Le torchon de Benoit Aubin
Personnellement, Benoit Aubin a écrit le texte le plus insultant des trois. S'il demeure prudent en ce qui a trait aux accusés, il se livre à un procès en règle des intervenants dans ce dossier.
«Des professeurs, la direction de l'école, un centre d'accueil pour femmes en détresse, des travailleurs sociaux, la DPJ, la police de Montréal, avaient tous été alertés, souvent par les filles elles-mêmes. Mais leur «cas» aura finalement passé au travers des mailles du filet social comme un caillou dans la neige, jusqu'à leur mort tragique au fond du canal Rideau. [...] Aujourd'hui, les filles sont mortes, et j'imagine qu'il y a tout plein de gens qui doivent être sincèrement désolés d'avoir «échappé» une situation qui semble pourtant aujourd'hui tellement flagrante. [...] Mais aucun de ceux qui ont témoigné à ce procès cette semaine n'a formulé le moindre regret, la moindre excuse.»
On verra que l'école n'a échappé quoi que ce soit dans ce dossier, contrairement à ce qu'affirme de façon incohérente M. Aubin. Alors qu'il écrit qu'il «serait trop facile de jouer les gérants d'estrade» et nuance à la sauvette ses propos, ce chroniqueur ne propose aucune solution pour remédier à la situation qu'il dénonce. Facile, incohérent, maladroit, mal écrit...
Martineau et le relativisme culturel
Dans le même journal, Richard Martineau se demande plutôt si «on module notre jugement selon l'appartenance ethnique, religieuse et culturelle des personnes», la famille Shafia étant de pratique musulmane assez stricte, du moins en ce qui a trait aux parents et à un de leurs enfants. Il n'affirme pas: il se questionne.
À mon avis, tout a été fait dans les normes si on se fie à ce que j'ai pu lire. L'appartenance religieuse n'a rien changé aux interventions de l'école et de la DPJ. C'est un autre élément, on le verra, qui explique que certaines démarches n'ont pas pu aller plus loin.
Yves Boisvert: un peu décevant
Habituellement, ce chroniqueur de La Presse livre des propos éclairants et intéressants. Dans le cas qui nous préoccupe, je suis resté sur ma faim. Il demeure néanmoins que c'est ce dernier qui pose la bonne question: «Pourquoi la DPJ n'a-t-elle pas retiré les enfants Shafia de leur foyer?» D'ailleurs, le titre de son texte annonce clairement ses couleurs: «Les Shafia et la DPJ».
Tout d'abord, M. Boisvert montre qu'il suit le dossier Shafia en rapportant les actions concrètes posées par l'école.
- Une enseignante observe une marque de violence sur l'une des filles Shafia. («Antonella Enea, enseignante, a dit jeudi avoir remarqué une marque sur la main de Sahar. C'était un coup de ciseau donné par son frère, avait-elle dit.»)
- La même enseignante établit un contact avec cette enfant et s'informe de sa situation. («Sahar lui avait confié avoir tenté de se suicider.»)
- Il y a une rencontre avec les parents. («Mme Enea avait dû faire venir les parents Shafia pour leur expliquer que la Loi sur l'instruction publique les obligeait à envoyer leurs enfants à l'école les parents retenaient parfois Sahar, pour ne pas qu'elle fréquente des garçons.»)
- L'école a signalé ce cas à la DPJ. («Bref, il y avait amplement de quoi faire un signalement à la protection de la jeunesse. Ce qui fut fait en 2008.»)
Ensuite, M. Boisvert rapporte aussi la peine ressentie par les intervenants de l'école quant à cette horrible tragédie:
«On sentait une sorte de malaise et une grande tristesse dans le témoignage des professeures cette semaine. Ce sont elles qui ont pris l'initiative des plaintes. Qui ont recueilli les confidences de Zenaib ou Sahar, souvent en pleurs. Elles ont essayé de les aider, leur ont dit qu'elles n'avaient pas à accepter la violence chez elles.»
On est loin des jugements à l'emporte-pièce du très subtil et éclairé Benoit Aubin...
Là où je suis cependant déçu du texte de M. Boisvert est qu'il m'a habitué à aller plus loin que de rapporter les faits et les analyser.
Mon questionnement
Les trois chroniqueurs s'entendent sur les difficultés pour la DPJ à aller de l'avant avec une plainte alors que les enfants Shafia ont changé leur version une fois le signalement effectué.
La première question est de savoir s'il est normal que ces enfants aient parfois été interrogés par la DPJ et les policiers en présence de leurs parents, comme le souligne à juste titre Yves Boisvert. Une telle façon de fonctionner devrait être tout simplement interdite. C'est comme interroger une victime de viol devant son assaillant!
La seconde est de se demander pourquoi les services policiers et la DPJ n'ont pas poursuivi leurs démarches malgré le changement de version des enfants Shafia. À moins que je ne me trompe, dans le cas de violence conjugale, par exemple, on ne peut retirer une plainte une fois qu'elle est déposée. Pourquoi est-on plus «précautionneux» dans ce genre de situation que dans celui de la violence faite à des enfants? Il y a des changements de mentalité à effectuer et ceux-ci devraient peut-être être appuyés par des modifications à la loi ou à certains règlements.
Enfin, un dernier point. Je connais plusieurs enseignants qui ont effectué des signalements à la DPJ. Ceux-ci ont été classés parce que les enfants, comme dans le cas Shafia, ont changé leur témoignage. Dans d'autres cas, et c'est particulièrement troublant, parce que la famille a tout simplement déménagé dans un autre territoire administratif, entrainant ainsi la fermeture du dossier. Et comme il n'y a pas de suivi efficace entre les différents territoires administratifs de la DPJ, les cas «limites» ou peu documentés disparaissent simplement... laissant le beau jeu aux parents abuseurs.
1 commentaire:
Vous touchez deux points fondamentaux: 1- les pratiques de la DPJ comme celle de la confrontation avec les parents incriminés 2- la faiblesse ou l'absence de suivi. Ma soeur enseignante après avoir avoir faite un signalementt a été contredite par la mère de son élève prétendant que son nouveau conjoint était simplement affectueux envers sa fille. Le dossier a été alors rapidement fermé.
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