26 juillet 2012

Il faut bien commencer quelque part


Parfois, il faut savoir lâcher prise. Cesser de se battre. Ne plus vouloir ce que la vie ne nous donnera pas. Trouver son bonheur ailleurs. C’est malheureusement ce que je dois apprendre avec Fille masquée.

Court rappel : 

Prof masqué s’est reproduit il y a de cela 21 ans. Une dernière nuit d’amour avant une rupture mutuellement décidée. Un dernier coup avant la route.  Et manifestement, la preuve que le condom n’est pas à 100% efficace.

PM ne voulait pas de cette enfant. Plus correctement, il ne désirait pas que son ex devienne la mère de son enfant. La nuance est de taille quand on y pense. Une position logique dans la mesure où il  croyait quitter pour toujours cette femme avec qui il ne serait jamais heureux. Et puis, venant d’une famille dysfonctionnelle, pourquoi reproduire ce qui lui avait fait tant de mal?

Après de nombreuses tergiversations, PM a reconnu sa paternité parce qu’il estimait que chaque enfant a droit à ses parents. Mais voilà: chaque père n’a pas toujours droit à ses enfants. Dans les faits, sa paternité a été peu reconnue. Et il n’a pas toujours compris comment la faire reconnaître.

Cette absence statuesque et statutaire est d’autant plus grande que Prof masqué est un enseignant qui côtoie des jeunes dix mois par année. Il est une figure d’autorité, parfois trop paternelle.  Chaque jour d’école, il agit en bon père de famille alors que, le reste du temps, il n’est rien de cela.  Aussi, il a parfois l’impression d’être un imposteur dans une mauvaise comédie. Et chaque bon coup qu’il fait lui rappelle ce qu’il n’a pas réussi avec sa propre fille.

Aujourd’hui, les contacts avec Fille masquée sont quasi inexistants. La figure paternelle n’a ni autorité ni légitimité. Quelques repas au restaurant. Sans plus. Pas de projet. Vide.

Le dernier épisode de cette saga est survenu quand PM a demandé à sa fille de passer deux journées avec lui cet été. Sa réponse l’a complètement dévasté : une telle éventualité était impossible, car elle est débordée avec son travail, ses sorties avec sa mère, sa grand-mère et ses amis.

Demande refusée donc. Aucun appel. Aucune écoute. Aucune autre réponse quand on lui signale l’incongruité de la chose. Dix jours de silence avant un modeste échange de 20 mots sur FB.

**********

Tout être humain est construit sur des bases comme la famille. Celle où l’on est né. Celle que l’on construit. Je n’ai pas choisi celle où je suis né, mais j’essaie de mieux l’apprécier même si c’est parfois difficile. J’ai choisi par défaut une autre «famille» où je n’existe manifestement pas. Ironiquement, pendant les années où j’essayais de me positionner comme père, j’ai fui l’engagement ailleurs s’il menait à une éventuelle paternité.  À tort. J’avais peur. Peur que ce que j’ai connu une fois se répète alors qu’ailleurs aurait pu être une source de bonheur.

Aujourd’hui, je regarde autour de moi et je trouve ma vie passablement vide et absurde. Une maison en banlieue, une voiture presque neuve, un travail où je réussis bien même si je vivrai toujours, je crois, des difficultés à être intégré dans une équipe de travail, de bonnes habiletés de communication, une culture générale assez vaste, quelques amis, pas assez d’amis; tout cela ne suffit pas à donner un sens à mon existence. J’ai peut-être tort de me définir ainsi par rapport aux relations avec les autres. Mais quel sens peut-on avoir dans le néant?

J'ai une meilleure santé aussi. Un corps qui ne me torture plus. Mais un corps qui manque de vie et d'âme.

