12 décembre 2010

Système scolaire québécois : de la fierté mal placée

Depuis quelques jours, si vous êtes un lecteur de ce blogue, vous avez sûrement remarqué certains échanges à propos des résultats des Québécois aux derniers tests PISA.

Une partie de mes diverses réactions est reliée à cette lettre signée par divers universitaires qui indiquent qu'on doit être fier du système d'éducation québécois. J'y reviendrai un peu plus loin dans ce billet, mais faisons tout d'abord un tour d'horizon des tests PISA et des résultats québécois.

Les tests PISA

Je ne ferai pas ici une longue description des tests PISA et me bornerai à recopier cet extrait tiré d'un article du Devoir qui résume assez bien la chose.

«Critiqués par plusieurs experts, les classements PISA (Program for International Student Assessment) sont devenus la bible de nombreux ministres de l'Éducation dans le monde. Ils sont administrés dans 65 pays tous les trois ans à 470 000 jeunes de 15 ans quel que soit leur parcours scolaire. L'enquête est publiée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui regroupe 34 pays parmi les plus développés du monde. Les tests ne mesurent pas les savoirs, mais quelques habiletés de base en lecture, en mathématiques et en science. Habiletés qui, disent les chercheurs, permettent de participer de manière «productive à la vie» dans un «univers mondialisé». Cette année, les tests ont mis l'accent sur la lecture, notamment sur ordinateurs (digital texts) plutôt que de livres ou d'imprimés.»

«Utilisés par certains gouvernements pour définir les politiques en éducation, les tests PISA ont souvent été critiqués parce qu'ils n'évaluent que certaines compétences de base, mais aucun savoir. Comme ils ne recoupent qu'une mince partie des programmes scolaires, «on ne peut pas considérer que PISA évalue la qualité globale de notre système éducatif», écrivait le mathématicien français Antoine Bodin qui rejette l'idée d'un classement entre des systèmes scolaires aussi différents.»

On comprend donc que ces tests ne mesurent pas des connaissances, mais des compétences. Un élève français, qui est déclassé par un jeune Québécois, peut donc avoir une culture générale et historique cent fois plus étendue, mais ces tests ne tiendront pas compte.

Tests PISA et les élèves québécois

Une petite parenthèse quant à l'échantillon des élèves québécois qui ont participé à ces tests PISA.

Premièrement, comme je l'ai mentionné dans un billet précédent, cet échantillon comprend une légère surévalution d'élèves performants.

Deuxièmement, j'ignore si les tests PISA prennent en compte le taux de décrochage scolaire. Au Québec, depuis 1998, il s'établissait à 22,5% comparativement à 15% dans les autres pays de l'OCDE. Si on ne tient pas compte de cette variable, voilà une façon incroyable de «buster» des résultats.

Si un lecteur de ce blogue veut éclairer ma lanterne à ce sujet, je lui en serais très reconnaissant.

Comment qualifier ces résultats?

Or, que remarque-t-on quant aux résultats des jeunes Québécois depuis 2000? Ceux-ci sont stables ou connaissent une légère baisse si l'on se fie à cet autre texte du Devoir.

«L'enquête, qui a fait de l'évaluation des compétences en lecture sa priorité en 2009, tout en comparant les résultats avec ceux de 2000, révèle que les scores de lecture ont diminué de façon significative dans cinq des dix provinces canadiennes, soit à l'Île-du-Prince-Édouard, au Manitoba, au Québec, en Saskatchewan et en Alberta. Un examen par province démontre également que la proportion d'élèves très performants a diminué de 5 à 12 points de pourcentage dans sept des dix provinces, et le Québec en fait partie.»

Mais voilà mon premier dilemme: peut-on rattacher ces résultats à la réforme qu'a connue le Québec? En effet, bien des gens indiquent que la réforme ne s'est pas véritablement rendue jusqu'au secondaire. Si tel est le cas, on doit donc blâmer les méthodes actuellement utilisées dans nos classes et les revoir. Mais si ce n'est pas le cas et que la réforme est bien implantée, on doit nécessairement s'interroger sur les méthodes préconisées par celle-ci, non?

Par ailleurs, quand on entreprend une réforme des méthodes d'enseignement, on le fait normalement pour que cela se traduise sous forme de progrès. Or, aux tests PISA, le Québec se maintient. On pourrait alors tout aussi bien affirmer qu'il stagne parce que les efforts, le temps et l'énergie investis dans le cadre de ce Renouveau n'ont pas donné de résultats positifs significatifs supplémentaires.

Il faut être complètement déconnectée de la réalité pour écrire un texte intitulé «Enfin du bon de la réforme» alors que, dans les faits, les résultats des jeunes Québécois se sont simplement maintenus, quand ils n'ont pas tout simplement régressé.

