Le Devoir publiait samedi un texte sur lequel j'aimerais revenir. Appelons cela une longue colère contenue. Celle-ci sera peut-être trempée dans le vitriol et je m'en excuse... à peine. Je vous invite à la lire au complet pour constater à quel point on méprise à l'occasion les pauvres d'esprit que nous sommes.
Dans cet article, on retrouve les propos de trois chercheurs universitaires sur l'état actuel de l'éducation au Québec. Je me permets d'analyser plusieurs paragraphes de ce texte pour relever à quel point ce quotidien est parfois journalistiquement complaisant et obnubilé par un certain «universitarisme».
Réseau - La réussite scolaire inscrite parmi les priorités des chercheurs
Favoriser la réussite scolaire, abolir les subventions aux écoles privées, reconnaître les professeurs à leur juste valeur, accompagner le corps enseignant dans le cadre de la réforme et ne plus manipuler les programmes au gré des caprices politiques sont autant de thèmes chers à d'éminents chercheurs qui ont accepté l'invitation du Devoir de faire le point sur notre système d'éducation à l'aube d'une nouvelle année.
Immédiatement, on remarque qu'aucun chercheur opposé au Renouveau pédagogique n'a été rencontré par le journaliste Thierry Haroun. Quand on sait que le monde de l'éducation est divisé sur ce sujet, faut-il y voir un effet du hasard? J'en doute.
De plus, pourquoi s'intéresser seulement à l'avis d'universitaires? Détiennent-ils à eux seuls la vérité? Sont-ils les seuls à savoir? Il est consternant de remarquer qu'on n'a retenu que le point de vue de ces intervenants en éducation. Appelons cela un texte qui a beaucoup d'envergure et peu de sources.
Demandez à Claire Lapointe, professeure titulaire en administration scolaire à l'université Laval et directrice du Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire (CRIRES), si la réussite scolaire est véritablement inscrite au coeur des préoccupations du ministère de l'Éducation, elle vous répondra sans hésiter par l'affirmative, et ce, depuis sa création il y a plus de 40 ans. «Il est question au sein du ministère de l'Éducation de réussite scolaire pour tous appuyée par une vision d'équité. Il est question d'assurer des chances égales aux garçons et aux filles, et déjà à cette époque-là, dans les années 1960, il était question de réussite scolaire pour les communautés ethniques. Ces principes fondateurs sont encore vivants aujourd'hui.»
Ouf! Nous voilà rassurés: le MELS a à coeur la réussite des élèves. Si Claire le dit, ça doit être vrai. Remarquez qu'elle occupe quand même une fonction qui lui permet d'intervenir sur ce dossier. Sauf que...
On ne peut nier qu'au Québec, la réussite scolaire est une préoccupation importante du MELS, mais de quelle réussite parle-t-on? Comment la définit-on et la mesure-t-on? Encore, là, je doute de ce discours quand je le confronte à la réalité de mes classes. «Réussite» pour un élève de cinquième secondaire qui écrira un texte truffé d'erreurs relevant de notions du primaire? «Réussite» pour un jeune qui peinera à décoder un texte?
Il ne s'agit pas ici de cas particuliers, mais d' adolescents dont le parcours scolaire est tout ce qu'il y a de plus standard. Ils ont passé plus dix ans à l'école, ont suivi des centaines et des centaines d'heures de cours de français, ont réussi tous les examens auxquels ils ont été soumis. Qu'ils soient de la réforme ou non, plusieurs élèves présentent un niveau de connaissances et de maîtrise de compétences tout simplement inacceptable.
Il existe plusieurs formes de réussite, plusieurs types d'élève dans nos classes. Cependant, je considère que le mot «réussite» au Québec est souvent une appellation frauduleuse qu'on emploie à tort et à travers pour se gargariser l'égo national et que certains fonctionnaires utilisent pour masquer l'inefficacité de leur travail. A-t-on déjà vu un sous-ministre en éducation, par exemple, faire un mea culpa quant à l'implantation improvisée de certaines mesures pédagogiques? Mais non: on se cache, on nie des évidences, on dénature les faits et tout va bien dans Le meilleur des mondes possibles. «Réussite», vraiment?