Je ne blâme pas les gens actuellement autour de moi ou ceux que j’ai connus. Je ne blâme pas la vie. J’ai fait des mauvais choix.  J’ai subi les mauvais choix de certaines personnes autour de moi. Je n’ai pas toujours su comment réagir. Trop souvent, je me suis emprisonné dans des relations où je cherchais à être utile pour espérer être apprécié. J’ai eu peur de placer mes limites, de peur d’être rejeté, et je suis souvent devenu ainsi jetable ou négligeable.

Une chose égoïste que j’ai comprise – mais est-ce une bonne chose? - est qu'on croit que nos enfants confèrent un sens à notre vie parce qu’ils constituent en quelque sorte une œuvre qui va nous survivre. Ils font de nous des êtres immortels. Je me demandais toujours pourquoi certaines personnes âgées de mon entourage conservaient leurs économies pour leurs enfants. Oui, il y a bien sûr cette mentalité économe qui appartient à une autre époque. Mais on retrouve aussi cette volonté de léguer un héritage à ceux qui vont leur survivre et d’ainsi donner un sens à leur vie. De vaincre en quelque sorte la mort.

Avec Fille masquée, il n’y a pas de vie partagée, pas de vie prolongée. Que la mort. Déjà. Sans victoire. La mort dans l’âme.

On pourra toujours me répondre que le temps arrangera les choses, que ma fille est encore jeune.  Je sais : la vie est courte et le temps est long, comme je dis souvent. Mais l’espoir me tue et ma vérité est ailleurs.

Elle est dans la compréhension que vivre pour soi n’est pas synonyme d’égoïsme ou de manque de respect des autres. Par contre,  pour faire les bons choix pour soi, il faut aussi savoir s’aimer. Et là, on revient au handicap de la famille première… et de la deuxième.

Savoir s’aimer est possiblement l’apprentissage le plus difficile d’une vie. Quand on ne s’aime pas, on vivote ou on veut mourir. Et une partie de moi aime trop la vie pour désirer la mort, même si ce genre de pensées survient encore quand je suis en détresse.

Vous l’ai-je dit : j’aime le gout du vinsanto et du cigare. Quand je m’installe devant la maison ou quelque part devant un beau paysage, verre à la main et cigare aux lèvres, je m’abandonne et les yeux grand ouverts, je laisse la vie entrer en moi. 

Je fume et bois beaucoup pour chasser les mauvaises pensées. Oh! n'ayez crainte: je ne suis jamais saoul et j'ai toujours bonne haleine. Il faut bien commencer quelque part. Modestement. Malgré la souffrance qui me tenaille encore. La sagesse est un processus ardu.

17 commentaires:

unautreprof a dit…

Cher Prof Masqué,
Ce texte écrit en petits caractères est réellement très touchant. Je le lis avec beaucoup d'empathie, en même temps, j'ai été un peu dans la situation inverse, avec un père plus absent dans ma jeunesse. J'ai moi aussi eu mon lot de déceptions et j'ai pris mes distances, pour me protéger. C'est en vieillissant que j'ai compris qu'il avait autant sinon plus souffert que moi et maintenant, même si je demeure d'une fragilité totale envers lui, j'ai une affection et un attachement des plus solides pour mon père, que j'ai appris à découvrir comme personne, autodidacte, indépendant, passionnée, cultivée et... maladroit dans ses relations.

Je ne sais pas comment ça va tourner pour ta fille et toi, tu ne le sais pas non plus. Je comprends que tu es à bout de ces déceptions. J'en suis désolée.

«Some of us laugh, some of us cry,
Some of us smoke, some of us lie,
But it's all just the way that we cope with our lives»
Paroles d'une chanson de Starsailor.

Anonyme a dit…

Wow! Quel texte touchant... Merci de partager avec nous.

On ne fait jamais de mauvais choix. On prend des décisions qui peuvent finalement s'avérer mauvaises, mais on ne choisit pas délibérément de se tromper, de souffrir, de regretter...

Je vous souhaite de retrouver votre fille... Elle est encore bien jeune, elle ne comprend pas l'importance d'un père...

