24 janvier 2008

Les études: qu'ossa donne?

A-t-on besoin d'en dire beaucoup plus: plus besoin de diplôme d'études secondaires pour être admis au cégep. Voilà ce que nous apprend Le Devoir et La Presse ce matin. En soi, le titre est vrai et faux à la fois. Vrai à condition qu'il ne manque que l'équivalent de six crédit à l'élève. Vrai puisque le jeune n'aura pas besoin d'avoir obtenu son DES pour être admis, mais faux puisqu'il lui faudra quand même l'avoir complété lors du premier trimestre s'il veut ne pas se faire foutre à la porte.

Évitons de ruer dans les brancards: je suis entré à l'université sans mon DEC. Il me manquait un cours que j'ai complété lors de ma première session universitaire. Et il s'agissait d'un cours de français! J'avais abandonné théâtre parce que je n'avais aucune mémoire pour ce qui est de retenir un texte. Sauf que je ne me sentais pas fier de cette erreur de parcours.

Il y aura toujours un échappatoire

Le premier problème que j'éprouve avec une telle mesure en est une de perception. Le message qu'on passe aux jeunes est qu'il y aura toujours un échappatoire. «Tu coules? Pas grave: on a prévu une façon de te tirer de là.» Pour certains qui n'ont pas la culture de l'effort, c'est encore une invitation à remettre à demain ce qu'ils auraient pu faire aujourd'hui.

Cette mesure permettra «d'élargir l'accessibilité des études collégiales», explique la responsable des communications de la Fédération des cégeps, Caroline Tessier. Élargir dans quel but? Rendre service à l'élève ou contrer une baisse de clientèle dans les cégeps?

Dans cette veine, une petite anecdote. Mon école a vu surgir un centre d'éducation aux adultes il y a quelques années non loin de son périmètre. Depuis ce temps, la phrase magique «Je vais le finir aux adultes, mon cours» est devenu le leitmotiv de plusieurs élèves.

Autrefois, ils fournissaient un effort supplémentaire ou on les orientait vers les adultes. Aujourd'hui, ils demandent à aller aux adultes dès la troisième secondaire avant même de donner le meilleur d'eux-mêmes. Et combien reviennent me voir en me disant qu'ils s'ennuient du secondaire et suggèrent à leurs amis de persévérer! Combien finalement obtiennent leur DES aux adultes alors qu'ils auraient pu le finir au secondaire?

Je ne dis pas que le secteur des adultes est une mauvaise chose, mais qu'il devienne aussi banal est un signal que quelque chose ne fonctionne pas dans notre société et dans notre réseau de l'éducation, réforme pas réforme.
De plus, on oublie de mentionner qu'il existe déjà des examens de reprise pour les élèves ayant connu des échecs au secondaire. Faut-il en rajouter?

L'illusion

Le deuxième, c'est qu'on vend de l'illusion aux jeunes. Comment un gamin qui n'a pas réussi son cours de français après cinq années d'études au secondaire pourra-t-il y parvenir en un trimestre alors qu'il devra aussi affronter une première session collégiale. Mystère? On est dans la pensée magique s'il l'on pense qu'ils suffit d'ouvrir les portes du cégep pour que tous puissent y réussir.

Dans le même ordre d'idées, combien d'élèves bénéficiant de cours de mise à niveau obtiennent finalement leur DEC? Je comprends bien qu'on veuille donner des chances aux jeunes, mais est-ce réaliste? Leur offre-t-on tout le support nécessaire à leur réussite?

Contrer une baisse de clientèle?

Le troisième élément qui m'embête est que cette mesure s'inscrit dans un plan plus global et sur lequel je m'interroge.

Ainsi, il sera dorénavant possible «d'admettre des jeunes qui ont passé plus de deux ans loin des banquettes de classes si l'établissement juge qu'ils possèdent «une formation et une expérience [...] suffisantes». Un tel principe existe dans certaines universités, c'est vrai.

De plus, un cégep pourra décerner un diplôme d'études collégiales sans mention. Il sera remis à un étudiant ayant cumulé des cours dans différents programmes». «C'est une mesure pour favoriser la réussite et la diplomation», explique Caroline Tessier. Favoriser la réussite et la diplomation, mais de quelle réussite parle-t-on et dans quel but?

Toute ces mesures me laissent un drôle de goût dans la bouche. Je ne suis pas contre la vertu. Mais je crains ses effets pervers. L'enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. Et je me demande où l'on va avec tout cela. À force de vouloir raccrocher les raccrocheurs, dont les problèmes ne sont pas tous reliés à l'école, va-t-on inciter d'autres élèves à y aller plus mollo? Et quels services offrira-t-on à ceux qu'on dit vouloir raccrocher?

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Très bon billet qui met bien en perspective les pièges qui entourent des mesures d'aide trop abondantes et la contradiction entre l'aide et l'acharnement en éducation.

