Dans sa lettre, par ailleurs très intéressante, «Enseigner et éduquer, c’est bien différent», Laurence Phillipson, une finissante au baccalauréat en enseignement au primaire écrit : « Il faut comprendre que l'approche privilégiée pour les compétences ne se fait pas au détriment des connaissances.» Une telle croyance ne peut que nuire aux apprentissages des jeunes québécois et il est malheureux qu’elle soit partagée non seulement par une future enseignante mais de nombreux éducateurs.
On fait beaucoup état des résultats des futurs enseignants à l’examen TECFÉE. Or, ceux-ci sont révélateurs de deux évidences toutes simples quant à cette fameuse pensée magique.
Tout d’abord, en français, il est possible de réussir les examens ministériels d’écriture tant au secondaire qu’au collégial sans avoir une bonne connaissance du code grammatical. C’est d’ailleurs ce qu’a démontré cet enseignant de la Rive-Sud de Montréal dont les élèves auraient pu réussir l’épreuve finale de cinquième secondaire alors qu’ils commencent à peine leur troisième! Une telle situation serait tout bonnement impossible en maths ou en science. Mais cela ne semble pas réveiller nos hauts fonctionnaires et les divers ministres de l’Éducation que le Québec a connus au cours des dernières années.
Il est d’ailleurs révélateur que ce ne soit pas la partie reliée à la rédaction dans le TECFÉE qui crée des problèmes chez les aspirants profs mais bien celle portant sur les règles de grammaire. On aura beau dire que cette dernière est bourrée d’exceptions et d’éléments inutiles, encore faut-il savoir pour qui et dans quel contexte.
Ensuite, on comprend bien qu’il est faux de croire que la rédaction d’une production écrite entraine la mobilisation d’une foule de règles grammaticales et permet d’affirmer que l’auteur de celle-ci a une solide connaissance de la langue française. Le scripteur démontre sa compétence à éviter des erreurs quand il écrit son texte, point à la ligne. Mais devant un exercice plus exigeant ou différent, on voit tout de suite que les connaissances de celui-ci sont plus limitées qu’on serait tenté de le croire. Sinon, comment expliquer tous ces échecs au TECFÉE? En accusant, bien sûr, cette évaluation d’être trop difficile et déconnectée de la réalité de tous les jours.
Si les jeunes issus du secondaire étaient si «compétents» en écriture, comment doit-on interpréter le fait qu’on demande maintenant aux enseignants du collégial de s’assurer que leurs élèves sachent employer des moyens efficaces pour réviser leurs textes après onze années sur les bancs de plus petites écoles?
S’il est vrai qu’un «élève sachant par coeur ses règles d'orthographe (sic) pourrait écrire un texte absolument catastrophique sur ce même plan orthographique», comme l’écrit Mme Phillipson, il est aussi vrai qu’un élève compétent en rédaction puisse l’être sans maitriser plusieurs des règles de grammaire.
Pourquoi alors ne pas songer à un examen de cinquième secondaire en français hybride qui comprendrait à la fois une partie rédaction et une partie connaissances grammaticales ? J’ai eu l'occasion de travailler à l'instauration de tels examens. En plus de «discipliner» certains profs dans leur enseignement, j'ai vu certains jeunes étudier des notions de grammaire pour la première fois. Pour une fois, ils ne pouvaient plus se contenter d’une langue qu’ils connaissent de façon approximative et devaient en connaître toute la finesse et la richesse.
13 commentaires:
Je suis tout à fait d'accord avec le retour de l'évaluation de la grammaire. En ce moment, toute question grammaticale est totalement occultée des évaluations puisque la grammaire n'est pas une compétence.
En France, le programme de nos confrères consiste également en trois compétences, mais ces dernières sont l'étude de la langue française, la lecture et l'expression (qui combine l'oral et l'écrit). Sur le site Internet du Ministère de l'Éducation nationale, la présentation de la compétence «l'étude de la langue française» est sensée, logique, presque évidente (http://www.education.gouv.fr/cid81/les-programmes.html).
Donc, pour nos confrères français, connaître la langue française et être un bon lecteur sont des compétences fondamentales permettant, ultimement, de s'exprimer à l'oral et à l'écrit. Peut-être devrions-nous nous inspirer de cette conception de l'enseignement du français.
