27 mars 2008

La Lune appelle la Terre

Prenez note: ce texte est un exutoire. Ma vision des parents dans celui-ci est exagérée mais en partie conforme à ma réalité. Pour le reste, je suis fidèle à moi-même.

Le Conseil supérieur de l'éducation a diffusé une nouvelle épître aujourd'hui (ici). Il suffit de le lire et de lire le communiqué de presse annonçant l'avis du CSE pour comprendre que ce dernier semble ne pas avoir digéré les récentes interventions ministérielles en ce qui a trait au bulletin et au Renouveau pédagogique.

Selon lui, les parents doivent être mieux informés du travail de leur enfant en classe. Pour ce faire, il faut diversifier les moyens de mieux les informer, le bulletin actuel étant de facture traditionnelle et transmettant aux parents «une information forcement limitée».

Comment y parvenir? C'est là que les membres du Conseil semblent vivre sur la Lune: «le Conseil recommande au personnel enseignant d’informer régulièrement les parents du travail réalisé en classe et du cheminement de l’élève, et ce, tout au long de l’année scolaire (devoirs, travaux, cahiers d’activités, projets, note à l’agenda, contact téléphonique, etc.). »

Tout d'abord, pardonnez-moi le côté iconoclaste de la question, mais pourquoi informerais-je mieux, un jour, les parents de mes élèves de cinquième secondaire quand à peine 15% viennent aux rencontres prévues à cette fin? Pourquoi informerais-je mieux, un jour, les parents de mes élèves quand ils ne manifestent même pas l'envie de les suivre académiquement, quand ils motivent n'importe quelle absence à la con? Que ceux qui en veulent plus me le disent ou m'appellent, mais qu'on me foute la paix avec l'idée de me demander de me farcir le travail d'informer des parents qui se foutent mur à mur de leur progéniture!

Le tout-cuit-dans-le-bec de parents déresponsabilisés, ça suffit! Si un parent veut en savoir davantage, qu'il m'appelle! Je lui dirais tout ce qu'il veut savoir de ma voix de chambre à coucher (dixit une collègue). Mais qu'on arrête de poser sur mes épaules toutes les solutions aux pseudo problèmes de l'éducation! Et tant qu'à y être, qu'attend le CSE pour se questionner à fond sur les parents et leurs responsabilités!

Ensuite, le CSE semble ne pas tenir compte de deux réalités. La première est que ce travail d'information existe déjà au primaire et est remarquablement bien fait, mais parfois à quel prix! La deuxième est qu'au secondaire, le plus chanceux des profs a 96 élèves sous sa responsabilités et le plus éprouvé jusqu'à 360 (un cours avec deux périodes de 75 minutes par cycle de neuf jours) !

Vous imaginez-vous la tâche colossale que les voeux pieux du CSE lui imposeraient? Il faut vraiment vivre sur une autre planète pour imaginer qu'une telle idée soit applicable! Déjà, le soir des rencontres de parents, chez nous, certains profs du premier cycle du secondaire ont quitté l'école vers les 23h30 tellement cette tâche était longue et fastidieuse.


Ensuite, le CSE exclut toute mesure exhaustive et formelle des connaissances parce qu'une telle évaluation irait à l'encontre de l'esprit du programme de formation actuel et pourrait même créer de la confusion chez les parents, par exemple. À tort, à mon avis, on le verra, le CSE fait sienne la maxime erronée du RAEQ qui veut que l'évaluation des compétences comprend aussi celle des connaissances.

On notera enfin qu'à la lecture intégrale de l'avis du CSE, ce dernier ne peut s'empêcher d'en rajouter une couche sur le Renouveau pédagogique: «le Conseil est d'avis qu'une stratégie de communication plus large devrait être élaborée à la fois par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, les commissions scolaires et les écoles, de manière à fournir davantage d'information aux parents sur le Programme de formation de l'école québécoise et sur les pratiques d'enseignement et d'évaluation mises au point en vertu de ce programme.»

Bref, faisons de la pub pour mieux vendre la réforme! Mais faut-il s'en surprendre?

