22 mars 2009

À propos de l'anonymat des blogues d'enseignants

On reproche souvent aux enseignants qui tiennent des blogues de le faire de façon anonyme. Ceux-ci ont leurs raisons de préserver leur identité. Deux des plus fréquentes sont d'éviter d'identifier des élèves ou d'éventuelles représailles de la part de collègues, de décideurs scolaires ou de parents.

La Presse, aujourd'hui, publie exceptionnellement la lettre d'une enseignante à propos du décrochage des parents en omettant son nom de famille. Cette lettre ne nous apprend rien de bien nouveau, vous le remarquerez en la lisant.

Mais pourquoi cet anonymat, pensez-vous? La peur des parents. Un prof aura toujours peur de critiquer le payeur de taxes, la main qui le nourrit. Après tout, qui sommes-nous, privilégiés avec des mois de vacances, pour houspiller le bon citoyen devant l'impôt éternel, même quand il élève ses enfants d'une façon épouvantable.

J'ai déjà participé à un débat sur l'avenir des commissions scolaires. Dès le lendemain matin, le téléphone sonnait à mon école. Deux commissaires offusqués. Pourtant, j'avais pris soin de ne pas identifier ma CS ou de nommer des individus en particulier. C'était la première fois, en 14 ans, qu'on s'intéressait à ma personne et pas parce que je faisais un bon travail auprès de mes élèves (ce dont je suis convaincu) mais parce que je dérangeais en haut lieu en faisant miennes publiquement des positions largement répandues. Je dérangeais. Donc, il fallait subtilement me suggérer de me ranger.

Si une institution comme La Presse agit de la sorte, elle ne le fait pas gratuitement. Il existe en enseignement, comme dans bien d'autres domaines, une omerta qui pousse au silence même les plus braves.

Au lieu de questionner les profs qui tiennent à l'anonymat, on devrait davantage se demander pourquoi notre système d'éducation tolère si mal la critique de ses propres membres et encourage le silence et son ami: la complaisance par le silence.

L'éducation a ceci de particulier qu'elle dit favoriser le travail en collégialité mais tolère mal comme institution la critique et la divergence d'opinion.

12 commentaires:

Bulle a dit…

C'est un peu pour la même raison que j'habite à l'extérieur du territoire de ma CS... Et j'ai quand même été harcelée au téléphone par un ancien élève. Même si nous sommes enregistré au nom de mon conjoint (avec juste la première lettre de son prénom).

Anonyme a dit…

Cher professeur (encore) masqué,

On dirait que vous faites exprès pour me provoquer en abordant ce sujet de prédilection : l'anonymat sur les blogues !

Je comprends que l'on puisse avoir peur d'exprimer ses opinions sur la place publique. On s'expose potentiellement, mais pas nécessairement, à la contradiction, à la contestation, voire au rejet. L'anecdote que vous évoquez le montre. Mais en même temps, il se pourrait bien que les ou des enseignants aient indûment peur d'avoir peur!

Car la liberté d'expression authentique, c'est précisément celle de pouvoir s'exprimer sans crainte de représailles. C'est pourquoi, je suis convaincu que l'anonymat n'est pas une vraie réponse face aux menaces réelles ou appréhendées. Ceux qui dans l'histoire ont fait avancer la liberté d'expression sont ceux et celles qui se sont exprimés librement.

Cela dit, il y a un autre aspect de la question: l'aspect éthique. On admet volontiers qu'un employé doit loyauté à son employeur. D'ailleurs, c'est ce que, par exemple, affirme explicitement la Loi sur la fonction publique.

"5. Le fonctionnaire est tenu d'office d'être loyal et de porter allégeance à l'autorité constituée.

"11. Le fonctionnaire doit faire preuve de réserve dans la manifestation publique de ses opinions politiques".

Ces dispositions ne concernent pas les enseignants qui ne sont pas des fonctionnaires, mais on peut concevoir que c'est le même esprit qui s'applique à eux.

Je me souviens du reste que lorsque j'étais au Devoir, une clause de notre convention collective nous obligeait aussi à la loyauté envers l'entreprise.

Bref, la loyauté est indispensable à la confiance nécessaire à la réalisation de son mandat professionnel.

Cela dit, qu'un enseignant expose publiquement son avis sur l'avenir des commissions scolaires n'est pas manquer de loyauté envers son employeur. C'est participer à un débat public auquel chaque citoyen peut librement contribuer. Se réfugier dans l'anonymat par crainte de deux commissaires, c'est leur donner du pouvoir sur vous. Dommage.

Vivement, cher professeur, que tombe enfin votre masque!

Cordial bonsoir,

Jean-Pierre Proulx

Le professeur masqué a dit…

Bulle: la paix, ça n'a pas de prix.

M. Proulx: il ne faut pas me prêter d'intention. La peur d'avoir peur, ça s'appelle de l'autocensure. Sauf que celle-ci ne nait pas comme ça, dans le vide. Il y a le non-dit parfois.

De plus, ce ne sont pas tous les profs qui ont envie de jouer aux héros. D'autant plus qu'on parle de leur boulot, de leur gagne-pain.

Par ailleurs, il est parfois très facile de rendre la vie d'un enseignant misérable au quotidien sans tomber dans des mesures légales ou judiciaires.