De même, comme je l'ai mentionné, on ne peut que sourciller quand on lit un texte intitulé «La réforme contesté mais efficace» où l'on explique que «La fameuse réforme de l'éducation n'aura finalement pas été si néfaste pour les jeunes Québécois.» Restons dans la pensée positive et citons le président de la Centrale des syndicats du Québec, Réjean Parent: «On est obligé de constater aujourd'hui que la réforme n'a pas produit une génération de cancres.» Elle n'a pas non plus tenu les promesses de réussite qu'elle avait faites. Et on ne parle même pas du décrochage scolaire!

Soyons fiers de notre système scolaire québécois?

Tout cela m'amène à cette lettre signée par de nombreux universitaires québécois, dont je sais que quelques-uns ont fait la promotion du Renouveau pédagogique.

Peut-on être fier du système scolaire québécois? Oui et non.

Chose certaine, on pouvait sûrement être plus fiers encore en 2000 quand les résultats québécois de l'époque étaient supérieurs à ceux d'aujourd'hui. Pour le plaisir de la chose, citons le ministre de l'Éducation de l'époque, François Legault, qui déclarait alors: « Autant en lecture, en mathématique qu’en sciences, les jeunes du Québec sont dans le peloton de tête et se situent parmi les meilleurs dans les pays de l’OCDE. Nous pouvons être fiers d’eux, de leurs enseignants et du système d’éducation qui les a amenés à réaliser une pareille performance.»

Mais où étaient donc certains des signataires de cette lettre à l'époque? En train de dénigrer le système scolaire, qui a pourtant produit les meilleurs résultats obtenus par les élèves québécois aux tests PISA, pour le remplacer par un autre – sous l’égide du Renouveau pédagogique - qui ne se révèle finalement pas meilleur. Qui plus est, cet état de fait est d’autant plus décevant que les tests PISA mesurent des compétences, une des bases de cette réforme. Comment peut-on alors être fiers de notre système scolaire si nos élèves ne sont pas meilleurs aujourd’hui après tous ces changements qui auraient dû normalement les avantager?

Que nous disent maintenant les signataires de cette lettre? Qu'ils sont des «universitaires fiers de leur école compétente». Cette désignation est très révélatrice, on le verra. Contrairement au ministre Legault, pas un mot à propos d'une fierté qu'on pourrait éprouver à l'égard des élèves et de leurs enseignants. Tout le mérite semble revenir à un système, à des structures, à des programmes.

Ne soyons pas dupes: derrière cette lettre se cache en fait un réquisitoire pour maintenir les bases du Renouveau pédagogique. Point à la ligne. Ainsi, ces universitaires condamnent ce qu'ils appellent «le recul sur le bulletin unique» et le retour au redoublement, par exemple. Ils dénoncent également l'argent dépensé pour ramener ces mesures: «Or, cette dépense est démesurée. Tout le branle-bas de combat pour mettre en oeuvre un bulletin unique ne laisse plus de place à la recherche de moyens pour aider les élèves en difficultés, par exemple.»

Pourtant, un léger recul historique nous apprend que les résultats des élèves québécois étaient sensiblement supérieurs avant l'implantation de la réforme défendue par ces universitaires. Qui plus est, ces réformes, qui préconisent une approche par compétence, aurait dû normalement se traduire par de meilleurs résultats, ce qui fait qu'on puisse parler de résultats qui stagnent.

Par ailleurs, il faut un certain culot pour demander qu'on cesse de dénigrer le système actuel tel que réformé. Un certain culot parce que certains des signatures de cette lettre n'ont eu de cesse de dénigrer le système scolaire précédent qui donnait pourtant des résultats somme tout similaires ou supérieurs à celui d'aujourd'hui en terme de tests PISA. Les «bonnes vieilles méthodes», comme ils les qualifient en dévalorisant le travail du personnel scolaire, pourtant professionnel de l'enseignement, semblaient ne pas s'en tirer trop mal, finalement.

Comment peut-on également dénoncer l'argent dépensé pour élaborer et implanter un bulletin unique alors que le MELS, sous la férule de certains pédagogues universitaires avec lesquels ils ont tout au moins des affinités, a carburé pendant treize années sur des bases pédagogiques qui n'ont pas tenu leurs promesses de réussite? On parle ici rien de moins que de milliards de dollars investis en formation ou en achat de livres et de matériel. Quand ces signataires invoquent l'idée qu'il faudrait consacrer ces sommes «à la recherche de moyens pour aider les élèves en difficultés, par exemple», faut-il leur rappeler que le nombre de ceux-ci n'a jamais été aussi important tout comme celui des décrocheurs alors que le renouveau se targuait d'être une solution à ces problèmes? Que de drames scolaires et humains aurait-on pu régler si on n’avait pas gaspillé tant d’énergie et d’argent pour si peu ?

