Retour sur cette annonce de la CAQ sur l'idée de payer davantage les enseignants oeuvrant dans des milieux défavorisés et de les évaluer en partie en se basant sur les résultats de leurs élèves
Tous les enseignants seront égaux mais certains seront plus Legault que d'autres...
Pour François Legault, les enseignants sont le principal facteur de la réussite scolaire des jeunes: «La meilleure façon d'avoir plus d'enfants qui réussissent, c'est de s'assurer de la qualité de l'enseignement, et il faut pour y arriver évaluer les enseignants, mais [aussi] que les enseignants soient convaincus que cette évaluation est faite de façon impartiale.» On oublie les 35 élèves par classe, les groupes dysfonctionnels, l'absence de services adéquats, le manque de leadership d'une direction, une équipe-école faible, les parents incompétents et les cas relevant de la psychiatrie. Les profs, évalués individuellement. La seule cause. La seule variable.
D'ailleurs, les profs sont si importants en fait qu'il faut tous les augmenter et leur donner en plus une prime s'ils enseignent dans des milieux difficiles. Ce n'est pas la même chose avec les directions d'école qui ne méritent même pas une «prime à la défavorisation»: elles ne font pas de différence, au fond. Et pourtant... Seulement, pour les payer plus cher, il faudrait les évaluer, elles aussi. Or, personne n'a entendu parler d'évaluation pour les directions.
On me traitera d'élitiste, mais j'ai un problème avec l'idée suivante: ««Il n'est pas question d'avoir une "paie au mérite". Tous les enseignants auront la même augmentation de salaire. S'il y a une modulation, elle sera plus entre les [enseignants oeuvrant dans des] milieux favorisés et [ceux] dans des milieux défavorisés. Pour s'assurer qu'on a les meilleurs enseignants là où on a les plus grands besoins.» Pour M. Legault, on comprend que ces besoins sont uniquement reliés au décrochage scolaire. Ce qui revient à dire qu'il n'a aucun problème à ce que des enseignants moyens ou très ordinaires travaillent auprès d'élèves forts ou performants. J'imagine que ces derniers apprendront seuls et n'auront pas besoin d'enseignants stimulants ou particulièrement éveillés.
Pourtant, pour avoir oeuvré auprès d'élèves doués, je peux vous certifier que les besoins de ces jeunes, s'ils sont différents de leurs collègues qui réussissent avec plus de difficultés, sont souvent tout aussi criants. Les maux qu'ils subissent sont aussi variés que l'anorexie, l'auto-mutilation, l'anxiété maladive, la dépression, le suicide, la détresse liée à une contreperformance, etc. Dans certains cas, j'ai même connu des élèves doués qui décrochaient parce que même un programme enrichi et accéléré ne suffisait pas à étancher leur soif de connaissances. Il ne s'agit pas d'établir qui a les plus besoins les plus importants ou de faire pleurer qui que ce soit mais de relever un aspect pernicieux de cette «prime à la défavorisation».
De plus, l'engagement (lire implication) des enseignants oeuvrant dans des milieux favorisés se vit différemment de celui de leurs autres collègues souvent obligés de composer avec une gestion de classe plus difficile. Je le sais: je vis dans une école multi-programmes. Chaque clientèle a ses avantages et ses inconvénients. Ils partiront en voyage avec les jeunes, organiseront des sorties, des projets d'activités d'enrichissement. Bref, M. Legault semble croire que les défis sont moins grands dans certains milieux et que les enseignants travaillant dans des milieux favorisés ont moins de mérite.
Pourtant, pour faire connaitre des succès à l'école québécoise, on a besoin de bons enseignants dans tous les milieux. La proposition de la CAQ pourrait entrainer ce qu'elle-même dénonce, soit une forme de nivellement de l'éducation au «détriment» de ceux qui réussissent généralement bien. Si on ne peut qu'être d'accord avec l'idée d'aider ceux qui vivent des difficultés, pourquoi certains élèves doués ou travaillants seraient-ils laissés en plan? Un enseignant oeuvrant dans un milieu favorisé n'aura aucune incitation monétaire à amener ces élèves plus loin parce qu'on ne reconnaitra pas son travail davantage. Bien sûr, on compte sur son professionnalisme, mais cela ne devrait-il pas être le cas de tous les enseignants? Et quel message transmet-on ainsi aux parents dont les enfants sont inscrits à des programmes régionaux visant à concurrencer l'école privée? Vous ne trouverez pas les meilleurs profs chez nous? Ils sont ailleurs parce que la paie est plus élevée?
La proposition de la CAQ est une mauvaise solution à une situation mal comprise. Et comme toute mauvaise solution, elle entraine son lot de complications qui me fait dire qu'on «améliore le problème» au lieu de le résoudre.
Une évaluation en partie basée sur la performance des élèves
Si on veut évaluer les enseignants de façon juste et impartiale en se basant en partie sur les résultats de leurs élèves, il faudra également que ceux-ci soient évalués et corrigés de façon à permettre de récompenser les enseignants méritants. Ce qui revient à dire qu'on parle de rien de moins que d'examens annuels uniformes dans toutes les matières et corrigés à l'externe.