Il me semble ici que le journaliste du Devoir a survolé le sujet de façon désolante, surtout si l'on considère toutes les critiques formulées à l'endroit du système scolaire québécois au cours de la dernière année.
Mieux, ajoute Mme Lapointe, qui a travaillé en Afrique notamment, «on nous répète qu'on est une référence au Canada. On nous dit aussi qu'il existe au sein de notre système d'éducation un dynamisme porté par un projet de société. Nous sommes l'envie du monde. Notre système d'éducation public doit être amélioré, certes, mais il faut reconnaître que c'est un des meilleurs systèmes scolaires au monde où l'on retrouve un des plus forts taux de réussite».
Tout d'abord, ici, on semble confondre systèmes scolaires québécois et canadien. Sont-ils si semblables? Si l'Afrique n'est pas un grand pays, il est un peu indélicat de parler d'un système scolaire canadien quand on connaît nos deux solitudes. Ah! nos charmants problèmes identitaires.
Qui plus est, quand on prend connaissance des arguments justifiant l'implantation du Renouveau pédagogique au Québec et qu'on relit cet extrait, il y a quelque chose qui passe mal. On a réformé l'ensemble du système d'éducation. Il n'y a pas une pierre qui n'a pas été retournée. Méthodes pédagogique, programmes disciplinaires, évaluation: tout y est passé. Si notre réseau scolaire est si bon, pourquoi l'avoir tant chambardé? Pas un mot là-dessus.
Des votes dans les livres
Mais hic il y a. Mme Lapointe rappelle que nos gouvernements brouillent les cartes quand ils décident de mettre leur nez dans les programmes scolaires à des seules fins politiques et électoralistes. «Ce qui arrive aujourd'hui, c'est que l'éducation est un sujet dont on se sert à l'échelle politique. Des décisions sont prises selon les intentions de vote. En médecine, par exemple, on n'arrêtera pas un type de traitement parce qu'il ne plaît plus aux gens. On n'interfère pas en médecine.»
Alors que, selon elle, le corps politique interfère allègrement en matière de programmes scolaires. «Les programmes sont basés sur la recherche, mais une fois mis dans le réseau, [le gouvernement en place] décide de faire marche arrière au gré des réactions négatives de certains électeurs. On ne peut pas affirmer [en campagne électorale] que: "Si je suis élu je vais changer telle approche pédagogique" ou encore faire ceci et cela. On ne peut pas se permettre ça.» En agissant ainsi, dit-elle, «on fragilise notre système d'éducation en l'utilisant comme un bonbon politique».
Je ne connais pas Mme Lapointe mais, ici, elle erre quelque peu: oui, le gouvernement interfère en médecine, parfois à la demande même de la population. Allons-y avec un exemple: les maisons de naissance. Au Québec, pendant longtemps, les accouchements se faisaient à l'hôpital. Aujourd'hui, il est possible d'accoucher avec l'accompagnement d'une sage-femme. Il s'agit d'un service que le réseau de la santé refusait d'accorder et que des citoyens ont obtenu à force de réclamations et de lutte politique auprès de différents gouvernements provinciaux.
De façon plus générale, Mme Lapointe semble, en quelque sorte, nier aux politiciens, qui sont les représentants élus du peuple, le droit d'intervenir dans les questions relatives aux programmes scolaires. À tout le moins, elle questionne leurs actions sans réaliser la portée de ses propos.
On peut ne pas apprécier les récentes prises de position de la ministre Courchesne ou de Mario Dumont ou encore déplorer qu'elles soient de nature électoraliste, mais cela ne doit pas nous empêcher de réaliser l'apport, parfois bénéfique, de la politique au monde de l'éducation. En 1960, le rapport Parent aura-t-il vu le jour sans formation politique pour en être le porteur? En 1997, le Renouveau pédagogique aura-t-il été mis de l'avant sans l'appui du Parti québécois? On est loin de la manipulation des «programmes au gré des caprices politiques» à laquelle fait référence le journaliste au début de son texte, je crois.
