06 juillet 2012

À propos du cours «Nager pour survivre»

J'ai eu le temps de réfléchir à cette intention ministérielle de faciliter l'implantation de la formation «Nager pour survivre» en troisième année du primaire dans toutes les écoles québécoises. Certains commentaires ici et des échanges avec des gens autour de moi m'ont aussi beaucoup aidé à approfondir ma position et à effectuer des recherches dont les résultats sont préoccupants. Prenez la peine de lire ce texte jusqu'à la fin

La mission de l'école?

Tout d'abord, il est clair qu'en offrant cette formation, l'école s'éloigne de sa mission fondamentale (instruire, socialiser et qualifier). C'est le MELS lui-même qui reconnait les risques de ce genre de dérives dans son énoncé de politique éducative Prendre le virage du succès - L'école, tout un programme:

«Pour conduire les élèves à la réussite, l'école a besoin de l'appui de toutes les Québécoises et de tous les Québécois, jeunes et adultes. Mais cet appui ne lui sera accordé que si les missions qui lui sont confiées sont connues et font consensus. Sinon, l'ambiguïté persistera et l'école continuera de se voir adresser des demandes qui risqueront de la distraire de son objectif. Il importe donc de mieux définir le champ d'action de l'école.»

L'école québécoise vit des moments difficiles. Elle tente de rattraper son retard en matière de réussite scolaire. Faut-il la distraire ainsi de ses objectifs fondamentaux? Quelle sera la prochaine mission qu'on lui confiera? La sécurité routière pour les jeunes cyclistes? Les cours de conduite automobile?

Au mauvais moment et au mauvais endroit?

En instaurant cette formation, ne risque-t-on pas de déresponsabiliser les parents et d'augmenter le risque de noyades pour la catégorie d'âge des jeunes enfants, les moins de neuf ans, par exemple? Certains parents seront-ils tentés de penser que c'est l'école maintenant qui s'occupera de sensibiliser leurs enfants aux dangers reliés à l'eau et leur montrera à nager?

Si l'on regarde les statistiques, en ce qui concerne les individus de moins de 18 ans qui représentent moins de 13% des noyades au Québec cette année, il s'agit dans les cinq cas d'enfants laissés sans surveillance par leurs parents, dont un qui s'est noyé dans son bain. Tous les jeunes de 18 ans qui se sont noyés cette année n'auraient reçu cette formation à leur école puisqu'ils n'étaient même pas d'âge scolaire. Pour les années 2010 et 2011, c'est un peu plus du tiers des jeunes victimes de noyade qui n'auraient pas suivi cette formation à cause de leur jeune âge. (En fait, l'âge moyen d'un jeune qui se noie dans une piscine au Québec depuis trois ans est d'environ de 5 ans et d'environ 10 ans dans un lac ou une rivière.)

On peut donc raisonnablement se questionner sur l'impact de cette formation alors qu'elle ignorerait un pan important des jeunes québécois.

Une formation véritablement efficace?

La formation «Nager pour survivre» a été créée par la Société de sauvetage, un organisme sans but lucratif qui vise à prévenir les noyades et les traumatismes associés à l’eau.. Elle consiste en trois séances d'une heure donnée dans une piscine. Les élèves seront alors amenés à pratiquer une entrée en culbute dans l'eau afin de se familiariser avec le phénomène de la désorientation vécue lorsqu'on tombe à l'eau accidentellement. Ils devront aussi tenter de se maintenir à la surface de l'eau pendant 60 secondes et nager sur une distance de 50 mètres dans une piscine. On comprend clairement qu'il ne s'agit pas de cours de natation, comme en ont parlé certains médias. Selon les chiffres, 80% des jeunes réussissent à atteindre ces trois objectifs. Une question: combien de jeunes réussissaient à les atteindre AVANT d'avoir reçu cette formation?

Qui plus est, en consultant le site de Société de sauvetage, quelques aspects ne sont pas clairs quant à cette éclatante réussite.  

«Il est conseillé de faire revêtir un VFI aux participants pour procéder une première fois à l’évaluation. Par la suite, les enfants jugés aptes à enlever leur VFI pourront tenter de relevé (sic) le défi sans celui-ci.»

Peut-on donc réussir cette formation avec une veste de flottaison? Est-ce que les enfants qui n'ont pas relevé le défi (absence, refus, etc.) sont comptés dans les statistiques comme étant parmi les 20% qui ne le réussissent pas?

Si je me base sur la feuille d"évaluation du défi «Nager pour survivre» qu'on trouve à l'adresse http://www.snpn.ca/?p=39, la réponse serait qu'on peut réussir le défi avec une veste de flottaison et qu'on ne tiendrait pas compte des refus de participer. Si ces donnée sont justes, elles suffisent pour invalider l'idée d'implanter cette formation dans les écoles québécoises. Mais continuons notre réflexion.

Si on observe les statistiques quant aux noyades au Québec, on remarquera que, chez les moins de 18 ans, celles-ci sont le fait de jeunes sans surveillance qui perdent la vie dans des lacs ou des rivières. On est loin du calme d'une piscine. Et d'une possible veste de flottaison.

