La Coalition Avenir Québec, par la voix de son chef François Legault, a quelque peu défini ce qu'elle entend faire en matière d'évaluation des enseignants
Cette «évaluation formelle» serait effectuée par la direction de l'école deux fois par année. Le cadre d'évaluation serait déterminé par un ordre professionnel des enseignants qui s'occuperait aussi des cas litigieux. Parmi les critères d'évaluation retenus, on retrouve la réussite des élèves «en tenant compte du milieu socio-économique». (ici et ici). Il y a un an, le Métro Montréal indiquait «que les enseignants ne pourraient pas gonfler artificiellement les notes de leurs élèves, puisque ceux-ci devraient passer des examens ministériels de fin d’année dans les principales matières, et ce, dès la première année du primaire.» (ici) M. Legault avait aussi mentionné comme critère d'évaluation la satisfaction des parents (ici).
En échange d'une augmentation de salaire de 20%, les enseignants accepteraient donc d'être évalués mais aussi de perdre leur sécurité d'emploi, on l'oublie trop souvent, en se voyant accorder des contrats de trois à cinq ans. Quelles raisons pourraient entrainer le non-renouvellement d'un contrat outre celles énoncées par M. Legault?
Évaluer, mais...
Je crois au principe de l'évaluation, de la co-évaluation, de l'auto-évaluation et de l'évaluation par les élèves s'il est fait au sein d'une équipe-école animée par un leader pédagogique fort. Sinon, c'est une procédure fastidieuse et pénible. Mais imposer un système d'évaluation comme le veut la CAQ, c'est comme imposer un ordre professionnel: un non-sens. Le besoin, la demande doit venir des principaux concernés, doit venir de l'intérieur. Or, en éducation, il est remarquable de constater comment on ne sait pas «éduquer» les intervenants de ce domaine. On leur impose des méthodes, des programmes. Il est normal donc qu'il y ait des résistances au changement et, quand ils sont si grands, c'est qu'on a mal fait son travail à mon avis.
L’évaluation préconisée par la CAQ sera de nature individuelle. Cela me semble contradictoire avec l’idée de vouloir créer des équipes-écoles autonomes et fortes puisqu’on risque de renforcer les comportements individualistes trop présents en éducation. Cela, d’autant plus qu’une somme d’argent sera rattachée à cette évaluation dans certains cas.
Il faut savoir qu'il existe déjà au Québec au moins trois modes d’évaluation des enseignants: celui qu’on retrouve dans les commissions scolaires anglophones (ici) et celui des enseignants au collégial. Il y a également celui des professeurs universitaires, mais je le range dans une autre catégorie. Dans au moins un des cas, (anglophone) ce mode ne prend pas en compte le résultat des élèves. Dans l’autre, je n’en suis pas sûr. Dans le premier, des avantages salariaux y sont rattachés. Pas dans l’autre.
Pourquoi ne pas s’être attardé à regarder ces modèles déjà existants? Cela aurait constitué, selon moi, une alternative plus vendable «politiquement» et aurait suscité moins de débat. En pratique, il aurait été plus difficile pour certains syndicat de s’opposer à ce qui a déjà été accepté par différentes unités syndicales. De plus, on aurait bénéficié d’une expertise déjà existante.
Également, une évaluation générale de tous les enseignants aux cinq mois me semble grandement exagérée. On ne devient pas incompétent en si peu de temps. Cela s’apparente davantage à de l’inspection et du contrôle.
Plus contraignante que d'autres professions?
D'ailleurs, une brève enquête auprès de divers ordres professionnels m'a indiqué que, si on va de l'avant avec la proposition de la CAQ, les enseignants seraient les professionnels les plus fréquemment évalués au Québec. Par exemple, à moins du dépôt d'une plainte, on parle d'une inspection aux trois à six ans pour un dentiste; d'une fois aux trois ans pour les comptables généraux agréés - CGA; lorsque c'est nécessaire pour les comptables agréés. Dans d'autres cas, aucun mécanisme annuel n'est précisé comme pour les avocats, les médecins et les physiothérapeutes.
