18 juin 2007

Le rapport Berger et le gros mensonge de la correction

Le rapport Berger a fait couler beaucoup d'encre dernièrement. À cet effet, j'ai reçu un commentaire de Benoît que je remercie et que je vous retranscris ici:

«Ledit M. Berger faisait partie des enseignants superviseurs lorsque j'étais correcteur de l'EUF. Je l'aimais bien, il était d'ailleurs celui qui recueillait les perles trouvées dans les copies des étudiants. Par la même occasion, je ne suis pas très supris de lire les conclusions du rapport qu'il a préparé : lorsqu'il révisait la correction des copies des élèves en échec, il appliquait déjà ce genre de démarche (à notre grand désarroi d'ailleurs).»

Depuis une semaine, les journaux ont reçu plusieurs lettres qui appuient le mode de correction holistique. Toutes mentionnent le fait qu'actuellement, si un étudiant de cégep fait plus de 30 erreurs dans un texte de 900 mots, il échoue ce qu'on appelle l'épreuve uniforme de français. Or, cette information est fausse ou, si l'on veut être plus diplomate, inexacte. C'est s'il perd 30 points que l'élève échoue et ces 30 points sont étrangement comptés.

Ainsi, si on consulte le guide de correction de cette épreuve, on s'aperçoit qu'il existe une liste d'exceptions qui permet à un étudiant de dépasser allègrement ce nombre de fautes.
  • Les erreurs de ponctuation sont considérées comme des demi-fautes et on ne les compte plus après 20! Donc, un étudiant perd un maximum de 10 points, peu importe sa maîtrise de la ponctuation.
  • On ne compte qu’une erreur pour tout le texte pour l'oubli des deux-points devant une citation ainsi que l’absence de guillemets au début et à la fin d’une citation.
  • Les erreurs d’accents et de majuscules comptent pour une demi-faute et on ne compte pas d’erreur pour l’absence ou la présence erronée d’un accent quand le mot est bien orthographié ailleurs dans le texte.
  • Une faute d’orthographe d’usage ne peut être comptabilisée qu’une seule fois. Et cette règle s'applique aussi pour les expressions toutes faites comme «figures de style». Si l'élève met un s à style 20 fois, il n'y a qu'une seule erreur.
  • Si un mot mal orthographié appartient à un groupe de mots comportant une erreur de syntaxe, la faute d’orthographe ne sera tout simplement pas comptée, l’erreur de syntaxe ayant priorité sur l’erreur d’orthographe. Il n'y a qu’une erreur lorsque tous les mots d’un groupe régis par une même règle d’accord ne sont pas accordés comme il le faut. «Les erreur fréquente» : une seule faute. Une seule erreur pour les participes, les infinitifs ou les verbes conjugués coordonnés ou placés dans une énumération quand ils ne sont pas orthographiés correctement. «Ils ont écrits, corrigés et relus leur texte» ne vaut qu'une seule faute.Etc.

Si l'on comprend qu'il existe une certaine logique dans ces raisonnements, moi, je n'arrive plus à suivre cette logique généreuse quand je me rappelle qu'un finissant du collégial a droit à un dictionnaire, une grammaire et un recueil de conjugaison lors de son examen!

Au secondaire, les correcteurs doivent aussi respecter des dispositions semblables, mais le plus savoureux est cette toute petite phrase qu'on retrouve sur la grille de correction de l'épreuve d'écriture ministérielle (page 19 du document): «Ces nombres d’erreurs sont présentés comme des points de repère pour l’évaluation formelle d’un texte d’environ 500 mots, rédigé en un temps limité et avec des ressources restreintes. L’évaluation de ces critères devrait faire appel, comme celle des autres critères, au jugement professionnel. Elle ne devrait pas se réduire au seul comptage des erreurs, mais prendre en compte leur nature, leur récurrence, la complexité des phrases, la longueur du texte, etc.»

On n'est pas loin de la correction holistique, il faut l'avouer!