Madame Marquis: intéressant!
J'avoue que j'ai été consterné par le ton qu'employait la finissante, Cela sentait tellement l'endoctrinement universitaire. Peut-être que la réforme a été bonne au primaire mais au secondaire, c'est autre chose! Il y a souvent ces temps-ci ces types de lettres qui glorifient la réforme, je me demande (sans tomber dans la théorie du complot) s'il n'y a pas une intention de la part de certains (mais qui sont-ils?) de «tirer la couverte de leur bord» car nous sommes tous en attente des nouvelles MELS au sujet du bulletin.
J'ai passé mes trois premières années de bacc à détester le Renouveau, entre autres parce que nos professeurs nous apprenaient à le faire. Pourtant, concrètement, je me suis rendue compte que c'était possible d'évaluer par compétences en tenant compte des connaissances. J'ai changé d'idée en donnant des cours d'été dans une école privée. Quelle était la préparation à l'Épreuve de fin d'année qui évaluait la compétence Écrire des textes variés? De la vieille bonne grammaire en rafale, des pratiques d'écriture en série avec rétroaction.
Donc, j'appuie ces propos: «Il faut comprendre que l'approche privilégiée pour les compétences ne se fait pas au détriment des connaissances.»
Il «faut» comprendre: ça implique que certains enseignants n'ont peut-être pas compris! Oui, l'évaluation des compétences, ça rend la création de grilles de correction compliquées (pour rien, probablement). Mais je trouve qu'on exagère. J'ai travaillé avec plusieurs grilles d'évaluation de textes de plusieurs niveaux. Elles étaient très bien faites. Pour en arriver à passer l'examen, il fallait démontrer une très bonne connaissance du code linguistique. La seule différence est qu'on peut dire, en calculant les critères réussis, si l'élève «est compétent» ou non en écriture.
Je pense qu'on peut s'en sortir avec des critères d'évaluation très précis qui mènent à la «maîtrise» relative d'une compétence. En bout de ligne, ça ne devrait pas changer grand chose!
Je pense que le vrai problème est plus complexe. Peut-être, simplement, que les épreuves ministérielles pourraient être plus sévères. Mais en contrepartie, tout le monde n'obtiendrait pas son diplôme de cinquième secondaire...
L'endocrinement est relatif. À l'université, certains profs admirent la réforme et d'autres la détestent.
Ceci dit, je vous donne mon opinion, je ne prétends pas avoir la réponse à aucun problème!
J'aurais tendance à prétendre qu'un élève qui arrive à rédiger de façon à contourner certaines règles qu'il ne maîtrise pas fait tout de même preuve de débrouillardise rédactionnelle, ce qui est déjà un début de "compétence" ou, à tout le moins, la marque d'une autonomie sur le plan discursif. Si ses capacités sont trop limitées, cela se reflétera dans l'expression de la pensée, dans la clarté du texte, la justesse du propos. Tout le monde fait ça, je fais cela moi-même lorsque sur le point d'écrire (au tableau, sur papier quand je n'ai pas de dictionnaire sous la main), j'ai un doute sur l'orthographe d'un mot : je reformule de façon à éviter tel ou tel mot, quitte à devoir modifier la tournure de ma phrase ou à devoir aborder mon sujet sous un autre angle. Encore faut-il que le sujet de rédaction force le scripteur à construire une pensée assez complexe pour qu'il doive déployer des stratégies d'écriture qui mettent en scène sa maîtrise de la langue.
J'aime assez cependant l'idée de faire étudier certaines règles grammaticales, mais j'irais plus loin encore : jusqu'au retour de l'analyse grammaticale de textes complexes. Combien de fois ai-je été stupéfait que mes collégiens ne sachent pas trouver le sujet dans une phrase parce que celui-ci était "caché" en fin de phrase, ou au milieu de la phrase ou pire encore, en poésie, trois vers plus haut. Comment peut-on prétendre qu'un étudiant sait lire parce qu'il et capable de résumer un texte simple, écrit pour lui, en fonction de son niveau de lecture ? Peut-être sait-il déchiffrer le sens premier du texte, mais il n'est certainement pas autonome et ne sera pas en mesure d'aller vers un autre type de lecture par lui-même. Et c'est bien là, il me semble, le rôle des onze premières années de scolarité : donner à tout le monde un bagage suffisant pour que chacun soit en mesure d'être libéré du carcan d'une langue mal maîtrisée et ainsi donner à chacun accès au monde abstrait du langage, du manuel d'horticulture aux théories du Big Bang en passant par les modes d'emploi d'appareils électroniques et Marcel Proust.
