Par contre je remarque que, souvent, l'être humain a l'indignation à géométrie variable. Au Québec, la justice actuellement est dans un état de délabrement semblable à un viaduc. Le système judiciaire n'est plus accessible à la classe moyenne, les procureurs de la Couronne sont sous-payés et en nombre insuffisant, certains procès sont retardés quand on ne libère tout simplement pas les accusés... On pourrait citer des cas qui dépassent l'entendement: les Hell's, les Mohawks, Norbourg, l'industrie de la construction...
Mais ce qui occupe le citoyen aujourd'hui est l'affaire Turcotte. À cause de sa conclusion apparemment incompréhensible, il flotte dans l'air une odeur de colère, de vengeance. «Un meurtre, c'est un meurtre. Quelle que soit la raison, il doit payer pour ça», ai-je lu ici.
Je ne sais pas si les gens sont conscients des conséquences de certaines de leurs revendications, mais elle risque d'ouvrir une boite de Pandore et de produire des effets opposés à ce qu'ils réclament.
Les jurés et la notion de citoyen
En estimant que des jurés ne sont pas capables de se prononcer dans des causes complexes, c'est la notion même de citoyen qu'on remet en question. Car derrière l'institution que contitue un jury, il y a cette idée de la justice rendue par les pairs.
Si, comme citoyen, je remets entre les mains de spécialistes le pouvoir de rendre la justice, qui dit qu'elle sera plus juste ou, à tout le moins à mon goût? On le voit à l'occasion dans le cas de verdicts rendus par un juge seul. Remet-on en question cette façon de faire pour autant? De plus, qui dit que des psychiatres mandatés par la Cour seront plus «éclairés» quand viendra le temps d'évaluer un accusé? Comment choisira-t-on ces derniers et qui le fera? On le voit: cette solution n'en est pas véritablement une. Souvent, on reproche à la psychologie et à la psychiatrie d'être des disciplines manquant de rigueur scientifique. Le système actuel permet de faire valoir des idées opposées et de laisser certains citoyens juger.
Trop souvent, on estime que les citoyens n'ont pas de véritable pouvoir, qu'ils n'ont pas de prise sur le monde qui les entoure et là, parce qu'un seul verdict déplait, on voudrait se départir d'un privilège dont on sous-estime la valeur dans le contexte d'un système démocratique.
Si on considère que, comme citoyen, on ne peut pas rendre la justice, quelle sera la prochaine étape: retirer le droit de vote à certains parce qu'ils ne comprennent pas les grands enjeux politiques?
La responsabilité criminelle
Certaines personnes indignées par le verdict dans le procès Turcotte semblent mal comprendre la notion de responsabilité criminelle. La loi ne demande pas que l'individu soit troublé psychologiquement en permanence mais, qu'au moment de poser les gestes qui lui sont reprochés, il ne pouvait distinguer le bien du mal.
De plus, on semble croire qu'un individu atteint de trouble d'adaptation avec humeur dépressive est conscient de son état et peut rationnellement aller chercher de l'aide. Il faut mal connaitre les divers désordres mentaux pour affirmer une telle idée. J'ai frôlé la mort plus d'une fois alors que j'ai connu un épisode dépressif. Je ne m'appartenais plus: la maladie me possédait. Cautionner la pensée des gens dénonçant le verdict Turcotte revient ni plus ni moins à dire que tous les anorexiques, les boulimiques, les dépressifs, les gens abusés sexuellement ou physiquement sont responsables de leur sort parce qu'ils ne vont pas consulter d'eux-mêmes.
Certains - et ils ont une formation médicale - poussent plus loin et estiment qu'un médecin devrait être encore plus conscient de son état et des ressources qui lui sont offertes. J'oeuvre en enseignement. Je côtoie des individus intelligents qu'on doit quasiment forcer à aller chercher de l'aide. Il faut ne pas comprendre du tout ce que sont certains désordres psychologiques pour affirmer une telle chose. Pis encore, en avançant cela, on cautionne l'idée qu'il existe deux catégories de citoyens: les nuls à qui on doit pardonner et les autres - plus instruits - qui sont condamnés à la perfection. Où est la justice alors?
De plus, on semble croire qu'un individu atteint de trouble d'adaptation avec humeur dépressive est conscient de son état et peut rationnellement aller chercher de l'aide. Il faut mal connaitre les divers désordres mentaux pour affirmer une telle idée. J'ai frôlé la mort plus d'une fois alors que j'ai connu un épisode dépressif. Je ne m'appartenais plus: la maladie me possédait. Cautionner la pensée des gens dénonçant le verdict Turcotte revient ni plus ni moins à dire que tous les anorexiques, les boulimiques, les dépressifs, les gens abusés sexuellement ou physiquement sont responsables de leur sort parce qu'ils ne vont pas consulter d'eux-mêmes.