Par ailleurs, seules les copies en échec sont révisées: celles qui ont mérité un 62% ne sont jamais soumises à un comité de vérification. Pourquoi? Et on ne parle pas des pressions pour que les correcteurs soient généreux, comme le mentionne Rima Elkouri dans le quotidien La Presse.
Enfin, un élément qu'on ne mentionne jamais, c'est que la plupart des difficultés des élèves ont trait à l'orthographe d'usage (alors qu'ils ont un dictionnaire!) et à des règles d'accord simple. Que ceux qui invoquent les difficultés des élèves pour simplifier la langue française trouvent un meilleur argument: est-ce si difficile d'écrire «les belles maisons» sans faire d'erreur?

Bref, la prochaine fois qu'on vous parlera de correction sévère en écriture, allez voir plus loin que les chiffres et intéressez-vous à la façon dont les copies sont corrigées. Vous serez surpris.

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Avoir un dictionnaire en sa possession ne garanti en rien l'absence de fautes, étant donné que l'élève qui ne sait pas que « disponible », par exemple, s'écrit avec un n et non deux, si on ne lui a jamais relevé cette erreur. Et j'espère bien que s'il l'écrit plus qu'une fois, on ne le pénalisera qu'une seule fois, ça me semble la logique même.

En ce qui concerne la ponctuation, je suis bien contente d'apprendre qu'elle est corrigée en « demi-faute », puisque certaines règles sont tellement floues et la correction est très changeante d'un correcteur à l'autre (expérience d'étudiante à l'université).

A.B. a dit…

J'ai essayé d'expliquer à deux de mes collègues qui enseignent en cinquième secondaire depuis plusieurs années de ne pas s'inquiéter, que la très grande majorité de leurs élèves réussiraient l'épreuve d'écriture de mai puisque le MELS est assez généreux.
Elles ont été choquées et m'ont dit que j'avais tort. Manifestement, la propagande ministérielle fait des ravages même au sein de ses employés.
Je me rappelle d'une certaine année où il y avait eu des moyens de pression et où tous mes élèves de cinquième secondaire s'étaient par erreur retrouvés avec le résultat «zéro» pour leur quatrième étape dans leur dernier bulletins et que la pondération du MELS avait «arrangé» le tout à l'avantage des élèves. Conséquence: certains qui auraient dû échouer ont probablement réussi. Depuis cet épisode, mes dernières illusions quant à la cohérence du système se sont envolées.

Anonyme a dit…

oui? c'est absolument debile et debilitant? et quelle tache pour les profs et enseignants, a combien d'eleves ou d'etudiants part classe, deja; Moi, je proPose qu'on arrete de fer ecrire tout simplement. J'espere totaliser moins d'une demifaute dans mon texte parce que c'est toute la meme famille d'opinion;

Bientôt, ça prendra une équipe de professionnelles pour faire la correction d'une seule copié : une psychologue pour aider l'étudiante à se relever de l'échec de sa demi-faute, une professeure, une orthopédagogue, une infirmière pour ramasser la professeure après la visite des parents, bien sûr une docimologue garantissant la validité du test ou du thème, une physiothérapeute pour soigner les entorses au poignet e les tendinites dues à l'utilisation de muscles peu utilisés (500 mots, on n'y va pas de main morte!), une psychiatre ayant la permission de prescrire du Prozac à tout ce beau monde, une ergonomiste afin d'assurer l'utilisation de mobilier et de positions corporelles appropriées, une philosophe spécialisée dans l'éthique afin de... (Le féminin est utilisé afin d'alléger le texte)

N'étant pas du milieu, que signifie EUF? Le truc qu'il faut bien briser pour faire des melettes? Ou l'endroit où l'on tente de tuer la passion des professeurs/es?

Zed ;-)

Le professeur masqué a dit…

Cath: un élève qui fait une erreur au mot «disponible» après 13 années d'école? C'est vrai que ça existe. Ça nous donne une excellente idée de la qualité de notre enseignement. Les miens massacrent joyeusement le nom «Québécois». Ils seraient plus facile pour eux d'être Canadiens...

Suivant votre logique, il ne faudrait pénaliser qu'une fois l'élève qui ne savait pas ce qu'est un participe passé.