Or, pourquoi M. Legault va-t-il de l'avant avec un modèle semblable alors que de nombreuses commissions scolaires anglophones évaluent déjà leurs enseignants depuis 15 ans (ici)? On notera que ces dernières n'ont pas retenu le critère de la performance des élèves dans leur façon de procéder. Et on m'expliquera comment il se fait que nos belles CS francophones ne soient pas capables d'en faire autant?
11 commentaires:
Bonjour PM,
Une précision: l'article 41 du règlement sur les conditions d'emploi des directions d'écoles prévoit que le directeur d'une école située en milieu défavorisé (9e ou 10ee rang décile de défavorisation) peut recevoir un montant forfaitaire de 2 500$ chaque année.Alors voyez-vous, le principe de prime à la défavorisation existe déjà pour les directions, mais pas encore pour les profs.L,idée n'est donc pas totalement neuve !!!
Voci l'article en question:
Montant forfaitaire au directeur d’école
41. Un directeur d’école reçoit un montant forfaitaire de 2 500 $, sur une base annuelle, versé à chaque période de paie, lorsque :
a) le total de l’effectif jeune (élève) des écoles sous sa direction est inférieur à 250 et qu’il doit assister plus d’un conseil d’établissement;
b) la ou les écoles primaires sous sa direction sont situées en milieu défavorisé, avec un indice de défavorisation établi au rang neuf ou dix pour laquelle ou pour lesquelles, le ministère accorde des ressources additionnelles en raison de leur écart de groupes.
Le directeur d’école ne reçoit qu’un seul montant forfaitaire si l’école ou les écoles qu’il dirige répondent aux deux situations de l’alinéa précédent. Le versement du montant forfaitaire cesse lorsque le directeur d’école n’assume plus dans les faits cette responsabilité.
PM, vous avez déjà travaillé dans un milieu défavorisé quelques mois ou quelques années pour ainsi faire une comparaison entre les différentes charges de travail?
Anonyme: Dans mon texte, je n'ai pas parlé de comparaison, je crois. J'ai estimé que chaque milieu avait ses défis et ses différences et qu'on ne evait pas déshabiller Pierre pour habiller Jacques mis reconnaitre les défis de chacun. Dans mon école multiprogramme, certaines classes ont tout d'un milieu défavorisé.
En fait, c'est que je connais quelques enseignants qui étaient en milieu défavorisé et qui disaient, une fois en milieu très favorisé: "Je ne peux pas croire qu'on est payé le même salaire et qu'il est considéré qu'on fait le même travail"
Dans mon vécu, j'ai travaillé en milieu alternatif, un milieu qui demande beaucoup d'implication et de temps et je suis maintenant dans une école en milieu défavorisé, un milieu difficile au niveau émotif et où la gestion de classe n'est pas du gâteau. Et on ne parle pas du ratio élevé d'élèves en difficulté...
Sans être en faveur d'une élection de Legault, je dirais qu'il faut trouver un moyen d'avoir moins de jeunes enseignants inexpérimentés dans des classes exigeant beaucoup d'expérience en enseignement comme c'est le cas de bien des classes en milieu défavorisé.
Des idées pour inciter les enseignants d'expérience à aller davantage dans des classe ayant un niveau de défi élevé?
Anonyme: J'ai enseigné à des groupes doubleurs, à des groupes ordinaires, à des doués. J'en ai fourni des petits déjeuners... Tant qu'à comparer, j'ai enseigné en cinquième et en première dans la même école et ce ne sont pas les mêmes défis... Si on ouvre cette boite de Pandore, pourquoi un prof d'éducation physique a la même paie qu'un prof de français ou de maths quand on sait tous que la charge de correction est différente? Pourquoi la même paie pour un prof de première en français qui a trois groupes et un prof de cinquième qui en a quatre? Au secondaire, les inéquités sont tellement criantes si on veut s'y attarder... Déjà qu'on a décidé que la scolarité allait à l'encontre de l'équité salariale...
On ne connait pas les règles d'embauche sous un gouvernement Legault. Il compte réouvrir les conventions collectives. Il aura le choix des moyens. Mais croire qu'une éventuelle prime de 10% attirera les meilleurs candidats est une utopie. 10% de 74 000$ (pas loin du salaire maximum) moins l'impot... Pas sûr que certains collègues bougeront pour si peu.
De même, on généralise en affirmant que les enseignants d'expérience sont mieux placés que les jeunes pour travailler en milieu défavorisé. J'ai des collègues avec beaucoup d'ancienneté qui vivent des moments très difficiles avec des groupes doués. Alors, imaginez...
La clé, ce ne sont pas les profs pris individuellement: c'est une multitude de facteurs. L'équipe-école. Les ressources entourant les enseignants. L'engagement des parents.