Certains - et ils ont une formation médicale - poussent plus loin et estiment qu'un médecin devrait être encore plus conscient de son état et des ressources qui lui sont offertes. J'oeuvre en enseignement. Je côtoie des individus intelligents qu'on doit quasiment forcer à aller chercher de l'aide. Il faut ne pas comprendre du tout ce que sont certains désordres psychologiques pour affirmer une telle chose. Pis encore, en avançant cela, on cautionne l'idée qu'il existe deux catégories de citoyens: les nuls à qui on doit pardonner et les autres - plus instruits - qui sont condamnés à la perfection. Où est la justice alors?
Les risques de récupération et de faux espoirs
Certaines idées avancées aujourd'hui par les manifestants méritent qu'on s'y attarde. Mieux définir la notion de responsabilité criminelle? L'exercice a été fait il y a quelques années, je crois. Permettre à un avocat représentant les victimes de participer au procès? Pourquoi pas? Donner plus de ressources aux gens victimes d'actes criminels? Assurément!
Sauf que je crains surtout que ce genre de manifestation ne servent de caution à la droite canadienne et québécoise en ce qui a trait à la justice. Le modèle qu'elle propose, et c'est généralement admis, ne fonctionne pas. Il ne réduit pas la criminalité: au contraire, il l'augmente! Pire, dans certains cas, il met de l'avant une justice douteuse comme celle aux États-Unis où l'on condamne à mort des gens intellectuellement démunis.
De plus, ces manifestations créent de faux espoirs. On ne peut pas réouvrir le procès Turcotte sauf si l'appel du procureur général du Québec actuellement en cours est accepté. Et où trouvera-t-on un jury impartial et juste après tout le battage médiatique et les manifestations qui ont suivi cette affaire? Bien sûr, on peut modifier une loi rétroactivement et demander que Guy Turcotte soit de nouveau jugé mais quel législateur va vouloir le faire dans le présent cas et créer un précédent aussi dangereux?
Je n'ai pas voulu écrire sur le procès de Guy Turcotte. Il y avait trop d'émotion, trop d'opinions dans l'air. Mais si l'on propose de réformer le système de justice canadien, ce serait une erreur de le faire à partir d'un seul cas sans y réfléchir davantage et ceux qui dénoncent le verdict actuel devraient s'assurer de ne pas créer des injustices à leur tour.
Certaines idées avancées aujourd'hui par les manifestants méritent qu'on s'y attarde. Mieux définir la notion de responsabilité criminelle? L'exercice a été fait il y a quelques années, je crois. Permettre à un avocat représentant les victimes de participer au procès? Pourquoi pas? Donner plus de ressources aux gens victimes d'actes criminels? Assurément!
Sauf que je crains surtout que ce genre de manifestation ne servent de caution à la droite canadienne et québécoise en ce qui a trait à la justice. Le modèle qu'elle propose, et c'est généralement admis, ne fonctionne pas. Il ne réduit pas la criminalité: au contraire, il l'augmente! Pire, dans certains cas, il met de l'avant une justice douteuse comme celle aux États-Unis où l'on condamne à mort des gens intellectuellement démunis.
De plus, ces manifestations créent de faux espoirs. On ne peut pas réouvrir le procès Turcotte sauf si l'appel du procureur général du Québec actuellement en cours est accepté. Et où trouvera-t-on un jury impartial et juste après tout le battage médiatique et les manifestations qui ont suivi cette affaire? Bien sûr, on peut modifier une loi rétroactivement et demander que Guy Turcotte soit de nouveau jugé mais quel législateur va vouloir le faire dans le présent cas et créer un précédent aussi dangereux?
Je n'ai pas voulu écrire sur le procès de Guy Turcotte. Il y avait trop d'émotion, trop d'opinions dans l'air. Mais si l'on propose de réformer le système de justice canadien, ce serait une erreur de le faire à partir d'un seul cas sans y réfléchir davantage et ceux qui dénoncent le verdict actuel devraient s'assurer de ne pas créer des injustices à leur tour.
9 commentaires:
J'avait peur que les jurés soit à risques d'être influencé par l'opinion publique. Qu'ils ne prennent pas à coeur leur rôles de juré et ne soit pas à même , à cause du battage médiatique, de trancher de facon objective.
Le verdict rendu dans l'affaire de Guy Turcotte m'à redonner confiance en notre système. Pourquoi?
Parce que malgré plus d'un an de couverture médiatiques et d'entrevues avec la mère des victimes, malgré la haine que la population entretient envers l'accusé, les jurés ont été capables de prendre une décision à l'unanimité , et ce même si la décision allait à l'encontre de ce que la population demandait.
Je serait extrêmement déçue si l'affaire allait en appel, car cela reviendrait à dire que la décision du jury , les experts ainsi que tout le procès ce fut qu'une vaste mascarade et qu'on recommence du début pour satisfaire le public.
En plus, comme le souligne PM , comment trouver de nouveaux jurés objectif?
Tu ne voulais écrire... et bien une chance que tu l'as fait... très bien... Très bon texte...
Moi, j'ai écris six jours après le drame...
http://moilavie.blogspot.com/2009/02/bonnes-chances-guy-turcotte.html
Je ne regrette pas...