Il existe plusieurs cas de «loyauté» qui ont mis en cause des enseignants et je vous invite à consulter la jurisprudence à ce sujet. Certains cas, de mémoire, n'étaient pas d'une grande assurance.

Il est regrettable qu'un fonctionnaire québécois qui veut alarmer la population sur des mauvais fonctionnements de son administration ne puisse pas être davantage protégé. Le scandale des commandites a pour origine un fonctionnaire dont on cherche, encore aujourd'hui, à divulguer le nom, même s'il existe officiellement une protection légale entourant ce qu'il a fait.

Pas de quoi encourager ceux qui auraient envie de dénoncer les travers de nos administrations.

Katerine Salois a dit…

Je suis tout à fait d’accord avec vous, professeur masqué. Je crois que le fait de ne pas divulguer de noms permet simplement de protéger la vie personnelle et le métier de ces enseignants. Cela peut si facilement être terni! Il suffit d’irriter la mauvaise personne et voilà!

Personnellement, je dois écrire des billets dans des blogues autres que celui de mon cours à l’école et j’ai peur des représailles! Je suis peut-être un peu peureuse mais je ne veux pas commencer le métier en ayant déjà une tache à mon dossier… Je n’imagine même pas la crainte qu’éprouvent ces gens qui ont le courage d’affirmer leurs opinions qui sont parfois controversées sur la place publique!

De plus, ceux qui réagissent à certains messages ne le feraient peut-être plus s’ils savaient qu’ils réfutent l’opinion d’une personnalité très connue…L’anonymat permet donc la neutralité dans les opinions de tous.

Aussi, je crois qu’en restant anonyme, cela donne l’avantage aux blogueurs d’être encore plus honnêtes que si le nom était divulgué. Disons que cela évite à ceux-ci de passer par quatre chemins et de nuancer leurs propos! Il est vrai que ceux s’étant exprimés en toute liberté ont souvent marqué l’histoire, mais cela s’est malheureusement souvent accompagné de grands sacrifices… Je crois que les enseignants qui participent aux blogues ne souhaitent pas devenir des héros (comme le soulignait le professeur masqué)! Selon moi, ces personnes ne cherchent qu’à se libérer de leurs pensées, de trouver des gens qui pensent comme eux et d’obtenir des réponses à leurs questionnements. En plus, le fait de ne pas connaître l’identité de certaines personnes, dont le professeur masqué, ajoute une part de mystère… Cela changerait-il quelque chose à l’opinion que vous avez en connaissant son vrai nom?

bobbiwatson a dit…

Je pense plus que l'anonymat des profs "blogueurs" est devenu obligatoire à cause des ceux qui mélangent leurs histoires personnelles et leurs billets "éducation": ce sont deux mondes.

L'ensaignant a dit…

Et je profite de ce billet pour faire mon "coming-out" officiel.

Ensaignant n'est pas mon vrai nom. C'est Prof Malgré Tout et j'écris anonymement sous un pseudonyme de mon pseudonyme.

Voilà, c'est fait.

Le professeur masqué a dit…

Ensaignant: ce que tu veux dire que quand tu écris que tu admires PMT, tu es narcissique? : )

Content de te lire chez moi.

bobbiwatson a dit…

Comme quoi la paix et le respect n'ont vraiment pas de prix!

ke11vin a dit…

Bonjour professeur masqué,
Après la lecture de votre billet, je ne peux pas respecter indifférent. En effet, je me rends compte comment il faut savoir se protéger lorsqu'on émet son opinion. Je comprends qu'on doit respecter la confidentialité des informations, mais j'ai l'impression que cet aspect est surtout utilisé dans une situation défavorable à ''l'ennemi''. Face à ces réflexions, je me demande si nous, les enseignants, devons arrêter de donner notre opinion et de cacher notre identité sur Internet à cause des parents ? Mon amie (sans donner de nom) a effacé son profil sur un site très connu ces dernières années parce qu'elle vient de s'inscrire dans une commission scolaire pour faire de la suppléance. Je me demande seulement si nous sommes rendus à ce point..

Le professeur masqué a dit…

kellvin: si votre amie affichait une homosexualité très nette sur son profil, elle le saurait dès le lendemain... et il y a des parents qui en seraient offusqués. Il y a des gamins qui s'amusent à faire des recherches sur leurs profs juste pour s'amuser. Etre prof est un métier public pire qu'infirmière ou même policier. Sans certains avantages.

bobbiwatson a dit…

Si on veut rester anonyme, peut-être ne devrait-on pas être "blogueurs"?

Laurence a dit…

Bien avant que vous écriviez ce billet, je me demandais ce qui vous poussait à rester anonyme. Je me disais qu’une personne avec des opinions aussi tranchées que les vôtres ne devrait pas continuer à cacher son identité et la dévoiler au grand jour. En tant que future enseignante, j’ai à écrire des commentaires sur des blogs extérieurs de la sphère de l’université et je trouve (tout comme ma camarade Katerine) tellement délicat de dévoiler nos opinions surtout si elles divergent de celles des autres. Personnellement, j’ai parfois des opinions différentes des vôtres, mais je n’oserais jamais les divulguer ! Avec tout ce qu’on entend aujourd’hui et les recherches qui sont faites sur les futurs enseignants, je crois que crier haut et fort son opinion peut s’avérer être désavantageux pour nous.