Chaque profession est unique. Par exemple, les infirmières peuvent être évaluées par leur employeur sur une base annuelle, mais le sont seulement aux trois ans environ par leur ordre professionnel.
M. Legault entend valoriser les enseignants en les dotant d'un ordre professionnel, soit. Mais en indiquant déjà trois éléments importants de l'évaluation qu'ils devront subir (bi-annuelle, réussite des élèves, satisfaction des parents), il impose un cadre assez rigide et contraignant. Et il ne semble manifestement pas tenir compte de ce qui s'effectue en la matière chez les ordres professionnels les plus importants.
Les écueils du secondaire
Une dernière remarque enfin concernant l’évaluation. Si, au primaire, l’évaluation semble plus facile à appliquer, au secondaire, c’est tout autre chose. Or, il ne faut pas oublier le point suivant : c’est toujours au secondaire que les réformes mal foutues et improvisées finissent par se casser la gueule. Le Renouveau pédagogique en est un bon exemple. On est allé de l’avant sans trop se soucier du secondaire, en sous-estimant le niveau de complexité qu’on y rencontrerait et en se disant qu’on aurait assez de temps devant soi pour trouver des solutions. On a finalement manqué de temps parce que l’implantation au primaire a pris beaucoup d’énergie et parce que la réalité du secondaire s’est avérée plus complexe que prévu.
15 commentaires:
Ce qui est totalement ridicule c'est de faire de cette question la clef de voute d'un programme électoral et surtout de la présenter comme la priorité des priorités en éducation. Encore une fois on se retrouve avec un gestionnaire du privé qui tente d'importer des vielles recettes qui d'ailleurs souvent ne marchent pas très bien même dans le privé.
La « clef de voûte » de notre plan d'action (Coalition Avenir Québec), en ce qui me concerne, demeure l'aménagement d'écoles publiques autonomes. Nous n'avons pas encore de programme électoral; ce sera le cas au terme de notre congrès des 20-21 avril à Victoriaville.
Encore en fin de semaine dernière, une réunion entre enseignants-militants C.A.Q. fut l'occasion de peaufiner le cahier de propositions et je m'attends à ce que cette question de l'évaluation continue de faire l'objet de beaucoup de discussions... et la mesure globale, améliorée. Déjà, avec la mise en oeuvre d'un Ordre professionnel pour que ce soit les pairs (des enseignants) qui déterminent les critères de l'évaluation qualitative, on a avancé d'un grand pas; il y en a d'autres à faire, sur le rythme de ces évaluations, en particulier.
Il faut se rappeler que le parti a été fondé le 14 novembre dernier et qu'il est normal que les 400 / 500 militants (dont plusieurs personnes issues de l'éducation) qui seront présents mettent « leur empreinte » sur le programme final.
L'autonomie de l'école et l'autonomie professionnelle des enseignantes et des enseignants constituent deux « valeurs importantes ». Seront aussi détaillées, les mesures pour faire la lutte au décrochage (#3 dans le plan d'action déjà publié) incluant les façons d'aider les enseignants dans leur classe.
Au-delà des critiques (souvent constructives d'ailleurs), je vois un signe d'intérêt envers les propositions de la C.A.Q. Je sais aussi que nous devons écouter les enseignants; nous lisons tout ce qui s'écrit ici (et sur certains autres blogues).
Nous sommes très enthousiastes à l'occasion de cette période de « construction » de notre plateforme. La priorité #1 étant l'éducation, je sais que la barre sera haute...
En espérant que les élections ne seront pas déclenchées trop rapidement ;-)
Mario: La CAQ a fait des changements dans son programme, notamment en ce qui a trait à la restructuration des organismes extérieurs à l'école.
En matière de l'évaluation, François Legault a beaucoup parlé. Des changements seront-ils interprétés comme des reculs? Juste l'idée d'examens ministériels de fin d’année dans les principales matières est un cauchemar et coutera un bras. Au secondaire, je crois que l'évaluation sera bien plus difficile à implanter. La notion d'écoles de quartier est très relative.
