Ce matin, la grande Jasmine est venue me voir. Une belle élève, toute douce et toute gentille. Du caractère aussi. Heureusement d'ailleurs. Elle va en avoir bien besoin.
Jasmine a échoué son épreuve de lecture d'étape. «Échouer» est un euphémisme pour dire que le bateau a coulé et touché des fonds marins qu'on croirait inatteignables. Imaginez: tenter de récupérer un navire sous le flot des larmes qui lui remplissait les yeux. Impossible.
La raison de cet échec: de sévères problèmes de dyslexie, tant en lecture qu'en écriture. Même le mot dyslexie est difficile à écrire, alors imaginez ses conséquences...
Jasmine a un dossier médical épais qui concurrencerait celui de l'annuaire téléphonique de Montréal. Depuis le primaire, ses enseignants sont bien gentils avec elle et tentent de l'aider. Même qu'avant d'arriver dans ma classe, on ne comptait pas ses fautes dans ses textes, dans ses examens. Mais là, en cinquième secondaire, elle vient de frapper le dur mur de la réalité : les fautes comptent! En effet, aux épreuves de fin d'année, le ministère ne fait pas de distinction entre les élèves dyslexiques et les autres. D'ou les larmes, d'ou aussi la colère.
Jasmine n'est pas ma première élève dyslexique à vivre cette situation. Règle générale, on les accompagne mollement durant leur parcours scolaire, les ressources pour les aider sont rares et les enseignants ne sont pas formés adéquatement pour leur apporter un soutien efficace. Mais rien de cela ne paraît parce qu'on pratique une évaluation «différenciée» et qu'on leur donne plus de temps pour chaque épreuve. On achète du temps.
Jasmine est bien évidemment découragée. On le serait à moins. Comme enseignant, je vais devoir tenter de trouver les ressources et les stratégies pour lui permettre de compléter son secondaire. Les gens dyslexiques ne sont pas condamnés à vie. Ils peuvent réussir de grandes choses. Mais souvent ils doivent obtenir ce foutu diplôme.
Quoi qu'il en soit, Jasmine a des problèmes de dyslexie: elle n'est pas dyslexique. Elle n'est pas définie uniquement par cette difficulté. Elle a des qualités, des habiletés. Nous travaillerons avec ses forces pour compenser ses faiblesses. Un long parcours difficile débute.
Mais bon sang que j'aimerais qu'on travaille avec ces élèves correctement alors qu'ils sont jeunes, qu'on leur montre à se servir d'un dictionnaire électronique adapté comprenant un logiciel permettant de reconnaître la graphie des mots à l'aide de l'alphabet phonétique, qu'on leur enseigne à utiliser des techniques de concentration et d'attention.
Non, on les pellete vers l'avant, leur donnant l'illusion de la réussite jusqu'à ce qu'il soit bien tard et que ces jeunes soient désamparés.
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La revue Correspondance a publié d'excellents textes dans son numéro de février 2006. À lire!
17 commentaires:
Mais comment les professeurs du primaire et du début secondaire peuvent aider une Jasmine?? C'est là le problème. Comme vous le soulignez, nous ne sommes pas formés pour cela, les écoles ne disposent pas d'assez de ressources pour les orthos, ils ne sont malheureusement pas seuls dans la classe, les formations sur le sujet sont souvent aussi nébuleuses que le secret des îles des Pâques, alouette...
Je trouve injuste de faire "couler" un élève au primaire à cause de sa dyslexie, car cet élève est aussi brillant et capable qu'un autre, il a juste des problèmes pour ordonner correctement les sons (pour faire simple, mais je sais que c'est plus complexe). Il faut évaluer de façon différente pour cet élève : de plus, c'est que la réforme nous oblige à faire... Mais d'un autre côté, je trouve tout autant injuste de le laisser voguer ainsi avec un bateau voué à couler quelques années plus tard face à un examen du ...MINISTÈRE, ce même ministère qui instaure la réforme nous obligeant à différencier notre évaluation, ce qu'il ne fait pas à son propre examen de passage de secondaire 5.
Le sentiment d'échec que ressent Jasmine, tout enseignant avec des élèves en difficultés le ressent aussi, même s'il diffère. Le sentiment de ne pas pouvoir aider correctement.
Il serait peut-être temps que la santé et l'éducation cohabitent. Des enfants dyslexiques il y en a et il y en a toujours eu. Avant on les intégrais dans la catégorie des "cruches" de la classe. Maintenant, on semble vouloir les valoriser. Il faudrait qu'on trouve des moyens spéciaux pour aider ces élèves. Je pense que le milieu de la santé devrait intervenir fortement dans le milieu de l'éducation, du moins pour ces élèves. L'élève qui est évalué dyslexique par un neurologue devrait avoir droit à un suivi scolaire serré, suivi supervisé par l'école et l'hôpital. Pas besoin de connaître le vécu des autres qui ont le même problème. Sans suivi, rien ne rime à rien à l'école.