Je trouve vos réactions très pertinentes et intéressantes. J'aimerais seulement préciser ma pensée sur la question des connaissances. Je n'ai peut-être pas été claire à ce sujet, mais l'enseignement des connaissances à une place importante dans ma vision de l'enseignement. J'ai fait mon primaire dans une école privée française où j'ai dû apprendre par coeur la grammaire française en entier et toutes ses règles. Cela m'est encore d'une grande utilité aujourd'hui et j'en comprend toute la nécessité. Je vois très bien aussi les difficultés que cela entraîne pour tous ceux issus de la réforme ou non qui n'ont pas appris ces règles. Toutefois, mon expérience dans un milieu strictement axé sur les connaissances et ce dans toutes les matières, m'a appris que se limiter à ce seul apprentissage n'est pas suffisant, surtout parce que nous n'en retenons pas grand chose, mais aussi parce que cela limite la créativité, l'autonomie et le développement de la pensée logique. Pour moi, rendre un élève compétent, c'est d'abord lui faire apprendre toutes les connaissances nécessaires, ensuite le mettre dans des situations où il peut apprendre à les appliquer correctement, puis lui faire exploiter ce qu'il aura appris dans des situations complexes, grâce auxquelles la transposition dans la vie quotidienne se fera ensuite plus facilement. Lorsqu'il sera rendu là, je le trouverai compétent. Si ce que je vous explique n'a rien à voir avec les compétences de la réforme, alors l'université n'a pas réussi à m'endoctriner.
Je ne suis pas un enseignant. Le mot éducateur attribué à un prof me dérange un peu car en tant que parent j'ai toujours cru que c'était aussi mon rôle. Quant à l'apprentissage du français, je ne peux m'empêcher de noter que j'ai vu récemment des fautes grossières de français dans des textes rédigés par de jeunes avocats et par des journalistes, ce qui était plutôt rare il y a quelques années.
Je suis l'anonyme qui se demandait s'il n'y avait pas une certaine forme d'endoctrinement à travers le propos que vous avez énoncés (Mme Phillipson). Je suis bien heureux de connaître un peu plus vos idées face aux connaissances. J'avoue que ce qui me désole le plus dans cette notion de compétence et de ses évaluations est que les pseudo-pédagogues à gogo évacuent souvent la raison première d'aller à l'école: c'est, selon moi, surtout de se faire aider à atteindre un niveau intellectuel suffisant pour être capable par la suite de généraliser dans toutes sortes de sphères de la vie (c'est évidemment certain qu'il y a d'autres raisons d'aller à l'école). J'ai comme l'impression qu'on met la charrue avant les boeufs.
J’aime beaucoup demander à mes élèves : «À quoi ca sert les maths».Je réponds: «À rien mais c’est essentiel, (j'essaie ensuite de leur expliquer que cela sert à vous former le cerveau en vous confrontant à de nouveau concepts et lois ( quête pour atteindre la pensée hypothético-déductive qui est le stade supérieur associé à la pensée formelle)). Je remarque que quand ils comprennent le sens de l’éducation (en tout cas en math et certainement en français), ils deviennent plus ouverts à l’effort et plus capables de se confronter aux difficultés (état qui n’est pas très favorisé par l’approche de la réforme où tout est mâché d’avance et qui amène une approche très utilitariste de l’éducation).
Pour faire le tour des écoles de ma région depuis quatre ans en suppléance, je m'étonne toujours qu'on mette la faute à la réforme pour justifier la non-connaissance des enfants.
Au secteur régulier, elle n'est pas appliquée la Réforme. Ou si peu...
Les enfants font énormément de "drill" comme j'ai fait il y a 20 ans.
Pas grand chose n'a changé depuis la Réforme... sauf que les enfants ont plus de difficultés qu'avant et que l'on puisse mettre leurs difficultés sur le dos de la Réforme...