Pour toutes ces raisons, je crois que la fierté dont parle cette lettre n'en est une que de parure. Je suis également d'avis ceux qui l'ont signée et qui ont contribué par leurs efforts au Renouveau pédagogique devraient, à défaut de questionner l'efficacité de leurs actions, ne pas revendiquer indirectement des succès dans lesquels leur mérite est bien relatif. Enfin, ces signataires auraient dû avoir l’honnêteté intellectuelle de ne pas utiliser les résultats des jeunes Québécois aux tests PISA pour promouvoir et justifier des idéologies pédagogiques qui sont loin d'avoir fait leurs preuves.

14 commentaires:

steve bissonnette a dit…

vous devriez faire parvenir ce texte aux journaux!

Le professeur masqué a dit…

En route...

Et pour les décrocheurs? En tient-on compte?

Jacques Tondreau a dit…

Comme je l’ai écrit sur un autre blogue, Pisa mesure une chose, les taux de diplomation au Québec en mesure une autre. La première mesure donne un portrait positif, l'autre une image moins reluisante.

Pisa évalue les jeunes de 15 ans p/r à des énoncés généraux qui ne sont pas directement en lien avec ce qu’ils apprennent dans les écoles. Les épreuves uniques (tests nationaux au Québec qui permettent de déterminer les taux de diplomation) vérifient les acquis des élèves p/r à des savoirs et compétences étudiés et développés au cours de leur scolarité, donc une mesure direct de ce qu'ils savent et maîtrisent.

Ainsi, face à des énoncés généraux qui sont les mêmes pour tous les élèves de tous les pays testés (Pisa), les élèves québécois s’en tirent très bien. Face aux savoirs et compétences qu’ils doivent maîtriser à la fin de leurs études secondaires (épreuves uniques), là les choses se gâtent un peu.

Donc, si on regarde Pisa et uniquement que cela, force est de constater que les élèves québécois font effectivement très bien. Il n’est pas possible de raccrocher Pisa à la question de la réforme car ce ne sont pas les connaissances et compétences acquises dans le cadre des programmes scolaires (réformés) qui sont évaluées.

Pisa est une vision désincarnée de ce que les jeunes savent ou ne savent pas. Pour avoir une vision incarnée, qui tient compte de ce que les jeunes ont acquis ou pas dans notre système d’éducation, c’est le taux de décrochage ou le taux de diplomation qui est la mesure à prendre en compte. Et sur ce dernier point, je comprends que plusieurs intervenants au Québec soient inquiets.

Mais en même temps, il ne faut pas pousser trop loin l’inquiétude, sous peine de tomber dans le ridicule. La situation du décrochage n’est pas si dramatique que nous laisse le croire les médias d’information-spectable. Certes, avant 20 ans, 18 % des jeunes n’ont pas encore de diplôme d’études secondaires (selon les données revues et corrigées par la MELS 2008-2009). Cependant, bien des jeunes raccrochent à l’école après cet âge, ce qui fait que le taux de décrochage au Québec chute passablement par la suite pour se situer autour de 11 %.

Et pour le décrochage, comme on évalue les jeunes de 15 ans, la question est peu pertinente, elle le devient vraiment après 15 ans.

Anonyme a dit…

Prof masqué, vous êtes en feu cette fin de semaine!

Smeugd

Le Grand Flanc Mou a dit…

Wow, je m'attendais pas à un tel texte! Chapeau bas!

Je suis de l'avis de Steve Bissonette, c'est un texte à envoyer aux journaux!

Ce qui me fait littéralement ch... dans toutes ces histoires, c'est la malhonnêteté intellectuelle derrière les chiffres.

Par exemple, qu'on vient nous faire croire que ça représente les étudiants québécois de 15 ans, quand seulement 2% de ceux-ci ont passé le test. Les décrocheurs (près de 30%) ne sont pas dans l'échantillon de base et près de 30% des écoles ont refusé de faire passer le test à leurs élèves.

Supposons que dans le 30% des décrocheurs, 10% ont 15 ans (c'est pas mal l'âge moyen des décrocheurs). Ce 10% + 30% des écoles qui n'ont pas fait passer le test (on s'entend qu'une école avec une bonne cote n'a pas de raisons de refuser...), ça veut donc dire, que l'échantillon de départ ne représente que 60-70% des jeunes de 15%.

Déjà en partant, les résulats sont faussés, puisque tous ceux qui réussissent moins bien ont été écartés de l'échantillon de départ.