Plus encore, on peut constater ici cette prétention insoutenable et horripilante à l'effet qu'un programme scolaire, parce qu'il est basé sur la sacro-sainte recherche universitaire, est intouchable. Pourtant, plusieurs programmes disciplinaires sont porteurs de valeurs personnelles ou sociales importantes. Il est sain qu'ils puissent faire l'objet de débats puisque l'école, en tant que substitut des parents, transmet ces visions du monde aux enfants. On peut être choqué, en tant qu'universitaire, que notre action soit limitée par d'autres intervenants, mais on doit absolument tenir compte de ces derniers si on ne veut pas vivre dans une utopie.
Derrière ce reproche à peine voilé aux politiciens actuels, on peut constater l'important manque de recul critique de cette universitaire au sein du réseau de l'éducation. Pour paraphraser Mme Lapointe, si c'était cette dernier qui fragilisait notre système d'éducation en l'utilisant comme un bonbon personnel? Si c'était cette pédagogue qui était incapable de pédagogie pour bien expliquer ses idées? Même Dieu peut se faire des reproches à l'occasion...
Quant à moi, l'intervention des politiciens en éducation, et particulièrement en ce qui a trait à des aspects pédagogiques, est un signal clair que quelque chose ne fonctionne pas dans ce merveilleux monde et que les intervenants traditionnels (fonctionnaires, universitaires, chercheurs, directions, enseignants, parents, syndicats, etc.) n'arrivent pas à développer un consensus autour de certaines décisions importantes.
Toujours à l'échelle politique, Jean-Yves Lévesque et Nathalie Lavoie, professeurs chercheurs au département des sciences de l'éducation de l'UQAR, sont d'avis que le retour au bulletin chiffré «a été une décision strictement politique». D'autant, déplorent-ils, que les enseignants n'ont pas été consultés dans cette prise de décision.
Je ne commenterai pas le retour au bulletin chiffré, mais peut-on avoir l'honnêteté d'indiquer qu'il s'agissait d'une décision politique qui n'a pas été prise dans le vide, mais à la demande de bien des parents qui ne comprenaient rien au bulletin précédent? Il est indécent, quant à moi, de commenter cette action sans tenir compte du contexte complet dans lequel elle s'est effectuée.
On peut s'interroger sur le geste de Mme Courchesne, mais que celui-ci relève d'un politicien le dénature-t-il automatiquement et lui enlève-t-il toute légitimité? Faut-il être un médecin être ministre de la Santé, un camionneur pour être ministre des Transports et un mineur pour être ministre des Ressources naturelles? Élit-on des spécialistes ou des individus en qui on place notre confiance?
À la différence des universitaires et des fonctionnaires, les politiciens sont redevables devant la population et l'on peut juger leurs actions à chaque élection. Ils ont le mandat d'encadrer le travail de ceux qui oeuvrent sous eux et portent la responsabilité de ce que font ces derniers. En limitant les actions d'un ministre, on limiterait à la fois sa responsabilité ministérielle (un principe démocratique important) et on conférerait à d'autres individus non redevables un pouvoir important. Je préfère de loin un système démocratique aux décisions contestables qu'une tyrannie bureaucratique parfaite.
Je ressens un malaise quand je mets en parallèle ces commentaires des professeurs Lévesque et Lavoie avec ce qui se passe avec les commissions scolaires du Québec. On reproche aux commissaires d'être peu représentatifs, de travailler sans faire preuve de transparence, mais on n'hésite pas à blâmer une ministre élue parce qu'elle exerce publiquement son droit de décider. En bout de ligne, veut-on revenir avant les années 70, à l'époque ou les commissaires scolaires étaient nommés par le clergé et le gouvernement et ou avant les annèes 60 ou l'éducation relevait des congrégations religieuses? C'est Monseigneur Turcotte qui va être ravi! Est-on en train de remplacer un religion par une autre? Hors de la pensée des chercheurs point de salut?
