Le Journal de Montréal présentait ce matin (ici et ici) une initiative pour contrer le décrochage scolaire chez les garçons et de nombreux commentateurs ont salué celle-ci comme s'il s'agissait d'un exemple de ce qu'il fallait faire en éducation.
Grosso modo, il s'agit d'organiser une soirée de lecture à l'école où uniquement des garçons et des adultes masculins seraient présents. On choisirait également de lire des oeuvres pour des gars. Honnêtement, je demeure très critique à l'égard de ce genre d'activités.
Le point positif qu'on peut y trouver est qu'il s'agit d'une façon, comme le dit la directrice de l'école du Bout-de-l'Isle, Nathalie Provost, qui «permet de rapprocher les pères et les fils à travers le thème de la littérature.» Pour le reste, de nombreux autres aspects sont questionnables.
Une mesure discriminatoire et qui ne tient pas compte de la réalité du décrochage
Tout d'abord, cette mesure est hautement discriminatoire en matière de décrochage. 26,1 % des garçons décrocheraient sans avoir obtenu la moindre qualification contre 16,5% de filles. Simplifions les choses: trois gars décrochent, on s'énerve. Deux filles décrochent et y'a rien là.
Dans la même veine, durant cette soirée, on créera tout ce qu'il faut pour susciter un sentiment d'injustice chez les filles: les gars pourront ainsi lire dans une classe, dans un corridor ou même dans le bureau de la directrice. Pourquoi de tels privilèges? Et pourquoi ces privilèges ne seraient pas offerts aussi à celles qui décrochent ou qui réussissent?
Comme me le confiait un jour une jeune élève dyslexique A qui travaillait fort pour réussir son cours de français et à qui on refusait un service d'aide: «Je ne suis pas assez mauvaise pour qu'on s'occupe de moi. Je devrais couler comme B qui ne se force pas pour réussir.» B, qui monopolise des ressources sans arrêt et qui se fout de l'école, en passant.
Stigmatisons les jeunes!
Ensuite, cette mesure crée une double stigmatisation. La première renforce l'image négative qu'on a des garçons à l'école en généralisant le portrait du décrocheur: c'est un gars. Or, les décrocheurs sont à 40% des filles.
La seconde, de façon plus pernicieuse, sous-tend que les filles et les femmes empêchent les garçons de prendre leur place dans une école. La preuve: il faut les exclure pour que les gars s'y sentent à l'aise. Dehors les méchantes castratrices! De là à ramener les écoles non mixtes, il n'ya qu'un pas. Et les filles qui décrochent, elles, suivant cette logique, sont-elles des garçons qui s'ignorent?
Toujours dans la joie, constatons également qu'avec cette initiative, on renforce l'idée que les garçons sont incapables de prendre leur place seuls à l'école. Les pauvres petits, on va les aider parce qu'ils n'y arrivent pas. On va même leur donner des privilèges spéciaux.
Coudonc, nos petits garçons sont-ils rendus si incapables de prendre leur place à l'école qu'il faille foutre les filles à la porte? Méchant constat d'impuissance! Les gars qui réussissent ne sont pas des hommes, mais des surhommes! À moins qu'ils ne soient des fifs, des traîtes au genre masculin.
Les livres de gars
Enfin, dernière généralisation: il faut des livres de gars pour nos gars. Et des livres de gars consistent en ceci: des bandes dessinées, des livres qui mettent en vedette des Vikings ou des mangas. Conclusion évidente: si un jeune lit autre chose, il n'est pas un gars, du moins pas un vrai.
Il faut souligner les efforts qu'on met de l'avant pour contrer le décrochage scolaire et intéresser les jeunes, tous les jeunes, à l'école. Mais quand une initiative reprend toutes les représentations stéréotypées d'une pub de Coors Light, je ne suis pas convaincu qu'on fasse de réels progrès, surtout quand on élargit notre regard sur l'éducation et qu'on vise à faire disparaitre les préjugés tenaces qu'on y retrouve et qui mènent à l'intimidation, par exemple.
La lutte au décrochage scolaire se doit d'être inclusive.
