07 octobre 2010

Un test passoire?

Un enseignant de la Rive-Sud de Montréal, M. Bruno Paquin, tente de démontrer ce que j'affirmais l'année dernière: les exigences de la nouvelle version de l'examen ministériel de français ont été revues à la baisse (ici et ici). Ainsi, il s'est livré à une petite expérience tout simple: il a pris des élèves de quatrième secondaire et leur a fait rédigé une production écrite qu'il a rédigé avec l'ancienne et la nouvelle grille. Résultat: les élèves obtiennent en moyenne 57% avec les anciennes exigences et 72% avec les nouvelles. Suis-je surpris? Non.

On pourra toujours avancer que M. Paquin n'était pas neutre dans sa correction. Mais, à mon avis, il est tout aussi neutre que ces gens qui font des maitrises et des doctorats. Il a posé une hypothèse et a voulu la vérifier. Là où le bât blesse cependant, c'est qu'il s'est livré à cette expérience avec des élèves issus du programme PEI, des élèves habituellement performants.

Question d'être un peu plus baveux que M. Paquin, je suis prêt à parier que la grande majorité de mes élèves de première secondaire PEI réussiraient en juin prochain cette épreuve de fin de secondaire, avec ou sans la nouvelle mouture de l'examen. Oui! Vous avez bien lu. Dès qu'on arrive à faire moins d'une faute aux 15 mots, les probabilités de réussir cette «épreuve» sont quasi assurées. Le reste, la structure, la logique du texte est à la portée du moindre élève un tant soit peu allumé.

Cette forme d'évaluation finale ne permet pas de savoir si l'élève connait bien ses règles grammaticales, mais plutôt s'il est capable d'éviter de faire certaines fautes. La nuance peut sembler futile, mais elle est importante. Un élève ne sait pas comment écrire un mot ou effectuer un accord? Il n'a qu'à reformuler sa phrase ou employer un synonyme. Cette technique d'évitement, je l'enseigne à mes élèves et ils l'appliquent généralement avec succès.

Au diable donc tout un pan des connaissances grammaticales: on peut réussir cet examen en étant compétent et ne rien comprendre des participes passés, de la règle du tout et des adjectifs de couleur. Je le sais: alors que j'enseignais en cinquième secondaire, même mes élèves qui ont échoué toute l'année mes tests de connaissances grammaticales réussissaient pourtant l'épreuve du MESL sans aucun problème. Sans aucun problème, donc sans aucune inquiétude, mes élèves considéraient l'épreuve ministérielle comme une simple formalité: «Tout le monde passe ou presque. Il faut juste pas être malchanceux.» Surtout qu'avec les nouvelles technologies de l'information, la tricherie n'a jamais été aussi facile.

C'est entre autres dégoûté par cette comédie de la réussite que j'ai quitté la cinquième secondaire pour oeuvrer auprès de jeunes de première dans un programme particulier. Et leur soif d'apprendre, leur désir sain de construire leur estime de soi en surmontant de véritables difficultés m'a fait le plus grand bien. En première secondaire, ces élèves ne sont pas encore blasés ou pervertis par un système qui érige le succès en un absolu ridiculement trompeur.

En passant, au ministère, on a refusé de répondre. À l'Association québécoise des professeurs de français, la désespérante présidente Suzanne Richard a qualifié l'exercice de «non scientifique» et ajouté qu'on «peut faire dire ce que l'on veut à ce genre de choses. Ce n'est pas sérieux.» La dame est une ancienne conseillère pédagogique et une universitaire de renom. Ce ne sont pas des tares. Mais cette forme de contact avec la réalité des classes ne l'a, semble-t-il, pas encore écoeuré de la réalité burlesque dans laquelle plusieurs profs enseignent.

