06 septembre 2008

Les jeunes et la liberté d'aller à l'école

J'aurais pu intitulé ce billet «Only in America» parce qu'il aborde une nouvelle pratique éducative de nos voisins du Sud. Sauf que c'est l'opinion d'une universitaire québécoise qui est finalement très révélatrice dans cet article publié dans La Presse.

Dans le comté texan de Bexar, les adolescents de 15 à 17 ans qui manqueront l'école plus d'un mois et demi seront surveillés nuit et jour au moyen d'un bracelet GPS fixé à leur cheville. Une telle pratique existe déjà dans un comté voisin et aurait réduit le taux de décrochage de 95%. Une autre visée de cette initiative - qui coûtera environ 100 000$ et s'adressera à entre 50 et 75 jeunes - est d'éviter que ces derniers entrent dans les gangs de rue.

Au Québec, une telle approche est impensable, d'après la professeure de droit Violaine Lemay, spécialiste du droit de la jeunesse, de l'Université de Montréal: «Au Québec, un directeur d'école qui constate des absences répétées doit tout d'abord contacter les parents, puis ensuite seulement la DPJ, qui doit prouver que l'absence de fréquentation scolaire compromet la sécurité de l'enfant. La liberté des personnes est très protégée au Canada. Les jeunes ont aussi droit à l'égalité. Si l'employeur d'un adulte le soupçonne de ne pas travailler assez, il n'a pas le droit de le surveiller avec un bracelet GPS. C'est la même chose pour les jeunes et l'école.»

Permettez-moi ici quelques commentaires. Je n'ai jamais connu de cas d'élève absent référé à la DPJ. Entre la théorie et la pratique, je crois qu'il y a un écart incroyable.

Ainsi, j'ai eu un élève de cinquième qui manquait une à deux journée par semaine, avec l'accord de sa mère. Le gamin, extrêmement intelligent, aurait pu facilement poursuivre des études au cégep. Mais il travaillait et était le principal soutien financier de la famille. Signaler ses absences trop fréquentes à sa mère revenait à se faire engueuler vertement, même si on proposait le recours à différents services pour remédier à la situation financière difficile de cette famille dysfontionnelle.

Ensuite, ma CS a équipé tous ses véhicules de service de GPS afin de surveiller ses employés des ressources matérielles. Il en est de même avec certains cols bleus de la ville de Montréal. On fait indirectement ce qu'on ne peut pas faire directement.

En fait, au Canada, les jeunes ont beaucoup de liberté, dont celle de demeurer ignorants. Sans verser dans la nostalgie et tout en étant conscient que je généralise un peu, autrefois, les bracelets GPS étaient davantage constitués de certains parents qui ne toléraient pas des jeunes oisifs et désoeuvrés. Il y avait certaines valeurs et un réseau familial ou social qui poussait le jeune à aller à l'école alors qu'aujourd'hui, on les laisse stagner dans des sous-sol de maison à jouer au X-Box. Les parents sont débordés, dépassés. La société de consommation, avec ses valeurs de satisfaction immédiate de plaisirs faciles et standardisés, réduit d'autant les notions d'effort et de persévérance.

Ne pensez pas que je prône la contrainte et l'asservissement à l'école mais, en instaurant l'instruction obligatoire, je ne me demande si on ne doit pas accepter que certains jeunes décrochent.

Mme Lemay aborde un peu ce sujet: «L'école n'est pas nécessairement faite pour tout le monde. Avant, seulement les élites y avaient accès, maintenant tout le monde doit y aller. Les jeunes hyperactifs qui auparavant excellaient dans les champs se retrouvent enfermés dans une classe. Ça me fait penser à La fortune de Gaspard, de la comtesse de Ségur: un paysan décidait que ses deux fils le deviendraient aussi, ce qui rend très malheureux le fils qui aimait l'école; puis il se revire de bord, et décide qu'ils iront tous deux à l'école, ce qui rend malheureux le fils qui aimait les champs.»

On doit poursuivre l'atteinte de certains idéaux, par exemple celui de la réussite du plus grand nombre, mais j'en ai un peu marre de cette école que se définit toujours en fonction de jeunes qui ne seront pas intéressés par quoi que ce soit, de toute façon. Je ne sais pas. Sauf qu'actuellement, le programme de formation actuel avec son caractère uniforme, ne convient pas à tous les enfants. En voulant faire un seul modèle d'école s'adressant à tous les jeunes, je me demande si on ne fait pas une école pour personne. On est passé d'une tyrannie à une autre, quant à moi.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Billet intéressant, bien ciblé, bien mené.

Qu'est-ce que la liberté. Qu'est-ce que l'éducation.

J'ai fait une série de billets autour de la commission au dépanneur du tailleur-bouché/er et ces deux concepts y sont. Si un jour ça t'intéresse...

Zed

Anonyme a dit…

J’ai lu cet article dans La Presse, j’ai lu aussi celui où l’on parlait du port d’armes par les enseignants en classe … pour contrer la violence. Tout ça se passant dans l’État du Texas. J’en ai d’ailleurs glissé un mot sur mon blog,(De gré ou de force?) mais de façon beaucoup moins élaboré que vous.