Enfin, toujours par rapport aux propos des universitaires Lévesque et Lavoie, leur argument à l'effet que les enseignants n'ont pas été consultés quant au retour du bulletin chiffré en est un de piètre qualité. Ces derniers n'ont pas été plus consultés sur le Renouveau pédagogique, à ce que je sache. De toute façon, depuis quand consulte-t-on véritablement les enseignants sur des changements pédagogiques? De grâce, faites preuve d'imagination dans votre argumentaire!
J'arrête ici ma lecture de ce texte du Devoir. Ce n'est pas tant le manque de vigueur de ma colère : c'est plutôt la lassitude.
Cependant, je m'en voudrais de ne pas relever le côté téteux de ce quotidien qui, parfois, en beurre un peu épais. Ouvrir un texte en caractérisant des gens interviewés d'«éminents chercheurs», ça manque un peu de neutralité. Un peu de retenue aurait été bienvenue. Imaginez le tollé si on avait la même chose avec Stephen Harper...
4 commentaires:
Sans discuter sur le fond votre billet, j'ai eu moi aussi bien des problèmes avec ce texte. Le fait qu'il fasse parti d'un «cahier spécial» du genre «publireportage» m'a fait croire qu'il n'avait pas passé par le même «circuit» que celui généralement suivi au Devoir. C'est comme ça que je me suis expliqué le niveau particulièrement faible de l'analyse qu'il contient...
Il s'agit d'une bonne observation. Ça peut expliquer des choses.
« On peut être choqué, en tant qu'universitaire, que notre action soit limitée par d'autres intervenants, mais on doit absolument tenir compte de ces derniers si on ne veut pas vivre dans une utopie.»
Et vlan ! Dans les dents !
Cette phrase est d'une vérité...
La théorie, c'est bien beau, mais il ne faut jamais oublier le plancher des vaches, là où nous nous situons la plupart du temps.
Je discute avec quelques "théoriciens" ces temps-ci, depuis quelques mois, et je me fais parfois la réflexion que certaines de leurs phrases ne tiendraient pas la route longtemps "la truffe collée au sol", dans la vraie vie.
Au départ, je me sentais un peu "trouduc", face à certains énoncés superbement dits ou écrits, mais de plus en plus, je garde confiance en moi quand je pense que je suis sur le plancher et que mon apport peut en être un tout aussi valable.
C'est un peu le problème dans notre actuel système : nous ne sommes qu'un petit maillon insignifiant dans la tête des penseurs... En même temps je me dis que c'est à nous de prendre une place, la nôtre, de gré ou de force, en ligne directe ou en parallèle comme ici, par exemple. Utopie ? Peut-être encore un peu, mais au moins on fait qqch...
«Quant à moi, l'intervention des politiciens en éducation, et particulièrement en ce qui a trait à des aspects pédagogiques, est un signal clair que quelque chose ne fonctionne pas dans ce merveilleux monde [...]»
Très intéressant, ça !
Sylvain: il m'arrive de discuter avec des «théoriciens», des journalistes, des politiciens. Ils ont grand besoin parfois de ce contact avec le plancher des vaches que vous leur donnez. Certaines idées doivent passer le test de la réalité pour être bonne.
Par exemple, sur votre blogue, vous traitez beaucoup des NTIC. Ne pas tenir compte des craintes des enseignants, de leur formation nuit à l'avancement des technologies de l'information. Les gens bien intentionnés veulent souvent aller rapidement, mais ils nuisent à leur projet en ne tenant aps compte du milieu dans lequel il s'inscrit. La réalité est parfois décourageante et enrageante, sauf que c'est justement celle-là qu'on veut changer, non?
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