Si votre Jasmine a un dossier monstrueux en neurologie (car c'est là qu'on détecte et diagnostique le problème), il faudrait qu'elle fasse intervenir son neurologue auprès de l'école. On le fait dans le cas des enfants qui doivent voir le pédo-psychiatre. Pourquoi le neurologue ne pourrait-il le faire?
Comme le dit La marâtre, les profs n'ont pas la formation pour aider ces enfants. L'expérience professorale peut aider mais ne pourra jamais rien régler.
Sensibilons ces jeunes à faire des pressions auprès du service de neurologie qui les suit. Tout billet médical a un impact certain auprès des directions d'écoles. Et si ce n'est pas le cas, mobilisons-nous pour sensibiliser nos services éducationnels.
Les enseignants ne le peuvent pas ou si peu: pas de formation, pas de ressource. À ce sujet, le lien à la fin de mon billet semble intéressant.
La dyslexie soulève de nombreux problèmes chez moi. On ne peut pas couler un élève qui est muet lorsque vient le temps de faire un exposé oral. Par contre, on peut le faire avec un élève dyslexique. Mais comment peut-on justifier la valeur du diplôme dans un tel cas? Faut-il une annotation spéciale? La situation est complexe.
Je crois que la solution utopique est d'avoir les services nécessaires sans changer l'évaluation finale, sans trop verser dans l'évaluation différenciée. Mais là, je rêve.
Il existe des groupes de soutien pour les personnes dyslexiques, groupes qui sont formés par les départements de neurologie. Cessons de demander à nos profs d'êtres des personnes omniscientes : soyons réalistes. Il faut que les jeunes qui sont atteints du syndrome de la dyslexie fassent leurs propres démarches pour obtenir le soutien nécessaires. N'oublions jamais que la dyslexie est une maladie neurologique et pas une difficulté d'apprentissage qui elle, serait du ressort de l'éducation, de l'école.
Je connais assez bien le problème, je suis dyslexique/Dysorthographe. Malheureusement pour moi, je l'ai su à ma 3e année universitaire. Je reussissait bien au secondaire dans toutes les autres matières, excepté le français. Aujourd'hui, je suis ingénieur. Fait interessant, une partie des ingénieurs sont dyslexique. Alors, malgré les difficultés associés avec ce trouble d'apprentissage, nous pouvons évolué pleinement dans la vie
J’ai eu la chance d’enseigner plusieurs élèves dyslexiques. L’écriture est difficile pour eux mais il ne faut oublier qu’intellectuellement, ils sont égaux aux autres élèves. Depuis quelques années, les élèves dyslexiques, au Nouveau-Brunswick, on la chance d’avoir en leur possession un ordinateur portatif pour les aider avec leurs difficultés d’écriture. Comme vous le mentionnez, des logiciels comme Word Q (reconnaissance de mots et lecture de mots) et Antidote (dictionnaires, correcteurs, etc.) sont installés sur ces ordinateurs. Les élèves apprennent à utiliser ces outils ce qui les aident grandement dans leur processus d’écriture. Pour avoir côtoyé des élèves dyslexiques, il est maintenant presque impossible de faire la différence entre les textes d’élèves dyslexiques et les autres élèves de la classe. Je suis dépassé quand je vois que le ministère de l’Éducation du Québec ne fait aucune différence, en secondaire cinq, entre les élèves dyslexiques et les autres élèves de la classe! Ne sommes nous pas en 2007, et ne savent t-ils pas que des outils existent pour aider ces élèves? On demande souvent qu’est que les nouvelles technologies apportent de plus en salle de classe, et bien voilà un bel exemple.
Chaque fois que je travaille avec des élèves dyslexiques, je ne cesse de leur dire que cette situation ne les empêchera pas de réussir s’ils le veulent vraiment. Plusieurs personnalités sont dyslexiques, dont Tom Cruise. Est-ce que cela l’a empêché de réussir?
Comme ton billet est criant de vérité! Je n'adapte jamais mes bulletins. J'ai une classe de 5e année, j'évalue mes élèves comme des élèves de 5e année. Je ne leur rends pas service? Faux. Je les aide à faire face à la réalité et je fais de mon mieux pour les outiller à passer par-dessus leurs difficultés. Avec un bulletin adapté qui contient de belles notes, on ne rend service à personne : on ment. Avec un vrai bulletin rempli d'échecs, on dit la vérité. Peut-être pas agréable à entendre, mais la vérité quand même.
Car il ne faut pas oublier que les parents sont souvent complices de ce laisser-aller. Ils voient de belles notes, c'est plus facile de s'en laver les mains et de laisser l'école faire.