Ce vide que vous ressentez, je le ressens aussi... Encore jeune, mais je vieillis. Pas encore d'enfant à aimer, consoler, conseiller... mais un enfant, quelque part au-dessus de moi et dans mon coeur, qui aurait aujourd'hui près de 3 ans...

J'espère que nous trouverons tous les deux ce petit quelque chose qui emplira notre âme de bonheur pour que nous puissions jouir de la vie comme nous le méritons.

Merci pour tous vos textes. Je suis enseignante aussi et vous lire me fait souvent le plus grand bien.

Annie

Anonyme a dit…

J'aurais juste envie de vous prendre dans mes bras et de vous faire un énorme câlin. Pas un câlin en A.. Non. Un vrai.
Paola ;)

Anonyme a dit…

Votre vie avec votre fille n'est qu'un éternel retour à la case départ
et je suis désolée qu'il en soit ainsi. Votre clairvoyance vous fait réaliser à quel point votre fille vous a toujours échappé et vous échappera toujours. Cet clairvoyance vous sauvera.
Courage PM:la vie finira par vous sourire. En attendant, prenez le temps de goûter au bonheur au travers les petites choses de la vie: ce sont souvent les meilleures.

Anonyme a dit…

"Comme d'habitude" comme le chantait Claude François :(

Le professeur masqué a dit…

Unautreprof: mon père a été un être dur, difficile, à la limite violent. Je l'ai craint, il m'a souvent fait peur. Je le fuyais souvent Puis, à la mort de ma mère, il s'est tranquillement effondré jusqu'à pleurer dans mes bras. J'ai été un père tellement différent avec ma fille. Ouvert. À l'écoute. Disponible. J'aurais cru que. Mais c'est comme ça.

Madame Annie: bonjour! C'est vrai: on ne fait pas nécessairement de mauvais choix. Je crois que ce qui doit remplir notre âme, c'est nous mêmes. Simplement. Enfin, peut-être. :)

Paola: ahh! c'est compliqué les câlins parfois.

Anonyme 1 ouaip. Le cigare et le vinsanto.

Anonyme 2: ouaip. C'est à moi de briser les miennes si je ne peux changer les autres.

juillet a dit…

Ouf... Votre texte m’a bien sûr énormément touchée. Je comprends votre souffrance, et je me reconnais aussi beaucoup dans votre fille. Mes parents sont séparés depuis mon tout jeune âge. Quand on les connait tous les deux, on peut vraiment se demander comment un jour ils ont pu former un couple. Adolescente jusqu’au début de l’âge adulte, j’ai eu une relation extrêmement conflictuelle avec mon père. J’ai même coupé les ponts avec lui à une certaine époque de ma vie. Je lui en ai voulu pour des choses qu’il a faites, mais aussi par le biais de choses racontées et vécues par ma maman. Certains parents commentent l’erreur de prendre leur ado pour confident. C’est particulièrement néfaste quand ces confidences ont l’autre parent pour objet. J’ai 30 ans aujourd’hui et je parle à mon père presque à tous les jours. La vie et la maturité acquise de chaque côté nous ont permis de nous rapprocher. Je suis maman d’un petit garçon d’un an et il est un grand-papa merveilleux et hyper présent. La vie et les relations humaines ne sont pas figées. Heureusement. Faire preuve d’un certain lâcher-prise peut, je crois, être bénéfique. Qui sait si dans quelques années le mouvement ne viendra pas du côté de votre fille…

Coccinelle a dit…

Ce texte m'a donné les larmes aux yeux. Et maintenant, j'ai une envie folle d'aller serrer mon père dans mes bras.

Peu importe ce qui arrive, votre fille restera toujours votre fille, même dans 20 cela n'aura pas changé alors courage!

Siocnarf a dit…

Je dis toujours à mes enfants de profiter de moi voire d'abuser de moi au maximum car je ne serai pas là pour toujours. Je leurs suis prêté.