Bravo cher PM pour ce texte fort intelligent et merveilleusement bien nuancé (contrairement à la majorité des réactions entendues dans les médias depuis les dernières semaines).
À la fin de votre texte, vous posez la question suivante: « Et où trouvera-t-on un jury impartial et juste après tout le battage médiatique et les manifestations qui ont suivi cette affaire? » Permettez-moi de préciser que lors d'une audition en cours d'appel, aucun témoignage n’est présenté et aucun jury n'est convoqué: on ne refait pas le procès! La partie qui a porté la cause en appel tentera de convaincre les trois juges qui présideront le tribunal d'appel qu'une erreur a été commise sur des questions de fait ou de droit lors du procès de première instance. La procédure est très différente de celle à laquelle nous avons assisté au cours des derniers mois.
Feadea: si on recommence ce procès, ce serait parce que le juge, dans son adresse aux jurés, leur auraient donné des instructions incorrectes. J'ai de la difficulté à croire que cela puisse être le cas dans une affaire si importante. On dénigre beaucoup les jurés, mais ils ont fait preuve de beaucoup de professionnalisme en demandant l'exclusion de l'un d'entre eux qui avait son opinion toute faite dès la première journée.
M. Paillé: Merci! Je vais lire.
Anonyme: Je parlais de trouver des jurés si on doit recommencer ce procès à la suite de l'appel du Procureur général.
M.Paillé: j'ai lu. Combien de gens parlent de maladies mentales et de détresse psychologique et n'y connaissent rien! J'en sais un peu plus qu'eux à cause de ma vie, de ce que j'ai connu. Je n'ai pas de mérite.
Pour ceux qui seraient tenté de ramener la peine de mort, un extrait d'un article ce matin publié dans le JdeM:
Le retour de la peine de mort ne dissuaderait pas les assassins de commettre leur acte, estime un criminologue.
«C'est comme une forme de suicide personnel d'aller commettre un meurtre dans la tête des criminels», explique Marc Ouimet, professeur de criminologie à l'Université de Montréal.
D'après les études, la peine de mort ne dissuaderait pas les criminels au moment de commettre l'acte.
À preuve, dans les États américains où la peine de mort est encore en vigueur, le taux d'homicide serait en hausse, selon M. Ouimet.
Concernant les chances de réhabilitation chez les meurtriers, souvent remise en cause, il semble qu'après avoir purgé une longue peine, le taux de récidive est très minime.
«Après 25 ans d'incarcération, c'est rare qu'une personne retourne faire un meurtre», explique le criminologue, indiquant que l'âge de la personne est souvent un facteur à considérer.
Coût financier
La peine de mort a été abolie au Canada le 14 juillet 1976.
Or, il semble qu'il en coûte plus cher pour les États d'avoir la peine de mort dans leur système de justice.
Pourquoi ? Parce que les recours devant les tribunaux peuvent s'avérer très longs avant d'arriver avec un tel verdict.
*******
Réclamer le retour de la peine de mort au Canada st davantage une réaction émotive qu'un choix logique. À cet égard, on répond à la mort par la mort, au meurtre par un meurtre.
Merci pour ce texte ! Il y a longtemps que j'en attendais un comme ceci.
Je ne commenterai qu'un élément: "Et où trouvera-t-on un jury impartial et juste après tout le battage médiatique et les manifestations qui ont suivi cette affaire?"
Plusieurs n'ont pas été intéressés du tout à lire ou écouter tout ce qui touchait à cette histoire. Mon conjoint, par exemple, qui travaille beaucoup ces temps-ci, n'a aucune idée qu'il y a eu des manifestations, un page FB, etc. Il s'est montré désintéressé par cette histoire dès le début.Un autre jury impartial ne poserait pas de problème.Là n'est pas la question.
PS: je ne veux acunement ramener la peine de mort, et je n'éprouve pas de haine envers le Dr. Turcotte. Je désaprouve le système coercitif "de droite" et comprend qu'il n'aide aucunement à diminuer la violence.
Votre billet me trotte dsans la tête tant il est chargé : réflexion pertinente sur le système judiciaire au Québec et le contenu personnel. Je suis pour le moins secouée par votre expérience personnelle et soulagée de vous savoir aujourd'hui extirpé de l'abîme de la dépression.
Votre perception des événements a-t-elle pris en compte les sentiments de vengeance (joints au trouble psycho) que Dr. Turcotte a entretenus envers sa conjointe?
"Often it's a mixture of serious depression, an inability to cope with anxiety and feelings of abandonment, and revenge - "a fiery mix," he said.
"Revenge we find in a number of cases, especially where the man is the killer. Revenge is part of the mixture and sometimes it's the only ingredient."
In those with personality or anti-social disorders, in addition to the distress of abandonment, feelings of maltreatment and loss of control, revenge is often the main motive, he said.
Read more: http://www.montrealgazette.com/news/Depression+revenge+fiery+psychologist/5055815/story.html#ixzz1UghhaQ7M
Enregistrer un commentaire