Une femme libre a dit…

Je suis pour cette mesure. Certains élèves qui exécraient l'école secondaire s'épanouissent au cegep. Le milieu est tout à fait différent. La fainéantise ne fait plus rager personne, plus de convocation des parents, plus de sermons des professeurs, rien, le vide, tu ne travailles pas, tu coules. Simple, non? L'indiscipline ne fait plus rire personne. Bref, au cegep, il faut mûrir et rapidement sinon c'est la débandade. Ma fille l'a fait la mise en niveau en français au cegep. Du travail méthodique et encadré, de la discipline, des devoirs. Elle aurait pu faire la même chose au secondaire? Mais oui, évidemment! Mais elle ne l'a pas fait,en partie à cause du milieu qui ne s'y prêtait pas et des camarades d'école qui ne voulaient surtout pas en faire trop, en partie parce qu'elle est influençable. Surtout, ne pas être une bollée ou une nerds. Elle n'a pas manqué son coup. Le cegep a tout changé. Curieux, non? Dans son cas, ça aurait été une grave erreur que de la maintenir un an de plus au niveau secondaire qui ne lui convenait pas.

Le professeur masqué a dit…

Femme libre: Je veux comprendre. Votre fille a obtenu son DES, mais elle a eu une mise à niveau au cégep?

Personnellement, je demeure critique quant aux fameuses mises à niveaux. Elles sont nécessaires, mais loin d'être une panacée pour tous. J'ai de la difficulté à croire qu'on peut apprendre à bien écrire en 45 heures. Il peut y avoir des cas qui fonctionnent, mais plusieurs de mes anciens qui ont eu une mise à niveau n'ont jamais réussi leurs cours de français par la suite. cela ne veut pas dire de les abolir. Juste d'être critique.

Pour en revenir aux mesures dont traitent ces deux articles, je crains simplement qu'elles soient mal comprises. Déjà, après une discussion avec mes groupes ce matin, je voyais que certains élèves pensaient que le DES n'était plus nécessaire du tout. Oups...

Anonyme a dit…

Billet super intéressant!

ma fille aussi a fait une mise à niveau en français au cégep et dans son cas aussi ça a valu le coup. La mise à niveau au cégep s'adresse principalement aux étudiants qui ont en poche leur DES mais dont la note finale en français sec 5 ne dépasse pas 70%.
Dans ce 45 heures de français elle a découvert le plaisir de l'écrit et la fierté de bien le faire.

Je comprends par ailleurs les risques que vous soulevez. Je suis aussi malgré tout pour la multicité des offres et des méthodes d'enseignement.

Une femme libre a dit…

Oui, c'est ça ma fille a eu son diplôme d'études secondaires malgré qu'elle ait coulé son examen de français écrit du ministère. Comme elle avait réussi le français oral et l'examen de lecture, elle a passé de peine et de misère et à ma grande surprise car ils font une espèce de moyenne des trois. Je pensais qu'il fallait réussir et l'écrit et l'oral et la lecture mais ce n'est pas le cas. Au cegep, vu ses faibles notes en français, on l'a inscrite dans un cours de mise à niveau au lieu du cours de littérature collégial.

Anonyme a dit…

La procrastina c tion...

Moi aussi, j'ai ce gout amer.

Quand on voit de quelle manière tant d'universitaires (je ne dis pas tous) écrivent, s'expriment, pensent... Quelques lignes (écrites comment) et c'est l'essoufflement... On est au bout de nos... efforts.

Mais comme tu le soulignes souvent, c'est tout le système d'éducation, les critères de réussite (de quoi, vers quoi, de qui?) qui est de plus en plus boiteux. Comme l'ensemble de notre société, de plus en plus mollasse.

Nous sommes une société de consommation, de prêt à porter (juste à tendre la main), prêt à jeter. Plaisir immédiat. plus tard...

Zed

bobbiwatson a dit…

Je ne comprends pas pourquoi les cégeps laissent passer cette nouvelle alors qu'ils n'ont pas encore statué sur "quelles sont les nouvelles mathématiques seront nécessaires pour accepter les élèves du secondaire". Avec la réforme les mathématiques de 4e secondaire ne s'appelleront plus comme elles s'appelaient et n'auront pas nécessairement la même force.

Pourquoi ne pouvons-nous jamais, au Québec, faire les choses dans l'ordre logique?

Si vous prenez les articles parus au pied de la lettre, je vous annonce cher Prof Masqué, que tous les efforts que vous faites (vous et vos collègues) vont éventuellement demeurer vains ...

Marie-Piou a dit…

Un autre excellent billet signé Prof Masqué.

L'effort est maintenant un mythe. Paraît que les parents faisaient ça .. des efforts...quand ils étaient jeunes. Paraît aussi qu'internet n'existait pas dans ce temps-là. Une époque de fous, je vous le dis.

Trève d'ironie. Peu importe le système et sa structure, il y aura des élèves qui travailleront avec application et détermination. Il faut le souligner. Ils ne font pas légion, il faut aussi le souligner.

"Madaaaame, j'vas passer pareil, c'pas grave!" Cette phrase, les profs et les parents n'ont pas fini de l'entendre. Surtout s'ils n'inculquent pas à leur enfant la notion d'effort et de fierté qui en découle.