Enfin, que fait-on des programmes régionaux qui admettent des élèves de différents milieux?
Gillac: quant à moi, l'évaluation est une des idées clés de la CAQ avec l'abolition des commissions scolaires.
Intéressante analyse, mais bon j'ai vraiment beaucoup de mal à penser que cette formation va percer.
Quant à leurs idées, on est dans la suite des gens qui ont voulu ce chaos de la réforme et ces utopies irréalisables de communautés d'apprentissage angéliques et qui, voyant que ça ne passaient pas, ont commencé à accuser les enseignants d'être de simples techniciens et de manquer de compétences pour bien animer le théâtre de leurs idées.
Maintenant, ils mettent des «empreintes» sur un programme électoral...
La réforme s'est effectivement cassée la gueule sur le secondaire, mais on est toujours en train de vivre avec les retombées radio-actives de cette épisode épique. On n'a qu'à ouvrir n'importe quel manuel scolaire pour s'en rendre compte.
Mais ne nous énervons pas les moyennes à l'examen du MELS de français sont toujours bon an, mal an à 72-73 %, avec un taux de réussite de 83% que les reprises vont faire passer au-dessus de la barre des 90% de réussite. En 2012, après 12 ans de réformes, on a toujours ce même résultats qu'en 1996, allez voir les données du MELS dans les publications de janvier.
Et les cours de rattrapage en français continuent de bien tourner... au cégep et à l'université!
On a refusé d'évaluer lucidement cette réforme et maintenant, on nous casse les oreilles (et les yeux!) avec l'évaluation des profs qui étaient majoritairement contre cette réforme.
Non, ces gens ont balancé la tradition scolaire; leur système est toujours le meilleur, toujours aussi indiscutables, toujours en train de nous polluer le décor et nous empêcher d'enseigner convenablement ce qui pourrait l'être raisonnablement.
Mario: sur le fond, à partir de ma recherche, on s'aperçoit que le nombre d'évaluations annuelles est élevé si on compare aux autres ordres professionnels. Qu'en penses-tu? J'effectue actuellement des recherches pour voir les comparables ontariens.
L'autonomie professionnelle prônée par la CAQ me semble, selon les textes qu'elle publie, une véritable farce.
Selon ces textes, les parents auront plus de pouvoirs dans les CÉ, dont celui de fixer les cibles et les moyens.
L'Ordre imposera aussi ses formations (dans le sens de la pensée unique du MELS ?) alors que les frais de ces formations seront assumés par les profs qui les suivront les soirs et les fins de semaine.
Les parents auront leur mot à dire dans notre évaluation.
Nous devrons subir des examens ministériels basés sur des programmes bidons critiqués par le même François Legault qui les a implantés alors qu'il était Ministre de l'Éducation.. belle autonomie en perspective.
Suis-je le seul à constater que les solutions magiques lancées au départ ne tiennent pas le coup une fois l'analyse faite ?
Quand la prémisse de base c'est de considérer qu'une école se gère comme une usine, même des ajustements me semblent insuffisants pour rendre le tout digeste et crédible !
@ Prof masqué : je discute avec plusieurs militants ces jours-ci, en préparation de notre congrès et j'entends de certains enseignants que le nombre d'évaluations est un peu élevé. Je m'attends à ce que cet aspect des choses soit discuté sur le plancher, les 20 et 21 avril.
@ Anonyme : Un Ordre, c'est administré par les enseignants eux-mêmes, pas par le MELS. Pour ce qui est des parents, s'il est question qu'ils soient consultés, ils le seront via la direction et les modalités restent à être précisées. Pas question que ce soit les parents qui évaluent les enseignants. «École gérée comme une usine» et «pensée magique» ne font pas partie de nos prémisses, bien entendu.
Mario: compare avec d'autres professions avec un ordre professionnel. C'est assez éloquent.
De mémoire, en Ontario ou en CB, on a tenté (et réussi?) de réduire la présence des enseignants sur leur propre ordre professionnel. Je te retrouverai si tu en as besoin.
