21 février 2010

Une autre réalité de l'éducation: la détresse des élèves performants

J'enseigne à des élèves pour la plupart performants. Ce n'est pas de ma faute: il en existe encore...

Jeudi, deux de mes élèves de l'année dernière viennent me voir, la mine catastrophée. Elles veulent me parler en privé. Le sujet qu'elle veulent aborder semble les préoccuper. Après quelques instants, je comprends qu'elles craignent qu'une de leurs amies soit devenue anorexique. Il y a des détails qui ne mentent pas: élève belle comme un coeur et exigeante envers elle-même, jeans devenu trop grand grand, regard fatigué et cernes autour des yeux, trop vêtue parce qu'elle a constamment froid, pas de lunch le midi, propos plus ou moins convaincants quand elle est questionnée sur son alimentation...

Je comprends alors que mes poussinnettes se sentent dépassées par cette situation et qu'elles se tournent vers moi pour trouver une solution. C'est là qu'un prof n'est plus un prof, mais un adulte responsable. C'est là, ou n'en déplaise à mon syndicat et à mon gouvernement, je ne regarde pas mon horaire de travail qui m'indique que je suis en TNP (travail de nature personnelle) et met en branle les ressources qui existent à mon école.

Jasette avec le directeur adjoint pour l'informer de la situation, hiérarchie oblige. Puis, rencontre avec la travailleuse sociale qui appelle la psychologue pour convenir du meilleur moyen d'intervention. Trente-cinq minutes se sont écoulées. On convient qu'il nous manque des informations.

Ensuite, je cours au secrétariat situé au bout du monde consulter les horaires des élèves de deuxième secondaire. Je croise «par hasard» l'élève concernée qui sort d'un cours de maths. Doute partagé: elle a maigri radicalement et elle semble fatiguée. Il arrive souvent que les élèves de deuxième perdent leur gras de bébé, mais pas qu'ils maigrissent à ce point.

Comme je donne un cours dans cinq minutes, je me rends en classe en vitesse et fais de mon mieux à la fois parce que la situation me préoccupe et parce que j'aurais dû préparer mieux la matière que je dois donner.

Le lendemain, vendredi, mes deux élèves de deuxième reviennent me voir avoir des faits nouveaux. Je devrai régler des problèmes de photocopie sauf que, soudainement, je crois que j'ai mieux à faire... J'en profite pour les questionner sur la jeune qui nous inquiète: situation parentale, etc. Surtout, je constate que mes deux oiselles ont besoin elles aussi de réconfort: elles sont très préoccupées, très comme trop à cet âge ou nos amis sont le centre de notre univers.

Je les remercie pour leur sollicitude à l'égard de leur collègue, leur dis qu'elles ont bien fait. Mais surtout, je les invite à comprendre qu'elles doivent comprendre qu'elles ne peuvent en faire plus, qu'elles doivent accepter que leurs actions ont une limite, qu'elles ne doivent pas se sentir coupables de ce qui se passe. Elles ne doivent pas devenir victimes du comportement de leur amie.

Nouvelle rencontre impromptue avec la travailleuse sociale. Selon mon horaire à la con, je devrais être en train de... Notre planning d'intervention est déterminé. Il inclut les deux amies ébranlées. Un seul bémol: nous tombons en semaine de relâche. D'accord, une anorexique nous mourra pas en une semaine, mais je déteste ces délais. Je déteste l'inaction devant la détresse.

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Si j'ai écrit ce billet, c'est pour souligner que les élèves performants ont des difficultés qui leur sont propres. On l'oublie souvent. Les cas d'anorexie sont plus fréquents généralement chez les filles qui réussissent très bien à l'école, par exemple.

J'aimerais également ajouter que je ne suis pas une exception. Bien des enseignants en font plus que ce qu'on leur reconnait. Ils le font tout de même parce qu'ils ont un coeur, un souci du professionnalisme et un humanisme que leur convention collective et leur horaire ne leur reconnaissent pas. Comme enseignant, il faut cependant à aller vers les ressources de l'école (quand il y en a!) et ne pas tout porter sur ses épaules, sinon on risque de commettre des erreurs ou de ne pas survivre à la détresse qui nous entoure.

3 commentaires:

Camille Marcotte a dit…

Dommage que tout le travail «hors horaire» ne soit pas reconnu... Mais encore une fois, nous avons un exemple que la «priorité éducation» est plus axé sur la performance scolaire notée que sur la formation de citoyen avec toute leur tête...

Je ne peux pas parler pour ces jeunes filles, mais pour ceux qui ont des parents absents, des familles dysfonctionnelles et de drôles d'amis, les profs sont les seuls vers qui se tourner. Et personne ne veut entendre ça. Dommage, dommage...

Mme Marie-Andrée a dit…

«les ressources de l'école (quand il y en a)» Tout est là!

Parce que je travaille dans un milieu favorisé, on n'a pas de psychologue remplaçant celle qui est partie en congé maternité. Les travailleuses sociales sont débordées dans des écoles plus démunies, mais richesse ne rime pas avec pas absence de besoin chez les enfants... Notre TES est mauvaise, sa première année d'expérience ne semble pas lui donner la fougue des débuts. On cherche tous à «patcher» les besoins des élèves, mais ils sont criants...

Être la mère, le guide, la conseillère, l'infirmière et la psychologue en même temps, c'est pas facile et je me sens souvent démunie devant tant de petites peines...

Le professeur masqué a dit…

Dépendante: ici, tu sais, je crois que cette élève se veut performante en tout. Ce n'est pas l'école qui l'a poussée dans ce champ miné.

Marie-Andrée: disons que j'enseigne dans une très grosse école, ce qui permet d'avoir des budgets. Mais même là, il a fallu justifier que nos élèves performants avaient des besoins.