Anonyme 1: À à ce sujet, je pense que la réforme a été une foutue catastrophe pour des raisons simples. Le primaire est un terreau fantastique pour la réforme:
- un prof de base qui est aussi tuteur;
- un seul local de classe;
- une matière qui n'est pas archi-compliquée;
- donc, des projets moins heavy théoriquement qu'au secondaire.
Sauf que les projets et la compétence présupposent des connaissances. Et je ne crois pas que ce sont toutes les connaissances qui se prêtent à la pédagogie par projet.
Au secondaire, on rush sur les connaissances manquantes et il nous est difficile de faire des projets par manque de concertation, de bases solides (un local où se réunir, par exemple).
C'est comme si tout a été fait pour le mauvais niveau.
J: je ne partage pas vraiment votre point de vue sur certains aspects de votre opinion. Qu'est-ce qu'une «très bonne connaissance du code linguistique», d'après vous? Moi, je regarde les exigences du MELS et je m'étouffe...
Profquifesse: éviter les erreurs est une forme de compétence rédactionnelle, je suis d'accord. Mais on fait quand même passer des éléves qui apprennent à ne pas développer leurs talents, mais à jouer la trappe, comme au hockey... et ça donne des textes forcéemet limités.
En passant, votre affirmation que des faiblesses en analyse grammaticale peuvent nuire à la lecture chez les élèves. Comment peuvent-ils comprendre une phrase où ils sont incapables de repérer le sujet? Je reviendrai sûrement sur cette piste.
Madame Phillipson: Merci de votre présence sur ce blogue et de clarifier votre pensée. Je partage votre avis qu'une compétence devraient normalement s'appuyer sur de bonnes connaissances. Le problème, quant à moi, réside dans les modes et les critères d'évaluation. Faire de la grammaire pour de la grammaire est un processus vain. C'est le réinvestissment qui est important et signifiant. Mais encore faut-il qu'il y ait quelque chose à réinvestir? Et c'est là le problème; les évaluations sont limitées actuelles sont limitées et permettent aux élèves et de s'en tirer avec un minimum.
Anonyme again: J'explique à mes gamins que l'analyse grammaticale est un mode de raisonnement logique et je compare leur raisonnement à une petite souris dans un labyrinthe qui cherche le bon chemin pour atteindre le morceau de fromage. C'est un jeu intellectuel. Un exerciseur de muscle cervical.
Mam'Enseignante: personnellement, la réforme a été une perte de temps et d'argent. Constatant l'état de notre système d'éducation, on n'avait pas de temps ou d'énergie pour se lancer dans une telle aventure.
Je note sur ce blogue le bon vieux débat des connaissances versus les compétences.
Suis-je dans l'erreur d'affirmer que pour construire un mur de briques, cela prend deux matériaux : des briques et du mortier?
Un mur uniquement construit de briques s'effondrera facilement si une force moindrement grande lui est appliquée. De plus, sa structure ne pourra être d'une grande complexité. Il en est de même pour des connaissances empilées les une sur les autres que notre système scolaire entretient encore top bien.
Un mur peut également être construit simplement avec du mortier. Toutefois, il s'effritera facilement lors des intempéries et sa structure ne pourra s'élever en hauteur. Il en est également de même pour une accumulation de compétences, privilégiée par les orthodoxes du renouveau pédagogique.
Il est donc, à mon humble avis, nul et non avenue de considérer construire un mur de briques pour ensuite y ajouter le mortier, et vice et versa. Le mur se construit en y ajoutant, en même temps, des briques et du mortier au même titre que les savoirs s'acquièrent en ajoutant à la fois connaissances et compétences.
À bas le débat stérile et dichotomique entre les tenants du "cela prend des solides connaissances pour développer des connaissances" et les "développer des compétences permet de d'acquérir des connaissances".
Les deux se développent parallèlement. Point à la ligne!
La structure intellectuelle produite n'en sera que plus complexe et s'adaptera mieux aux nouveaux savoirs, car il sera plus aisé d'y faire les réparations d'appoint, si nécessaire à une tête bien faite.
Smeugd
Smeugd,
En fait, le débat n'est pas tant de savoir si l'un ou l'autre est important comme de savoir si on doit faire pour connaitre ou si on doit connaitre pour faire.
Professeur masqué,
Aucun n'est tributaire de l'autre. Ces deux concepts sont intereliés et s'alimentent l'un l'autre dans les deux sens.
Smeugd
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