Peut-on parler de « pratique éducative » lorsqu’il s’agit de contraindre des ados à rester assis enchaînés à leur pupitre?
Le but semble être que ces jeunes ne se retrouvent pas dans des « gangs de rue ». La méthode est plus que douteuse.
Je ne crois pas qu’une approche aussi répressive, dans le non-respect des personnes puisse donner un résultat valable. Et heureusement que « cette approche est impensable au Québec ».
Je ne vois pas clairement où vous vous situez dans ce débat. Je partage cependant votre point de vue sur « le programme de formation actuelle et de son caractère uniforme qui ne convient pas à tous les enfants ». Il ne s’agit pas de remettre en question la loi sur l’instruction publique qui a rendu l’école obligatoire, mais comme vous le dites, tout ça implique le décrochage scolaire. Faut-il l’accepter ou plutôt chercher comment le contrer, autrement que par des méthodes aussi répressives?
À valoriser la performance à tout prix, les études poussées (la trigonométrie n’est pas d’intérêt universelle), on s’éloigne des objectifs que visait la loi sur la scolarisation.
Mais le problème est évidemment complexe et comporte bien des volets.

Hortensia a dit…

Si tu ne l'as pas encore vu, je te recommande vraiment le film Le banquet (de Sébastien Rose) qui vient de sortir. Le réalisateur y pose des questions essentielles sur l'éducation, entre autres sur la fréquentation obligatoire et ses conséquences.

unautreprof a dit…

Billet très pertinent qui porte à réfléchir.

bibconfidences a dit…

J'ai déjà écrit à quelques reprises sur l'importance de valoriser les métiers pour les jeunes. Mais Madame Courchesne ne m'écoute pas. Surprise.
Non, tous les jeunes ne sont pas à leur place dans une salle de classe à étudier la subordonnée relative et les graphiques.
J'ai enseigné en Abitibi au secondaire, en insertion sociale et professionnelle des jeunes...Plus ils restaient d'années à la polyvalente plus leur estime d'eux-mêmes et leur espoir en une vie meilleure diminuaient.
Patrick Moreau qui vient d'écrire ce petit livre que je vais lire avec intérêt y explique pourquoi les jeunes sont ignorants. Il l'a lui-même admis en entrevue à la radio; les jeunes qui viennent d'une famille aisée réussissent bien, ce sont les autres, ceux issus des familles où la vie n'est pas facile qui en arrachent. Encore une fois, Ô surprise. (Ton laconique) Le prof ne remplacera jamais un milieu familial riche intellectuellement et stimulant.
L'article de Michèle Ouimet dans la Presse était aussi très intéressant. Je suis d'accord avec vous PM, peu importe toutes les bouffonneries qu'un prof pourra employer pour enseigner la grammaire, certains jeunes voudront toujours être ailleurs que devant lui.
Cette année je devrai composer avec une classe multi-âge et un jeune qui n'est pas à sa place dans une classe régulière. J'ai déployé pour lui 50% de mon énergie dès la première semaine et diminué mes projets d'enseignement tout autant...Tout ça pour un. C'est moche.

Sylvain a dit…

Très intéressante piste en fin de billet sur l'uniformisation à tout prix... À réfléchir et/ou méditer...

Le professeur masqué a dit…

Zed: parfois, le mieux est l'ennemi du pire. Honnêtement, je ne sais plus que penser de ce réseau de l'éducation. On confond égalité des individus avec égalité des chances, réussite du plus grand nombre avec nivellement, équité avec standardisation, liberté et droit à l'abrutissement.

Caboche: les mots «pratique éducative» sont teintés d'ironie. Tout comme vous, je m'interroge sur cette volonté d'instruction obligatoire. Parfois, comme vous pouvez le lire dans ma réponse à Zed, je ne sais plus.

Hortensia: je songe à aller le voir. Des volontaires pour m'accompagner?

Un autre prof et Sylvain: merci à vous. J'ai une petite gêne....

Bibco: je vais lire Moreau même si un bref survol me permet de dire qu'il n'avance rien de bien nouveau. Pour Ouimet, le texte est savoureux, en effet. Vous avez une adresse dourriel?

bobbiwatson a dit…

L'école n'avisera pas la DPJ dans les cas d'absences nombreuses et régulières : il lui faut acheter la paix et bien paraître aux yeux des parents :(
L'école n'a jamais été faite pour tout le monde. Avant, dans les temps anciens (!) le jeune qui ne finissait pas sa douzième année pouvait aller sur le marché du travail sans problème et y être heureux. Aujourd'hui, on exige un secondaire 5.
J'imagine les jeunes affublés d'un GPS lorsqu'ils en seront libérés !!!! Ouach! Ça s'ra pas beau !!

A.B. a dit…

Excellent billet, professeur masqué. La conclusion me rejoint. L'éducation de force, je n'y crois pas. C'est en effet un beau mensonge de société que de se faire croire que tous les enfants/jeunes sont scolarisables.

Je ne savais pas que les véhicules de fonction des employés des ressources matérielles de notre c.s. étaient munis de GPS. Ça explique en partie pourquoi c'est devenu une gestion à la Big Brother chez nous.

bobbiwatson a dit…

J'ai vaguement entendu parlé d'un projet pilote dans une école pour pouvoir utiliser l'alcootest auprès des élèves. Le directeur pourrait l'utiliser "avant une danse" pour écarter les indésirables et l'utiliser aussi dans les cas des élèves qui "sembleraient un peu perdu" pendant les cours. Ça et un GPS : belle équipe de surveillance, non?