Il est dommage de constater que les critères d'obtention des diplômes sont en chute libre. Démocratiser le savoir, implique de diffuser le savoir, pas de le minimaliser, le restreindre, pour distribuer des diplômes!

A.B. a dit…

Ton billet aurait pu s'intituler Ode à la procrastination et à la pensée magique. Je crois que ces deux concepts résument assez bien la mesure dont tu parles dans ton texte.

Le professeur masqué a dit…

Anioshka: il faut offrir des mesures d'aide pour aider les élèves justement. Le danger, c'est qu'ils en viennent à croire qu'il y aura toujours moyen de moyenner. Certains jours, dans certains cas, ils connaîtront le mur, l'échec (peu importe le domaine) et ils seront démunis. C'est un peu (je sais, l'exemple est boiteux) comme la mort, comme le deuil, disons.

Une femme libre: les nouvelles règles de passage en français de cinquième secondaire sont assez simples. L'élève doit avoir 50% minimalement dans chaque volet (écriture, lecture et oral) et un sommaire (un cumulatif, quoi!) supérieur à 60%.

Là ou je suis un peu ulcéré comme prof de cinquième, c'est que cette règle ne prévaut qu'en cinquième justement! Pour les autres niveaux, l'élève peut passer avec 40% en écriture, 90% en lecture et 90% en oral. Un peu débile qu'on durcisse le ton uniquement en cinquième...

Continuez à veiller sur votre fille. Le français au cégep, ce n'est pas toujours facile quand on a des difficulté en écriture. Et puis, le niveau des enseignants varie baucoup. Certains profs sont très «bonbons», d'autres plutôt rigoureux.

Zed: en soi, je ne suis pas contre des idées pour raccrocher des jeunes. Ce sont les effets pervers qui m'énervent.

Bobbi: je reviens lça-dessus dans un autre billet.

Poussière: Certaines statistiques montrent que les jeunes consacrent moins de temps au travail scolaire aujourd'hui qu'il y a dix ans. Est-ce parce que les exigences ont baissé et qu'il n'est plus nécessaire de travailler?

Chose certaine, les jeunes ont d'autres choses à faire que de se préoccuper de l'école. Ils sont de jeunes consommateurs qui ne sont pas encore obligés de travailler 40 heures par semaine dans certains cas. Ils s'amusent. Plusieurs d'entre nous en ferions autant avec les parents qu'ils ont.

Au Québec, il y a parfois cette tendance à croire que démocratiser l'accès à l'éducation revient à abolir l'échec. Remarque que pour les études universitaires, ce ne sont plus les notes, mais le $ qui commence à être un facteur discriminant. Comme si on voulait décourager les études supérieures pour former les travailleurs qui nous manquerions bientôt...

Safwan: des mesures semblables m'ont été utiles lors de mon entrée à l'université. Je ne peux les rejeter. Sauf que je m'inquiète de l'utilisation qu'on pourrait en faire avec la baisse de la clientèle des cégeps et des fausses illusions qu'elles peuvent créer chez certains jeunes. Quand tu rentres au cégep sur les fesses, ce n'est pas vrai que tu réussis tous tes cours comme si c'était un nouveau départ.

Hortensia a dit…

Excellent billet. Je commente avec un peu de retard, mais je partage entièrement l'analyse que tu fais. Les enseignants de cégep, dont je suis, sont très majoritairement contre l'acceptation d'élèves du secondaire qui n'ont pas leur DES et contre l'attribution de diplômes à rabais (sans mention) au collégial. Tout ça est en réalité une ixième attaque, même pas subtile, contre la formation générale au collégial qui, on le sait, est dans la mire depuis longtemps, puisqu'on diplômerait des étudiants en dépit du fait qu'ils n'aient pas réussi leurs cours de formation générale. Le plus navrant, c'est le double discours (sur la qualité de la langue, par exemple). On compte sur l'école et sur les enseignants pour être les gardiens de la qualité de l'enseignement dispensé, mais on veut permettre à des étudiants qui n'ont pas réussi tous leurs cours de continuer. Ça dévalue complètement l'effort. Élargir l'accessibilité aux études collégiales, c'est bien beau, mais tout le monde n'est pas fait pour le cégep. C'est une réalité.

Le professeur masqué a dit…

Hortensia: c'est tout le débat aussi entre former des citoyens et des travailleurs...

A.B. a dit…

@ Professeur masqué:
Ces mesures de mise à niveau m'ont aussi permis d'entrer aux études universitaires de deuxième cycle. Je partage en fait les mêmes inquiétudes que toi.

Le professeur masqué a dit…

Safwan: Coudonc! Heureusement qu'elles existent pour les profs!

A.B. a dit…

Quand j'écris «mise à niveau», je parle de propédeutique. J'imagine que ça en fait partie: 6 cours en littérature au premier cycle pour entrer à la maîtrise en études littéraires étant donné que mon bac., à l'origine, n'était pas dans cette discipline mais en enseignenent du français au secondaire.