Chez les plus de 18 ans, qui constituent plus de 80% des noyades au Québec, en plus des limites reliées à la formation «Nager pour survivre», on peut se demander quel impact réel aura celle-ci un jour si on regarde les statistiques.  Dans la grande majorité des noyades au Québec, près du quart sont associées à des actes téméraires ou qui ne respectaient pas la réglementation nautique (dont porter une veste de flottaison). Parmi les autres cas, on retrouvait des causes pour lesquelles une formation n'aurait rien changé: malaises cardiaques, intoxication par l’alcool ou la drogue, écrasement d'avion, suicide... 

De quel succès parle-t-on?

Tous les intervenants en faveur de cette formation ont mentionné qu'il s'agissait d'un succès? Mais de quel succès parle-t-on? La seule statistique que j'ai pu trouver soulève des questions. On cite l'exemple ontarien où cette formation est donnée aux jeunes sans pour autant nous indiquer à combien se chiffre la baisse des noyades survenues dans cette province. Parce qu'il faut bien qu'il y ait une diminution des noyades, non? 

ll serait donc intéressant qu'on nous démonte les résultats concrets de ce programme à l'aide de données vérifiées et vérifiables. Cela me semble un minimum quand on engage des fonds publics dans une formation de la sorte et qu'on entend la rendre obligatoire.

Pour jouer à un avocat du diable rempli de mauvaise foi intense, si je prends les noyades recensées au Québec, je me demande à quoi servira cette formation dans le cas des suicidaires, des gens intoxiqués, assis à bord d'un avion ou d'une automobile qui sont tombés dans un lac ou une rivière. Je me demande aussi à quoi aurait servi cette formation à tous ces gens que la Société de sauvetage inclus dans ses statistiques parce qu'ils ont été retrouvés dans ou à proximité d'un cours d'eau et dont la cause du décès est inconnue?

À propos de financement

Au cours des trois prochaines années, le MELS entend faciliter l'implantation de la formation «Nager pour survivre» en donnant un incitatif financier aux écoles qui choisiront d'offrir cette dernière. Par la suite, on songe à rendre cette formation carrément obligatoire.

Or, cet incitatif ne suffit pas actuellement à payer les coûts de ce programme. Alors que les écoles secondaires sont déjà en mode coupures, quels services vont-elles devoir diminuer ou cesser de donner pour payer les coûts de cette formation? La bibliothèque scolaire, la surveillance, le psychologue?

En conclusion, tout le monde est pour la vertu et éviter des incidents regrettables. Cependant, non seulement le MELS va pelleter aux écoles une formation qui, à mon avis, ne relève pas de leur mission fondamentale et dont on peut questionner l'efficacité, mais cela va avoir en plus pour effet de les amener à réduire les ressources qu'elles devraient consacrer à la réussite scolaire des élèves. On nage, sans jeu de mots, en plein délire. 

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Le ministère de l'éducation étant par définition dirigé par un ou une ministre qui se doit d'être élu par ses concitoyens cause automatiquement la majorité des problèmes que nous vivons dans le système d'éducation.

Le délire des réformes et des changements de réforme, l'improvisation constante et maintenant le désire de plaire aux électeurs nous fera taper le mur d'ici quelques années.

Les coupures font mal aux écoles et ça ne va pas en s'améliorant. En 10 ans de métier j'ai vu les conditions de travail diminuer et j'ai peur pour l'avenir.

Toutes ces nouvelles idées font en sorte que l'on oublie les trois missions essentielles du système d'éducation.

Ne serait-ce pas exactement ce que le ministère cherche? Faire oublier toutes ces bourdes en plaçant un écran de fumée!

Merci pour ce blogue magnifique.

GeSirois a dit…

Pour répondre à ta question de 15 à 20% réussissent avant.

Je suis tout à fait d'accord que la responsabilité revient aux parents.

La population cible de cette formation n'a rien a voir avec les victimes de noyade!

Mais ne va-t-on pas avoir des élections cet automne! N'est pas là une mesure populiste pour avoir l'air de régler un vilain problème?(alors qu'il en est rien mais c'est quoi le % de la population qui a les yeux ouverts???)

Ordinaire tout ça....

Le professeur masqué a dit…

Mme Sirois: et on peut réussir avec une veste de flottaison et on ne tient pas compte des refus? (sans indiscrétion, d'où tenez-vous ces infos?)

Anonyme a dit…

Que le MELS intègre ce projet dans le programme de l'éducation physique. Chaque année il y a au moins une activité piscine d'une demi-journée: qu'on s'en serve pour implanter "Nager pour survivre": on fera ainsi une pierre deux coups et on ne dépensera pas un sou de plus, ce qui serait nouveau au MELS.

Le professeur masqué a dit…

Anonyme: il faut payer les autobus et les moniteurs donnant la formation. Ce qui est remarquable, c'est que l'OSBL qui recommande la formation, offre la formation ($) et évalue le succès de la formation...

GeSirois a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Le professeur masqué a dit…

Dans la grille d'évaluation, il est écrit: «réussi à effectuer les trois habiletés de base avec un VFI».