«Tous les enseignants seront égaux mais certains seront plus Legault que d'autres...» Héhé. Pas faux.
Il est clair que des enseignants motivés font des élèves motivés, peu importe s'ils ont de la difficulté à l'école ou s'ils vivent dans un environnement défavorisé.
La CAQ agit un peu comme s'il fallait lancer une bouée de sauvetage aux nouveaux décrocheurs alors qu'elle devrait tout aussi bien aider ceux qui s'en sortent un peu mieux. Les ressources ne répondant pas à l'appel des maisons d'éducation font partie de la vie scolaire de tous les jeunes.
En imposant des mesures telles que celles proposées par la CAQ, on ne respecte pas l'opinion des enseignants, ceux qui ont vraiment les pieds sur terre et, par le fait même, qui baignent dans le sang que laissent sortir les élèves par leurs oreilles.
Je vous remercie de parler des élèves doués. Il est toujours délicat d'en parler et de mentionner qu'ils ont, eux aussi, des besoins.
Je travaillais dans une école avec des groupes d'élèves réguliers d'un quartier défavorisé et des groupes d'élèves au programme PEI et Arts Études. La plupart des enseignants préféraient avoir les classes d'élèves du régulier plutôt que les «snobs de l'élite» parce que, au régulier, au moins les élèves ont besoin d'eux. Et ce discours, je l'entends dans chaque école où je suis. Les élèves doués peuvent se débrouiller sans prof. On n'a qu'à leur donner un manuel et ils vont passer. Comme si la passation d'un cours accessible à la majorité est le but ultime de l'enseignement! Comme si, sous prétexte qu'on a un cerveau capable de traiter des informations abstraites plus rapidement que la moyenne, on n'est pas un ado ayant besoin d'encadrement, d'encouragement et de stimulation. Il est crucial de ne pas abandonner les plus brillants et de les guider dans leur parcours scolaire de sorte qu'ils restent brillants et motivés et ne sombrent pas dans le cynisme et la désillusion.
J'étais moi-même dans un programme enrichi qui ne répondait pas à mes besoins au secondaire parce que les enseignants qui s'y trouvaient y étaient pour la gestion de classe supposément plus facile (ce qui s'avérait faux à mon école) et qu'avoir de bons résultats d'élèves aux examens n'était pas difficile. Je me suis emmerdée dans mes cours. Heureusement, beaucoup d'autres projets m'ont gardé motivée à apprendre. Ce n'est malheureusement pas le cas de tous. Dans mon entourage immédiat, je connais une bonne dizaine de personnes beaucoup plus intelligentes que moi qui ont abandonné leurs études parce qu'elles ne trouvaient pas un endroit qui les stimulait suffisamment. Et plusieurs sont aujourd'hui peu satisfaits de leur sort et contribuent à la société de façon bien en deçà de leur potentiel. Être brillant ne va pas nécessairement de pair avec être autodidacte ou intrinsèquement motivé. Le décrochage scolaire chez les doués est une réalité tout aussi grave que celui des élèves faibles.
Capitaine: au risque de vous surprendre, j'ai hérité à l'époque d'une classe de douance parce que certains collègues étaient bien dans leur tâche au régulier, ce que je comprends, mais aussi parce que d'autres avaient peur du caractère et des jeunes de ces jeunes. Prof de doués par défaut.
Donnons aux enseignants des ressources (plutôt que des augmentations) et vous verrez que les résultats des élèves seront bien meilleurs. Les enseignants sont dévoués. Je suis enseignante au secondaire et j'adore mon métier. Je travaille avec d'autres enseignants tout aussi motivés et compétents que moi. Nous enseignons dans une école dite "défavorisée" au yeux du gouvernement, et ce, par choix. La population ne devrait pas croire que si nous travaillons dans ces milieux, c'est qu'il n'y avait rien de "mieux". J'aime ma clientèle, même si elle n'a pas nécessairement les résultats académiques attendus par les "Legault" du Québec. La réussite de nos élèves, c'est bien plus qu'une question de résultats. Mes jeunes sont engagés, curieux, sociables. Ils ne seront pas un fardeau pour la société même si en ce moment ils n'ont pas 80% de moyenne.
Merci pour votre blog "professeur masqué" !
Madame Perreault: La CAQ entend donner les moyens et l'augmentation salariale. Ces mesures visent deux objectifs différents avec un but commun (plus de services + de meilleurs profs = + de réussite).
Je comprends votre passion pour travailler dans votre milieu. Quand j'avais des doubleurs, je sentais que je faisais une différence.
Merci pour votre commentaire. Il garde ce blogue vivant.
Le transfert est grossier, mais donnant les cours de mise à niveau et les cours de mathématique avancés (crédités dans plusieurs universités), je peux très bien comprendre la surcharge de travail qu'exigent les élèves et les classes qui ne correspondent pas "à la moyenne". Or, la moyenne est de plus en plus absente à l'école, même dans nos classes dites régulières. Excellent billet et commentaires pertinents.
Ton blogue est précieux, cher Prof masqué.
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