expertise psychologique, contrairement à la mère. (ici)
D'après le Dr Pierre Vincent, médecin psychiatre, l'enseignante a éprouvé des troubles d'adaptation avec humeurs anxio-dépressives se traduisant par une perte d'estime de soi, des troubles du sommeil, des difficultés à respirer, de la panique, du stress aigu, d'hypervigilance et une perte d'appétit. Il faut savoir également que cette dernière a été victime de menaces de mort jugées suffisamment sérieuses pour que le service de police de sa région instaure des patrouilles supplémentaires près de sa résidence. (ici)
Pronostics sur le jugement
Ce qui m'interpelle dans toute cette histoire, c'est que des parents poursuivent une enseignante pour les torts qu'ils auraient subis, mais qu'ils ne se soucient pas de réclamer quoi que ce soit pour leur propre enfant. Si Félix a été victime d'un comportement inapproprié, il a pu en subir des conséquences qui méritent une compensation, non? Or, ici, nulle trace véritable de l'enfant au centre de toute cette histoire.
Aussi bien vous le dire, dans l'état actuel des choses, il ne fait aucun doute dans mon esprit que l'enseignante de Félix est en excellente position dans ce procès. Il faut aussi savoir qu'elle a remporté deux autres «causes» reliées à cette affaire.
La première a trait à une ordonnance de non-publication interdisant que son nom soit mentionné dans les médias concernant cette affaire et que j'ai tenu à respecter ici. La seconde relative à une entente hors cour qui a été conclue avec différents médias dans le cadre d'une autre poursuite en diffamation et qui fait d'ailleurs l'objet d'une clause de confidentialité. (ici) C'est, à mon avis, pour cette raison que vous n'aurez plus un mot de cette affaire dans un média de l'empire Quebecor.
On ne peut que sursauter quand on lit que l'avocat des parents de Félix, Me Julius Gray, affirme que la plainte de l'enseignante n'est qu'une procédure civile abusive dont le seul objectif est de supprimer la critique à l'égard des professeurs. (ici) Tout d'abord, comment Me Gray qualifierait-il la campagne médiatique entreprise par ces deux parents? Ont-ils agi correctement afin de corriger la situation qu'aurait vécue leur enfant? Ensuite, quels mots utiliserait Me Gray pour parler de leur recours de 1 100 000$ contre l'enseignante de Félix et la commission scolaire qui l'emploie? On parle d'une somme cinq fois supérieure à celle demandée par l'enseignante!
S'il est vrai qu'il est exceptionnel qu'un syndicat défraie les couts de l'avocat d'un enseignant dans une telle cause, j'hésite à me réjouir de la tournure qu'ont prise tous ces événements. Peu importe qui gagnera, on retrouvera surtout des perdants dans les deux camps. Sauf qu'il était grand temps, selon moi, qu'un syndicat appuie un enseignant victime d'un tel comportement de la part de certains parents et de certains médias.
Est-ce que toute cette histoire aurait pu se régler à l'origine avec une communication plus efficace et de la meilleure volonté? Honnêtement, à la lumière de tout ce que j'ai lu, je ne le sais pas. Est-ce que les médias y penseront à deux fois avant de rapporter les propos de parents sans vérifier leurs dires? Là aussi, j'en doute encore. Ils oublieront la leçon, croyez-moi.
4 commentaires:
Rien de commun avec Henri Fournier: elle, elle n'a pas posé de geste à connotation sexuelle! C'est pour cela que son syndicat lui paie un avocat? Et le syndicat de Henri Fournier, il faisait quoi?
J'enseigne depuis plus de 10 ans. Il m'arrive encore d'avoir des frissons en regardant ma liste d'élèves en août. Pas parce que j'ai peur de mes futurs élèves. Non. C'est la crainte des réactions souvent disproportionnées de certains parents qui, dès la maternelle, prennent un malin plaisir à s'opposer à tout ce qui vient de l'école.
Excellent billet! Vous connaissez la balise html: target="_blank" ? Ça permet d'ouvrir un lien dans une autre fenêtre. Peu importe, on attendait la suite de cette histoire. Merci.
Super! Demandez et vous recevrez! Je suis bien contente de savoir où ils en sont. Beau billet, merci!
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