Votre texte m'a peiné. Je ne sais quoi dire. Moi c'est mon frère et ma soeur qui ne me parle plus et pratiquement plus à ma mère. Tout comme vous mes torts sont là. Bien différent mais présent. C'est réellement triste mais il faut leur garder une place dans notre coeur avec beaucoup d'espoir.

Anonyme a dit…

Une présence dictée par une obligation parentale sociale n'est pas nécessairement la meilleure raison. Surtout si la mère a dévoilé des secrets qui devaient être bien gardés.

gillac a dit…

Je me suis senti un peu voyeur mais aussi très admiratif de votre courage. Votre texte m'a rappelé une réflexion que je me faisais cette semaine: la vie est belle mais difficile...Personnellement, je vis l'inverse de vous. Un fils trop dépendant de moi et croyez-moi, c'est aussi lourd à porter.

Le professeur masqué a dit…

Madame Juillet: «la vie est courte, le temps est long.» Je ne sais ce que réserve l'avenir, mais je dois soulager le présent.

Coccinelle: merci. Heureux papa! :)

Siocnarf: certaines dynamiques familiales sont malheureusement bien tristes.

Anonyme: il y avait plus que cela, ne vous inquiétez pas.

Monsieur Gillac; si vous êtes voyeur, suis-je exhibitionniste? Plus sérieusement, je comprends que les extrêmes sont souvent difficiles à vivre.

D'une façon plus générale, il y aura une suite plus professionnelle à ce texte. Je crois qu'il est difficile de départager vie personnelle et vie professionnelle quand on est un certain type d'enseignant.

Anonyme a dit…

Le paternage d'élèves n'est-il pas un acte compensatoire?

Le professeur masqué a dit…

Anonyme: non, pas dut tout. J'étais pareil à mes débuts. Bien avant que Fille masquée sévisse.

Anonyme a dit…

À vos débuts FM était petite mais vous dites avoir eu des problèmes dès la naissance ou presque. Si cette période correspond à celle de vos débuts, ceci expliquerait cela.

Stephane Levasseur a dit…

Vous dites:

"Aujourd’hui, je regarde autour de moi et je trouve ma vie passablement vide et absurde."

Pour bien des gens, le sens de la vie importe peu tant qu'ils sont occupés. Occupés à étudier, à trouver une conjointe, à s'établir sur le marché du travail, à fonder une famille, à élever ses enfants, à voyager et acheter un chalet.

Mais après tout ça, une fois la vie passée, lorsque la stabilité, la vieillesse ou la retraite arrive, la quête de sens se pointe et le vide fait mal. Bien des retraités retournent travailler ou boivent pour l'éviter.


Vous dites:
"Tout être humain est construit sur des bases comme la famille"

Pour bien des gens, le sens de la vie se trouve naturellement dans la vie familiale. Mais c'est pas pour tout le monde, dont moi.

Ce vide, je le comble par divers moyens qui somme toutes, donnent un sens à ma vie:

-"Is someone getting the best of you" -Foo fighters
Je contribue au bonheur de quelqu'un d'autre (ma conjointe). Si à la fin de ma vie je peux me dire que j'ai aidé à rendre un autre humain heureux, c'est beaucoup! De façon plus modeste, jessaie d'atténuer la souffrance des plus démunis. Une école est un bon endroit pour ça (eh oui, je suis prof).

-"Connais-toi toi-même"
C'est une longue quête spirituelle qui m'a amené à m'accepter et mieux me comprendre. J'y consacre quelques heures chaque semaine. Elle se terminera à ma mort car je change constamment.

-"Développer ses talents, ses capacités. Exploiter son potentiel." C'est là où je suis rendu. Je ne sais pas encore où ça va me mener.

Je souhaite que vous trouviez votre chemin. Bonne route.

Le professeur masqué a dit…

M" Levasseur: nous explorons la même sagesse.