Ensuite, on ne fait passer le test qu'à un tout petit nombre des élèves restants (seulement 2% de tous les jeunes de 15 ans ont passé le test)

Bref, c'est de la malhonnêteté pure et simple de seulement penser que ces résulats puissent représenter, un tantinet, la réalité.

Le Grand Flanc Mou a dit…

Je viens de me rendre compte que je vous ai confondu avec le Professeur Solitaire, mes excuses!

Vous deviez vous demander pourquoi je disais que je ne m'attendais pas à tant ;)

Ça change absolument rien dans mon commentaire par contre ni au fait que vous devriez envoyer ce texte aux journeaux ;)

Anonyme a dit…

Et rebelote ce matin, lundi, dans Le Devoir : même lettre d'opiniâtre opinion, mêmes signataires, même lobby.

Marc St-Pierre a dit…

Bonjour Masqué,

Si ça peut vous aider, le taux annuel de sortants sans diplôme (re: le % de décrccheurs)est relativement peu élevé à l'âge de 15 ans. L'obligation de fréquention scolaire y est sûrement pour quelque chose. C'est plutôt à compter de la 4e et de la 5e secondaire que les choses se gâtent. Donc, probablement peu d'impact sur les résultats au PISA des élèves de 15 ans. Si on avait un test comparable, mais admionistré à 17 ans, alors là, on sentirait probablement un effet à la hausse des résultats.Quoique rien n'est simple.

Anonyme a dit…

A titre de référence, j'ai trouvé, en furetant à gauche et à droite, un exemple de test PISA tel qu'administré aux élèves avec corrigé (http://www.educ-eval.education.fr/pisa4.htm).

Allez-y voir : je vous assure qu'il n'y pas de quoi se péter les bretelles.

Paul C. a dit…

La lettre en question est symptomatique de bien des maux. Elle est presque caricaturale de la position des signataires.

Symptome 1 Québec=fier alors un groupe de fie(è)r(e)s québécois et québécoises se devait de s'affirmer. Merci à toutes et tous!

Symptome 2 La Finlande, "tourisme pédagogique" et les TICs nous font
rêver à l'idée d'un Ministère du commerce, du développement, du loisir, du sport et de l'éducation.

Symptome 3 Either your with us or you're with the enemy. Ici, critiquer devient vite dénigrer. Il faut célébrer et être fier - voir symptome 1.

Symptome 4 L'évaluation devrait éviter de porter des jugements sur les individus. On accuse ici le bulletin de ne pas favoriser la réussite du plus grand nombre. Drôle d'intention à prêter à un bulletin mais si on parvenait à en développer un, imaginer les revenus du tourisme pédagogique!

Symptome 5 Il existe un dénominateur commun à presque toutes ces signatures...

Quelle curieuse lettre.

Le professeur masqué a dit…

Profquifesse: comme je ne suis pas un universitaire, ma lettre envoyée aux médias sera lettre morte... Pour l'exemple de test PISA, je partage votre avis.

M. St-Pierre: merci de cette information.

Paul C: curieuse lettre, je suis d'accord.

Le professeur masqué a dit…

Paul C: dans le fond, je trouve malhonnête que des universitaires, pour vanter leur réforme, nous disent qu'il faut être fier d'être moins bon qu'il y a dix ans. Et qu'en plus, ils le fassent avec les tests PISA pour lesquels j'éprouve de plus en plus comme un recul...

Jean-Pierre Proulx a dit…

Luc Papineau a collé-copié le texte du Professeur Masqué ce matin dans Le Devoir.

Mauvais exemple à ces étudiants!

Pour une école libre a dit…

Le taux de décrochage pour les 15 ans est d'environ 7 à 9 % au Québec (selon les années). Que je sache on ne tient pas compte de ce chiffre dans les résultats. (En Allemagne le taux de décrochage est quasi nul: l'administration publique envoie des lettres aux parents des enfants absents et parfois la police vient à la maison... Voir les histoires d'horreur des parents éducateurs à la maison.)


Voir Statistiques Canada pour le taux de décrochage dans les provinces.

Le taux de répondants au Québec est aussi un des plus bas au Canada (environ 70%) de mémoire. C'est principalement dû au fait que les parents doivent donner leur aval apparemment. On nous dit que cela n'a pas d'impact sur les valeurs testées (après évaluations socio-économiques des non-répondants), mais je n'ai pas vu l'intervalle de confiance diminuer à cause de ce faible taux de réponses ce qui est quand même étrange.

(Les résultats de l'Allemagne à PISA 2000 avaient fortement changé après que l'Allemagne ait élargi le nombre d'écoles participantes, l'échantillonnage est donc bien crucial et les méthodes de redressement statistique ne sont pas infaillibles. J'ai donc des doutes quant au fait que le grand nombre de non-répondants n'ait aucun effet.)