14 commentaires:
Je crois que les initiatives mises en place pour favoriser la réussite des garçons sont une bonne chose. Je crois toutefois qu'elles sont vouées à l'échec si elles se font contre les filles, en les excluant et les discriminant. Les directions qui mettent en place ce genre d'initiatives sont probablement certaines de faire œuvre utile pour les garçons. Toutefois, une petite formation sur les stéréotypes sexuels et sur les rapports à l'apprentissage (à la lecture et à l'école également) fournirait à ces directions d'autres solutions plus favorables à la réussite des garçons et non discriminantes pour les filles.
Sur le site du MELS, il y a de nombreuses expériences de lecture, tentées dans plusieurs écoles, qui sont porteuses d'une plus grande réussite pour les garçons (et pour les filles). Ces initiatives n'excluent pas les filles. Les directions d'école pourraient s'en inspirer.
Merci de votre éclairage.
C'est tellement un bon billet! Excellente argumentation!
Honnêtement, ce projet est pavé de bonnes intentions, mais c'est du gros doc Mailloux pédagogique.
Au risque de déclencher un Tsunami, je me lance:
Je ne crois pas que cette mesure se veut universelle. Il ne faut pas y voir des sous-entendus qui n'y sont pas. Il s'agit d'une mesure ponctuelle qui vise à faire vivre à une poignée de gars une expérience de lecture positive. Rien de plus. Et des fois, de leur dire que les filles ne sont pas admises, ça les fait sentir spéciaux. Pourquoi pas? Je ne pense pas que cela soit incompatible avec des club de lecture pour filles uniquement.
Il n'y a pas de solution universelle et parfaite. Si cela fonctionne pour certains jeunes tant mieux. Cela ne veut pas dire que les autres ne valent rien, mais qu'il faudra leur trouver un autre moyen. La multiplication des services, activités, projets, mesures, etc. c'est peut-être là la solution la plus sensée.
Mamzelle Z: on jase,vous savez.
Je trouve cette mesure révélatrice du climat général concernant le décrochage en éducation. Réductrice, généralisante.
Oui, vous avez raison, il s'agit d'une mesure ponctuelle et on n'a peut-être pas l'ensemble de tout ce qui se fait dans cette école. Par contre, la notion de littérature de gars et la reproduction de représentations sexistes ou généralisantes me désespèrent.
J'aimerais parler simplement de statistique.
Pourquoi cibler les garçons?
Il y a un un nombre x de victimes du décrochage. Il me semble que si on réduit ce nombre, on s'attaque aussi au décrochage des garçons, non?
Une mesure qui serait efficace pour les deux sexes serait efficace, point!
J'avais jamais réalisé à quel point c'est moron, et si des gars n'aiment justement pas ce côté un peu «macho» entre gars...
Cette discrimination renforce les stéréotypes plus qu'elle ne les combat.
Je souriais encore à la fin de votre billet. Vous reconnaissant bien à travers la lecture que je fais régulièrement de plusieurs d'entre eux. Le sursaut vient après. Votre dernier commentaire en est un qui aura réussi à me faire suffisamment réagir pour vous écrire ici. Vous dites qu'on n'inclut pas les gars à l'école si on doit exclure les filles de celle-ci. Qu'on n’inclut les gars dans rien, finalement. Je crois fermement en la différenciation des approches pédagogiques. Je crois aussi que tout est dans la manière. Mais je persiste surtout à croire que si chaque initiative, si louable soit-elle, est automatiquement démolie par des détracteurs qui (étonnamment) viennent brandir la sacro-sainte inclusion, aussi bien baisser les bras tout de suite et regarder béats les chiffres du décrochage parler d'eux-mêmes. Une idée qui doit être bien loin de la mission de sociabiliser de l’école québécoise? Mais cela dit et en tout respect, je vous laisse à vos sorties de gars, j'ai un film de filles qui m'attend.
Mme Lussier: la différenciation pédagogique a pour principe de se dérouler dans une même classe avec des élèves de tous genres.
C'est un peu ici comme si je disais vouloir faire une place aux élèves en difficulté en m'assurant qu'il ne soit pas en contact avec les autres élèves.
L'école comprend des filles, des enseignantes, des directrices... Affirmer faire une place aux gars en enlevant tous ces gens me semble bien contradictoire.
Si chaque initiative pour les gars est étouffée ou nécessairement contrecarrée par une initiative pour les filles dans le seul but de ne pas paraître masculiniste, on tombe dans un délire profond et on passe à côté de bien des choses.