Je n'ai été responsable d'aucune dépression et d'aucune démotivation. J'ai soutenu mes élèves et leurs parents et je leur ai toujours assuré qu'il existait une solution pour améliorer la situation.
Un échec cuisant en 5e secondaire, quand tout allait "relativement" bien pendant tout le parcours scolaire, c'est une méchante claque en pleine face. Assez pour démolir quelqu'un et le démoraliser...
Pauvre jeune fille.
Elle est sûrement plein d'ambition, mais à l'heure qu'il est, elle doit être complètement démotivée!
Je peux comprendre ce qu'elle vit! Mon copain étant dysorthographique, il se faisait traiter de parasseux... il a fini par lâcher le secondaire!
Je n'en reviens pas... il n'y a aucune "brèche" (devrais-je dire perche?) dans le système pour lui permettre de passer son examen ministériel!
Quel système!
«Non, on les pellete vers l'avant, leur donnant l'illusion de la réussite jusqu'à ce qu'il soit bien tard et que ces jeunes soient désamparés.» Ce constat s'applique à tous les élèves de cinquième secondaire, du moins en français qui, souvent pour la première fois, se font remettre sous le nez TOUTES leurs fautes, constatent TOUTES leurs lacunes. Dur réveil pour plusieurs en cette fin de première étape.
Soudainement, on est exigeant envers eux...
Cela dit, je comprends la rage de ton élève. J'imagine que tu as été «l'heureux élu» qui lui a annoncé que ses fautes comptaient, cette année. Le manque de services adaptés est déplorable et ta tâche, alourdie. Inacceptable. Bon courage!
Bobbi: santé et éducation conjointement? Un aveugle et un sourd peuvent-ils se mettre en équipe? Peut-être... mais les deux systèmes sont aussi mal foutus l'un que l'autre.
Jasmine a un bon dossier médical. Le problème n'est pas là. Un neurologue ne s'occupe pas toujours de l'aspect scolaire. Parfois, il s'en fout. Parfois, il est débordé. Puis, il y a l'école qui ne prend pas le relai. Pas de moyens. Pas d'intérêt. Trop de travail. Trop de bureaucratie. Il faut un prof zélé qui va voir sa direction, qui plaide sa cause.
Pour ce qui est des groupes de soutien, vous pouvez me donner des coordonnées? Pour ma part, j'ai décidé de mettre Jasmine en lien avec une élève dyslexique à qui j'ai enseigné l'année dernière.
Michel: merci de votre commentaire. Effectivement, les individus présentant des problèmes de dyslexie ont d'autres aptitudes qui les aident à se démarquer. Le cas des ingénieurs ets très révélateur.
Gary Kenny: Bienvenue à vous! Poliment, je vous dirai que l'accompagnement des élèves dyslexiques au Québec est très variable et va du bien à l'horreur la plus complète. Quant à l'idée que jasmine aie un ordinateur équipé de logiciels pour l'aider, on en est très loin ici. Au Québec, on a que les moyens d'acheter du temps...
Mérédith: bonjour à vous! Jasmine était en larmes encore une fois aujourd'hui. Elle a reçu d'autres notes dans d'autres matières, je crois. On verra demain. Je ne voulais pas la brusquer. Un jour à la fois.
Safwan: bien sûr que j'ai été l'heureux élu! Heureusement que Jasmine est attachante et remplie de volonté!
Il y a dyslexie et dyslexie. Pour qu'on ne remarque les problèmes d'un éléve que tard au primaire ou même au secondaire, il faut que la dyslexie soit bien légère. Ma fille, elle, souffre de dyslexie, dysorthographie, dyscalculie et troubles de l'attention sévères. En passant, le diagnosic a été fait par une orthophoniste pas par un neurologue. Il lui permet de fréquenter une école spécialisée pour les enfants présentant des troubles d'apprentissage graves, l'école Vanguard. Les groupes ont beau être petits et les enseignants des orthopédagogues chevronnés et motivés, avec des handicaps aussi sérieux que ceux de ma fille, on ne fait pas de miracle. À treize ans et demi, elle a appris à lire des textes simples mais est incapable d'écrire autrement qu'au son. Elle est du niveau fin de la deuxième année primaire, début de la troisième. Les apprentissages académiques plafonnent et comme elle est intelligente, elle se rend bien compte de ses handicaps. Il serait tout à fait impossible pour un prof ordinaire dans une école ordinaire de l'aider. Votre élève doit souffrir d'une dyslexie légère, Professeur Masqué, sinon elle n'aurait jamais pu se rendre jusqu'au secondaire cinq. Je suis certaine qu'elle apprécie grandement l'empathie dont vous savez faire preuve à son égard.
Nos élèves dyslexiques ont obtenu récemment des portables avec Word Q et Antidote. Il y a un début à tout.