Pour ce qui est de la ponctuation, le guide du correcteur est très clair en ce qui a trait à celle-ci. À l'époque, je me suis même servi de ce guide pour créer ma grammaire maison pour mes élèves. ce guide respecte les règles des grammaires reconnues. Et, sans dire qu'il s'agit d'un mythe, la ponctuation est bien plus logique et précise qu'on semble le penser.

Vos correcteurs universitaires avaient-ils une formation en langue? Ce n'est pas toujours le cas.

Safwan: je me souviens de cet épisode rocambolesque. Le résultat était hallucinant. le MELS veut 85% d'élèves qui réussissent, pas obligé qu'ils soient capables d'écrire correctement. Les perles de vos élèves de 4ème secondaire le prouvent aisément.

Zed: l'ÉUF (épreuve unique de français) est aussi appelée Friendly User Exam...

A.B. a dit…

Mes excuses: mon commentaire aurait dû parler de normaliser et non de pondérer au sujet de l'action du MELS sur les résultats de mes élèves lors des moyens de pression.

Anonyme a dit…

« Vos correcteurs universitaires avaient-ils une formation en langue? Ce n'est pas toujours le cas. »
Une expérience en enseignement du français au secondaire, plus un doctorat en didactique du français.

Catherine a dit…

Tout ce que je sais après tout ça, c'est que c'est beau le primaire.

Des examens du Mel (maths et français) sont donnés aux élèves étant en fin de cycle (donc 2e année, 4e année et 6e année). Les examens de maths et français sont donnés en alternance. Cette année, c'était ceux de français.

Je crois que la correction d'examen ministériel mériterait un bacc en soit. Nous avons été libéré, ma collègue et moi, pour assister à une formation à cet effet. Ça revient un peu à la même chose que ce dont vous nous faites part, mais en plus "de base".

Je suis d'accord avec certains éléments (ne comptabiliser qu'une erreur pour le même mot mal écrit à deux endroits) et en désaccord avec d'autres éléments.

Toujours est-il que je suis bien heureuse de corriger les 150-200 mots seulement.

Anonyme a dit…

Bonjour Prof Masqué,

Aurais-tu la gentillesse de me dire quel est ta personnalité préférée, s'il te plait?

Ceci n'est pas un message pour publier. Tu peux me répondre via la modération des commentaires sur mon blogue et effacer ce message. Grand merci!

Zed

Le professeur masqué a dit…

Zed: j'ai publié par erreur, mais je réponds par amitié. Je n'ai pas de personnalité préférée. Elle varie selon les moments et les circonstances. Par moment, Alexandre Dumas père, Winston Churchill. Par moment, elles sont inconnues et ont pour nom celui de mes collègues.

Benoît a dit…

Ironie du sort, on trouve une superbe coquille dans mon commentaire, sans compter que j'ai réussi à employer à la fois élèves et étudiants pour désigner la même notion. M'enfin.

Pour rassurer Cath, je voudrais lui indiquer que le guide de correction est si détaillé qu'il y a très peu de différences entre chacune des corrections. Au demeurant, les critères de correction du fond et de la forme ne permettent en aucun cas de distinguer un excellent travail d'un travail honnête (tous deux méritent un A).

Je garde d'excellents souvenirs de mon passage au MELS. Ce qu'il y a de navrant pourtant, c'est que, même si le guide de correction est le fruit de recherches exhaustives, les critères sont systématiquement fondés sur les règles des grammairiens les plus permissifs. Je ne suis pas normatif outre mesure, mais j'ai toujours un peu de difficulté à admettre l'indicatif à la suite de « bien que ».

Qu'on veuille souligner la réussite des élèves, je veux bien; qu'on ferme les yeux devant leurs erreurs par la même occasion, je n'y crois pas. Pourquoi croit-on si fermement que l'échec n'a aucune vertu pédagogique?

Le professeur masqué a dit…

benoit: «la vertu pédagogique de l'échec»? mais comment est-ce compatible avec une ministère qui préconise la réussite du plus grand nombre?