4 commentaires:

imaginezautrechose a dit…

Les discussions sur la qualité du français dans au secondaire sont récurrents dans l'actualité et ce, depuis très longtemps. Il y a une quinzaine d'années déjà, alors que j'étais en secondaire 4, il fallait monter un dossier de presse sur un sujet qui nous intéressait et ensuite écrire une lettre d'opinion à une personne concernée par ledit sujet. J'avais choisi de travailler sur quelque chose qui me préoccupait déjà à l'époque: l'enseignement du français au secondaire... la qualité du français des élèves qui sortent du secondaire… Les articles ne manquaient pas sur la question, si bien que je n’ai eu aucune difficulté à monter mon dossier de presse. On disait à peu près la même chose qu’aujourd’hui. On parlait de l’état lamentable de la situation, des mesures que le gouvernement entendait prendre pour y remédier. Il y avait bien sûr quelques discours qui cherchaient à atténuer l’aspect alarmant de la situation.
Aujourd’hui, rien n’a vraiment changé, sinon pour le pire. Ayant lu et corrigé de multiples copies d’examens d’étudiants universitaires se destinant à la profession enseignante, je pourrais dire que c’était plutôt désastreux. Ces étudiants n’étaient pas même issus de la réforme. Mais ce sont peut-être eux qui la défendront haut et fort. Beaucoup plus de personnes qu’on pense sont en faveur du « nivellement par le bas », à commencer par ceux qui ne sont pas à la hauteur pour accomplir convenablement – i.e. avec une bonne dose d’efforts et de rigueur – ce qu’on leur demande.

Paul C. a dit…

Est-ce que quelcun est franchement surpris de ce que suggère l'expérience du brave enseignant?
Non, personne.

Vous savez, il existe un concept en évaluation dont le nom est la DISCRIMINATION. On peut même en calculer un indice et on souhaite habituellement que celui-ci soit élevé.

Maintenant, examinez l'esprit de la réforme et de nombreuses gens en éduction. Réussite du plus grand nombre, accessibilité, promotion assurée, intelligences multiples, styles d'apprentissage, estime de soi, etc. Un esprit égalitaire qui laisse bien peu de place à la discrimination, peu en importe la forme. Un esprit qui a plus en commun avec l'industrie de la psychologie populaire que l'académie.

L'évaluation sérieuse devient rapidement incompatible avec notre système d'éducation.

Quant à cette présidente que je ne connais pas, se peut-ils qu'on a encore affaire au type "marxiste en BMW"? Il-y en a beaucoup en éducation. Souvent bien instruites, ces personnes ont la fâcheuse habitude de mordre la main qui les a si bien alimenté.
On remarque aussi le lien de cette personne à l'U de Sherbrook. Je commence à me demander si ce n'est pas là le lieu d'où nous viennent toutes ces absurdités démagogiques.

Bonne chance (et merci) à l'enseignant Paquin.

Lia a dit…

Oh! Zut de zut, Prof masqué, vous anéantissez mes rêves; moi qui croyais que, si mes élèves de 5e avaient tous réussi l'épreuve unique,en juin dernier (à mon grand étonnement), c'était à cause de mes talents de pédagogue!

Reportons-nous à l'enseignement du français au primaire: ma fille est en 5e année. Elle est devenue une spécialiste des noms collectifs, composés, abstraits, communs et pluriels. Elle sait très bien les repérer dans un texte. Donnez-lui les mêmes mots à écrire de mémoire: il y aura 36 fautes. Elle n'a jamais de liste de mots à apprendre, jamais de concours d'épellation.
Il y a un mot dont je me rappellerai toute ma vie: "myosotis". Nous étions en finale du concours d'épellation des 2e années à l'école primaire. Il ne restait qu'une fille d'une autre classe et moi. J'ai raté "myosotis". Elle l'a eu et a gagné la jolie poupée (il y avait un camion Tonka pour les garçons).
Morale de l'histoire: je jouais encore à la poupée à 7 ans.
Non, mais, peut-on montrer à nos enfants à écrire au primaire et nous nous occuperons ensuite au secondaire de donner une meilleure forme à tout ça, à analyser, etc.

L'engagé a dit…

La Richard est d'un jovialisme malsain, je vous l'accorde, mais attention PM : «Et leur soif d'apprendre, leur désir sain de construire leur estime de soi»...

Qu'est-cé-ça : «construire son estime de soi»?
Comment peut-on volontairement vouloir construire son «estime de soi» sans être a priori un peu «matante coup de coeur Renaud-Bray psychopop»

Le concept est utile si on est le conseiller pour à la scénarisation chez Passe-Partout, mais sortez moi ce langage d'éducation spécialisée des écoles.

La construction de l'estime peut être le corolaire de l'acquisition d'un savoir et de l'instruction, mais elle ne peut-être une fin en soi.