Sauf que...
Me semble que j'aurais bien 15 élèves dans ma classe qui auraient besoin d'un portable avec ces logiciels de correction, même s'ils ne sont pas dyslexiques.
:s
Vous touchez ici un réel problème.
Comme l'ont soulevé plusieurs personnes dans leurs commentaires, les dyslexiques ont une intelligence normale, parfois vive, alors leur compréhension, s'il n'y a pas de trouble associé, n'est pas atteinte. Ils sont très conscients de leurs difficultés.
Les écoles comme Vanguard sont "idéales" parce qu'elles regroupent des jeunes aux prises avec les mêmes difficultés.
Comme dit Gary Kenny, les logiciels comme Antidote et Word Q sont recommandés. Avec un diagnostic de dyslexie, l'élève "peut" recevoir un laptop, il faut faire une demande appuyée par l'orthoponiste de l'école. Sinon, il faudrait encourager les écoles à se procurer des licenses écoles, pas seulement les dyslexiques pourraient en bénéficier.
On permet aux myopes de porter des lunettes, aux hyperactifs de venir à l'école en prenant un médicament, aux aveugles d'avoir un chien-guide.
Je suis pour les groupes fermées, où l'enseignement est adapté pour les dyslexiques, pour les élèves plus "atteints". Comme je suis titulaire de 14 élèves "souffrant" de dyslexie sévère(diagnostics à l'appui) je peux vous dire qu'ils font tous un progrès immense, nos conversations sont intéressantes, ils ont droit à un paquet d'outils pour l'écriture, on fait de la rééducation en lecture.
Je ne suis pas d'accord que d'évaluer un dyslexique de la même façon qu'un non-dyslexique est le faire faire face à la réalité. Le dyslexique, en général, se rend bien compte qu'il ne réussit pas aussi bien. Ces élèves dans les classes régulières sont en général très malheureux, car ils se trouvent "poches", "incompétents".
Quand je les reçois, le soulagement lu dans leurs yeux quand ils réalisent qu'ils sont avec d'autres dyslexiques, quand je prends le temps de mettre des mots sur leur difficulté, quand je leur dis qu'ils sont intelligents, est immense.
De plus, plusieurs de ces élèves développent un trouble anxieux.
Il faut vraiment qu'on arrive à les aider, rapidement.
La dyslexie est considérée comme étant un trouble d'apprentissage et traité comme tel. L'AQETA (Association québécoise des troubles d'apprentissage) offre des services aux parents et PANDA en offre aux enfants.
Dans ma pratique de prof au régulier, j'ai vu énormément de déni. Même quand les parents semblent accepter, ils n'acceptent pas entièrement. D'encourager ce déni ne me semble pas souhaitable...
Et généralement, quand les parents sont en déni, les enfants le sont aussi, à un degré différent.
Qu'on me comprenne bien : j'adapte mon enseignement, du mieux que je peux. Mais au niveau des bulletins, je suis inflexible. Je suis rarement bornée, mais pour ça je le suis! :o)
Je n'ai jamais eu d'élèves dyslexiques (dur à croire, n'est-ce pas?), mais je ne crois pas que ça changerait ma vision des choses.
Une femme libre: effectivement, il existe différentes formes de dyslexie. Les enseignants ne sont pas formés pour les reconnaître et certains ne font pas l'effort de s'attarder aux difficultés de leurs élèves. Un exemple: à ma deuxième année d'enseignement, j'avais une élève dans ma classe qui coulait toutes ses productions écrites. Elle mélangeait les b, les q, les d, les p... Personne ne l'avait remarqué avant et elle était en cinquième secondaire. En pensant à la grande Jasmine, je me dis que je vais aller suivre une formation sur la dyslexie, question d'être un point de référence dans l'école en tant que prof. Cela n'a pas de sens.
Depuis que j,ai lu vos billets sur votre fille, vous avez toute mon admiration d'être une mère qui fait tout ce qu'elle peut pour sa fille. D'autres parents n'en font pas autant.
Gobba: je prends note de l'ordi et des logiciels. Il y a des cs plus actives que d'autres. Par contre, les bureaux administratifs ont des magnifiques écrans plats depuis trois ans.
Un autre prof: et vos élèves sont de quel niveau? Tout comme Gooba l'indique, le problème est aussi dans l'évaluation, surtout si comme moi, on est en cinquième secondaire.
Prof masqué : (en retard) Mes élèves sont âgés de 9 à 12ans, académiquement parlant ils ofnt des maths de première à cinquième année, en français de première à quatrième année.
L'évaluation est adaptée et elle se fait en regard du progrès. C'est plus facile en groupe fermé car personne n'est évalué pour les même compétences. En fait, je veux dire plus réalisable et non plus facile car faire les bulletins en plus des plans d'intervention demande un temps fou!
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