À te lire, les parents n'évalueront pas directement l'enseignant de leur enfant? C,est ce que ej dois comprendre? :)
C'est ce que tu dois comprendre prof masqué.
Mario: est-ce ce qu'on appelle dépeinturer quelqu'un d'un coin? Pas obligé de répondre....
J'ai beau cherché à comprendre, j'ai du mal. On nous imposerait de se payer un ordre professionnel, juste pour que ce dernier délimite un «cadre d'évaluation» pour que le patron nous évalue. Puis, selon les problèmes diagnostiqués, l'ordre suggérerait des formations correctives.
Petite question comme ça, combien du pourcentage d'augmentation de salaire donnerait-on en contrepartie de l'évaluation à l'ordre professionnel. Une autre ponction sur nos charmants chèques de paye serait à prévoir pour l'indépendance de l'ordre vis-à-vis du Mels? Après l'impôt passé, assez glouton à ces échelles de salaire, franchement vous croyez que ça changerait grand chose à nos vies?
Bref, on nous donnerait une augmentation de salaire pour payer nos évaluations et ensuite, nos formations correctives? C'est pas un peu compliqué pour donner de la job aux formateurs de profs qui ne connaissent pas grand chose de la situation de terrain des profs.
Comme le souligne plein de commentateurs de l'article du Devoir, toute cette «discussion» et ces propositions contiennent un sous-jacent assez fatiguant et vexant: ça va mal en éducation à cause des profs incompétents qui manquent de formations.
J'ai hâte de voir la direction et ses acolytes adjoint se charger d'évaluer 2 fois l'an l'ensemble des profs du secondaire. Ils ont du mal à faire le tour des précaires ... Que d'énergies déviées!
Deux remarques pour Mario:
Des profs autonomes dans des écoles autonomes,dirigées par des directeurs autonomes et des CE qui le seront tout autant, ça ressemble à ce Weick appelait un "loosely coupled system" ou des "organized anarchies" selon les termes de Cohen et March.Des plans pour perdre le p'tit Saint-Jean-Baptiste dans la parade pis l'Ostensoir dans la procession de la Fête-Dieu !!!
Pour ce qui concerne le contrôle effectif des enseignants sur leur hypothétique corpo: ils auront autant,pas plus pas moins, de contrôle là-dessus que les travailleurs en ont sur la FTQ-construction!!!
Bonjour
J'enseigne depuis 10 ans et je remarque que le niveau d'incompétence au poste de directeur d'école est en grande augmentation dans mon milieu. Des enseignants qui ont 5, 6 ou 7 ans d'expérience n'ont pas le bagage nécessaire, ni le recul afin d'évaluer des enseignants. De plus, en adaptation scolaire, domaine que je connais bien, souvent les directeurs-adjoints ne sont que de passage en attente d'une promotion et ne connaissent absolument pas la réalité qui est vécue sur le plancher. Dans ces conditions je trouverais inacceptable d'être évalué car peu importe le résultat il sera biaisé.
De plus il faut absolument arrêter d'ajouter des tâches connexes aux directions d'écoles. Pour ma part je n'ai pas vu ma patronne depuis plusieurs jours car elle n'est tout simplement jamais sur le plancher, tout au plus dans son bureau la porte ouverte... L'évaluation deux fois par année est une farce monumentale dans les conditions actuelles.
Finalement il est grand temps que les grands penseurs descendent de leur tour d'ivoire et viennent se mettre le nez dans la réalité. Est-ce que les grands génies qui ont imaginé et fait en sorte que la réforme fasse autant de ravage, autant auprès des élèves que des enseignants, sont encore en poste et reçoivent un salaire qui doit être beaucoup plus élevé que le mien? Avant d'accusé les profs d'imcompétence je crois qu'il est impératif de regarder plus haut!
Petit correctif, lorsque je parle des enseignants qui ont 5, 6 ou 7 ans d'expérience, je veux plutôt parler d'enseignants qui deviennent directeur avec ce niveau d'expérience.
Enregistrer un commentaire