Le milieu de l'éducation est loin de ne plus être féminisé. PMT nous l'a bien montré récemment. http://profmalgretout.blogspot.com/2011/04/monsieurs-legault-laide.html
Miss: ke problème n'est pas que ce truc soit une initiative pour les gars, c'est qu'elle est carrément mal foutue. Ce n'est pas parce qu'une intention est louable que le geste qui en découle est bon.
Tout ce que vous dites est très juste. Je crois que le vrai problème de beaucoup de garçons à l'école, c'est que la plupart des adultes qui y travaillent sont des femmes; les hommes ont massivement déserté les salles de classes, comme ils désertent depuis quarante ans les professions qui se féminisent, qui perdent leur "plus value sociale" ou qui deviennent plus difficiles et moins prestigieuses (médecine générale, par exemple). Idéalement, il devrait y avoir à l'école une parité hommes/femmes dans le corps enseignant et éducatif. D'ailleurs, ce serait très bon aussi pour les décrocheuses.
Je le dis en toute conscience : je suis une femme prof, comme 80% des adultes de l'école où j'enseigne. Alors, tous les hommes qui se tracassent du décrochage des petits mâles (en Belgique francophone, les garçons décrochent également plus que les filles) devraient bien décider qu'il est temps pour eux aussi, de retourner à l'école!
Curieusement, je ne sais pas pourquoi, je trouve que l'idée de rassembler des papas et des fils pour parler de leur lectures est une idée pas vraiment de gars...
Bon, ça ressemble à de la thérapie!
Je conçois que les gars peuvent apprécier se retrouver entre gars dans des activités plus typiquement masculines. J'ai des doutes sérieux au sujet de la viabilité de cette initiative.
Mais bon, je reste sidéré par la volonté collective de faire de beaucoup d'hommes des intellectuels malgré eux.
Enfin, je crois avoir remarqué dans des statistiques passées que le décrochage à ses taux est loin d'être une plaie nouvelle. Mais cette volonté de se faire du sang de cochon avec cette réalité l'est probablement.
Mais évidemment, offrir des milieux d'apprentissage qui conviendraient mieux à des jeunes qui aiment d'abord travailler de leurs mains n'est toujours pas discutables, probablement trop coûteux aussi.
C'est comme mes autochtones qu'on veut scolariser et aussi faire conserver leur culture tout en admettant pas que connaître un territoire et y chasser demande un temps fabuleux d'apprentissage qui ne se fera pas sur le banc d'école. La saison de la chasse à l'outarde, du piégeage, du caribou ne coïncide pas nécessairement avec les vacances estivales!
Une école même réforme avec tous ces volets ne peut pas répondre à tous ces jeunes qui se sentent incapables de rester tranquille à rien faire de leur dix doigts. L'école, pour cette partie des gars et aussi de plusieurs filles qui finissent par décrocher, a encore du chemin à faire. Pourtant, on a encore besoin d'énormément de coup de mains dans notre société!
Cher monsieur Masqué,
Je respecte votre point de vue et j'apprécie nos échanges constructifs. Je comprends que vous auriez préféré une initiative qui ne laisse personne de côté. Vous voyez en cette idée une stigmatisation des jeunes. J'y vois une occasion de valorisation pour les garçons trop souvent laissés-pour-compte. La différenciation se traduit pour moi par la reconnaissance et l'accompagnement de l'enfant dans ce qu'il est en tant qu'individu. Je milite pour le droit à la différence de tous genres confondus et surtout pour la reconnaissance de celle-ci. L'École est peuplée de plus de filles, enseignantes, directrices. Humblement, je ne crois pas qu'une initiative réservée exclusivement aux garçons les rendra plus fragiles puisque, l'espace d'une soirée, ils ne sont pas inclus dans la masse. J'y vois pour eux un possible intérêt nouveau pour l'école. Et pourquoi pas, avec ou sans stéréotype(s), une occasion de se forger leur propre conception du genre humain.
Ce problème n'en est probablement pas un de gamètes. Il manque d'ADULTES scolarisés et cultivés.
Trop d'amies, de matantes, de momans
et de petits baveux qui pense tout connaître.
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