Tout au long de cet avis, les membres du CSE ne remettent jamais en cause les fondements de la réforme. Au contraire, ils reprennent un certain nombre d'inexactitudes propres à tous les défenseurs de celle-ci dont le discours n'a pas changé malgré l'éclat de leur fausse évidence.

Par exemple:


«Un bref rappel des grandes étapes ayant mené à l’élaboration du Programme de formation de l’école québécoise apparaît nécessaire de prime abord, et ce, principalement pour rappeler que ce programme est le fruit d’un large débat de société.»

Faux. Les principes d'enseignement socioconstructiviste et d'approche par compétence n'ont jamais fait l'objet d'un véritable débat public avant d'être mis en oeuvre dans nos écoles. Cessons de prendre des vessies pour des lanternes.

Le Renouveau serait un «nouveau programme exigeant».

Faux. Il suffit de constater en français qu'entre les attentes théoriques élevées des programmes et la réalité parfois ridicule des évaluations, il y a un monde. Je parlerai un jour des commentaires que m'ont fait quelques profs d'histoire en ce qui a trait au programme de la quatrième secondaire...

«Dans la littérature sur le développement des compétences, on affirme clairement que l’exercice et le développement d’une compétence ne peuvent se faire sans le recours à des connaissances, qu’il s’agisse de nouveaux savoirs à acquérir ou de connaissances que l’élève possède déjà.»

En théorie vrai mais, dans la pratique, cette affirmation est totalement dénaturée par des évaluations complaisantes. Pensons au volet écriture en français.

«En effet, l’enseignement est une profession dont l’exercice nécessite, pour être efficace, une autonomie professionnelle importante (CSE, 2004).»

Une seule pensée me vient à l'esprit quand je lis cette phrase: La ferme des animaux de George Orwell. Sois autonome, mais seulement à ma manière.

En terminant, vous me permettrez de relever un fait que je trouve personnellement extraordinaire. Le Conseil a élaboré son avis en consultant, entre autres, 35 enseignants du primaire et du premier cycle du secondaire tout en veillant à conserver leur anonymat! Peut-être s'agit-il d'une pratique normale, mais je trouve incroyable qu'il soit impossible d'identifier, de reconnaître ou d'interroger des gens qui ont participé à cette prise de position.
En ajout, ce texte de Nathalie Collard.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

(tiens, moi j'utilisais plutôt le terme grand ténébreux pour parler de ta voix - mais j'aime bien l'expression de voix de chambre à coucher hihi).

Sur le fond (faut bien un commentaire sérieux tiens), je suis d'accord ! C'est totalement irréaliste de tenir les parents au courant hebdomadairement, avec les élèves que nous avons au secondaire, et les tâches administratives qu'on se tape déjà autour ! Et leur désintérêt évident, relativement généralisé à partir de 3e secondaire (suis gentille).

En passant, j'ai une rencontre de 4 heures sur les résultats de Pisa et de Pirs aujourd'hui... si la chose t'intéresse, courrielle ! Je ne bloguerai pas ça (orientation blogue oblige), mais ça risque d'être fort fort intéressant.

bobbiwatson a dit…

Plus les parents seront informés par écrit (par des billets qui ne se rendent pas) ou par téléphone et plus on est certain qu'ils se rendront encore moins aux rencontres prévues pour les bulletins et/ou autres raisons scolaires.

A.B. a dit…

Ouf! Je partage ton point de vue. J'ai une élève de cinquième secondaire qui a moins de 40% à tous ses bulletins depuis septembre et je n'ai jamais vu ses parents, jamais reçu d'appel de leur part. Plusieurs autres jeunes sont dans cette situation comme tu le mentionnes.
À mon grand dam, j'accroche sur «ta voix de chambre à coucher». C'est tellement vrai! ;oP

Le professeur masqué a dit…

Circé: on se donnera des nouvelles sur les tests PISA. Penchent-ils tous du même côté? : )

Bobbi: les parents lisent rarement ce qu'on leur envoie.

Safwan: Pour la voix, ça fait donc deux collègues!