Deuxième visite dans le monde de l'édition. Et beaucoup de constats.
Premièrement, la réforme est encore vue par par certains éditeurs sous forme de manuels et de cahiers d'exercice, ce qui n'est pas en soi une surprise quand on sait qu'il s'agit de leur raison d'être: vendre du papier imprimé. On est loin des nouvelles technologies et des nouveaux supports de travail. Seulement, c'est toute la pédagogie derrière cette conception de l'acte d'enseigner qui est révélatrice. Les manuels et les cahiers sont encore vus comme un maître, une bouée de sauvetage. Remarquez qu'avec l'état actuel du système scolaire, ils ont peut-être raison... À quoi se raccroche un enseignant qu'on garroche devant une classe à deux jours d'avis? Et je ne parle pas des nouveaux qui manquent d'encadrement.
Deuxièmement, à cause d'un contexte que j'expliquerai plus tard, la rapidité avec laquelle le matériel doit être produit est proprement hallucinante. Comment concevoir des outils réfléchis, pertinents, efficaces en si peu de temps? On comprend alors qu'on est dans un contexte de production et non de création. La différence est très grande entre ces deux notions.
Troisièmement, cette contrainte de rapidité oblige à ce que différentes équipes de travail doivent oeuvrer en même temps. La coordination entre les différents ouvrages d'une même collection est alors difficile, voire impossible. Le rôle du chargé de projet, qui doit tout superviser, s'avère titanesque. Il est par conséquent normal d'observer un manque de cohérence dans les manuels d'un niveau à l'autre.
Quatrièmement, malgré le report d'un an de la réforme sous l'ère du ministre Reid, on constate que le MELS est toujours aussi en retard dans l'élaboration de ses programmes. Les maisons d'édition travaillent sous pression parce que le ministère livre tout à la dernière minute. Et encore: même avec un an de grâce, il respecte à peine les nouveau délais qu'il s'est lui-même donné. Un tel comportement vient évidemment augmenter les risques d'improvisation, de manque de réflexion avec, pour conséquence, qu'on mettra dans les mains des élèves et des enseignants le meilleur produit possible, compte tenu des circonstances... et ce, pas toujours à temps.
Cinquièmement, et cela est encore plus vrai dans le cas des matières qui s'étirent sur plusieurs années, on a tout construit à la pièce en partant de la première secondaire jusqu'à la cinquième. Or, il est indispensable d'avoir une vue d'ensemble, de savoir ou l'on veut aller pour déterminer le chemin à prendre. Plus on avance dans la conception d'un programme, plus la majeure partie des notions est déjà déterminée. Bref, plus on avance dans la progression des apprentissages, moins on a quoi que ce soit à dire sur ceux-ci puisque tout est déjà décidé, conçu, imprimé, efficace ou pas. N'est-ce pas aberrant? N'est-ce pas en quatrième et cinquième secondaire, par exemple, qu'on est à mieux de constater les lacunes du programme des années précédentes? Pourtant, ce sont ces gens qui seront consultés en dernier ou qui seront appelés en dernier à créer du matériel scolaire. Je ne sais pas. Peut-être suis-je dans l'erreur, mais tout cela me semble illogique et surtout inefficace.
Dans le cas qui l'occupe, c'est dans ce contexte particulier que le Prof masqué a présenté en collaboration avec une collègue un produit original. Cette deuxième rencontre a surtout permis de constater que bien des éléments de celui-ci n'ont pas été retenus. On aime notre intelligence, on aime nos cerveaux, mais ceux-ci devraient être asservis à la production d'un cahier d'exercice qui devrait respecter la terminologie d'un manuel de base qui n'est pas encore créé, manuel de base qui s'inspirera fortement de celui de l'année précédente qui n'est pas encore fini et qui a été conçu par une équipe différente de celui à venir. Compliqué? Plutôt.
En revenant à la maison, je me suis longuement questionné avec ma collègue. Quelques interrogations ont tourné dans ma tête:
- De quoi ai-je envie?
D'avoir du plaisir à créer un produit qui répondra à ce que je crois. - Ai-je des choses à prouver professionnellement ?
Non. Qui me connait sait que j'ai une vie professionnelle bien remplie. - Ai-je des ambitions d'être édité?
Oui, mais pas à tout prix. - Que me reste-t-il à faire?
Lundi matin, le courriel destiné à la maison d'édition sera envoyé. Je ne trouverai pas mon bonheur ni de la liberté dans ce projet. Pas grave.
Ajout: à lire, ce texte de La Presse ou l'on répertorie quelque 50 inexactitudes dans les deux manuels de L'Occident en 12 événements. Un exemple de production à toute vapeur?
5 commentaires:
Après, on se demande pourquoi le matériel scolaire manque de cohérence!
J'ai déjà été approchée par une maison d'édition (quelqu'un que je connais qui avait donné mon nom) pour préparer un dossier pédagogique d'accompagnement d'une oeuvre littéraire. J'avais refusé pour des raisons qui s'apparentent à celles que tu énonces. Entre autres, le délai de livraison était très serré et la rémunération ridicule (1000$). Me connaissant, je savais que j'aurais mis bien des heures et je n'avais pas envie de travailler à 2$ l'heure.
Quand la réforme a été implantée il y a quelques années, les élèves du primaire ont eu droit à deux demi-cahiers de mathématiques parce que l'éditeur n'arrivait pas à boucler le travail à temps. Et ce fut ainsi presque tout au long des cinq années suivantes.
La conception des cahiers ressemble à ce qui se vit dans les écoles secondaires : tout se fait à l'horizontal au lieu d'être à la verticale. La consultation se fait par niveau et non pas dans l'ensemble des niveaux, pour donner un aperçu global de la matière à traiter.
Les vraies maisons d'éditions scolaires sont "encarcanées" dans le rôle qui leur est dévolu depuis des lustres : faire des cahiers d'exercices et de manuels scolaires.
Heureusement que maintenant il y a d'autres maisons d'éditions qui s'intéressent à la production de matériel "dit complémentaire" ou "parascolaire". Et ce matériel est, à mon avis, plus pertinent à l'idée fondamentale de la réforme.
Dans ce projet tu ne te proftitue pas! Tu respectes ton bonheur et ta liberté : c'est ça qui est important!
Une connaissance à moi a fait exactement la même chose après plusieurs mois consacrés à un projet... Trop orienté production-à-tout-prix, les maisons d'édition sont en train de nous pondre des manuels qui seront plus pourris que les précédents pour toutes les raisons évoquées dans ce billet : désolant au centuple !
Comment peut-on concevoir l'éducation sans vue d'ensemble, juste en regardant pas plus loin que le bout de son nez ou de son portefeuille ? Si le ridicule tuait, le système de l'Éducation serait sous respirateur artificiel : peut-être l'est-il déjà ?
Inexactitides, erreurs, oublis ne peuvent qu'être présents dans des ouvrages pondus à toute vitesse. On n'a pas pensé aux enfants en les rédigeant.
On vous demande de rédiger un manuel sans que vous sachiez vraiment ce que vous devez y mettre.
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