21 avril 2008

La ministre Courchesne et la violence

La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, dévoilait aujourd'hui sa politique sur la violence à l'école (ici, et ici). Dotée d'un budget de 16,9 millions sur trois ans, celle-ci ratisse large: gangs de rue, taxage, violence amoureuse entre jeunes, homophobie, cyberintimidation, violence dans le transport écolier et violence verbale.

Le plan Courchesne s'oriente selon quatre axe précis: la prévention et le traitement de la violence; la concertation et la formation; la recherche et la documentation; le suivi et l'évaluation du plan. Ces axes semblent logiques, cohérents et bien définis.

De façon plus précise, un premier aspect de cette politique vise à établir un portrait juste de la situation de la violence dans les écoles québécoises d'ici l'automne 2008. Celui-ci est attendu depuis 2005 alors que le vérificateur général du Québec avait alors suggéré au gouvernement de l’époque de brosser un portrait de la situation de la violence dans les écoles du Québec, de poser des actions concrètes afin de l'éliminer de ces lieux et d'évaluer l'efficacité de celles-ci.

Un autre aspect intéressant de cette politique est que chaque école devra se doter d'un plan pour combattre la violence. Le risque réside cependant dans le fait que cet exercice ne dépasse pas le stade du document photocopié. C’est souvent le danger qui guette les actions décentralisées.

Enfin, un comité de concertation interministériel sera formé afin de veiller à la cohérence et à l'efficacité des actions qui seront posées. Il sera formé de représentants du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, du ministère de la Santé et des Services sociaux, du ministère de la Justice, du ministère de la Sécurité publique, du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, et du ministère de la Famille et des Aînés. Que cette action concertée me semble primordiale puisque la problématique de la violence à l'école ne relève pas uniquement du MELS et interpelle bien d'autres ministères.

Ce que l'on remarque également, c'est que le budget prévu de 16,9 millions sera réparti ainsi:

  • 7 millions seront accordés aux commissions scolaires pour l'ajout de personnes ressources et les interventions à l'école.
  • 5,2 millions $ serviront à créer un service pour accompagner les élèves qui ont été suspendus ou expulsés de l'école, afin qu'ils ne se retrouvent pas à la rue à ne rien faire.
  • 4,1 millions $ iront à la formation du personnel. À ce propos, la question de la violence à l'école devra dorénavant être incluse dans la formation initiale du personnel à l'université.

On ne peut qu'approuver tout projet qui vise à rendre nos écoles plus sécuritaires, permettant ainsi qu'elles soient un meilleur lieu d'apprentissage.

Ma principale crainte est cependant que tout cet argent se perde dans les dédales administratifs des écoles et des commissions scolaires. Nos écoles ont besoin de système de sécurité, de caméras, de surveillants sur le plancher. Or, nos gestionnaires scolaires ont cette fantastique aptitude à réussir à ne pas améliorer certaines situations au quotidien.

Un autre élément est qu’on ne semble pas assez mettre de l’avant des alternatives aux comportements violents, des mesures pour que les élèves puissent déverser leur trop-plein d’énergie dans des activités saines au lieu d’être laissés à eux-mêmes.

Puisqu’on parle de violence à l'école, diverses questions me viennent en tête.

Y a-t-il plus de violence à l'école?

À ma connaissance, aucune étude sérieuse ne s'est penchée sur cette question. Il sera donc intéressant d'analyser les résultats du portrait que le MELS compte terminer en à ce sujet.

Pour Richard E. Tremblay, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le développement de l'enfant, la réponse à cette question est non: «Cela fait depuis la fin des années 1970 que j'étudie ce problème et, à l'époque, les enseignants disaient la même chose! Ce n'est pas vrai qu'il y a plus de problèmes. Dans l'ensemble, au Québec, il y a moins de violence qu'il y a 20 ans.»

Cependant, pour Égide Royer, codirecteur de l'Observatoire canadien pour la prévention de la violence à l'école, ce phénomène gagne en importance, notamment auprès des enfants de la maternelle: «Il y a des jeunes qui portent des vêtements griffés et qui mènent le diable en maternelle. On est à côté de la plaque si on dit que ça survient uniquement en milieu défavorisé.» Pour plusieurs experts, ces comportements seraient attribuables à un manque de discipline et d'encadrement parental.

Ce que l'on remarque également, c'est que le nombre de plaintes effectués par les enseignants montréalais a doublé depuis un an, passant de 127 en 2005-2006 à 245 en 2006-2007. Faut-il alors en déduire comme le fait le journal La Presse que «La violence augmente à un rythme vertigineux» et que «La terreur gagne même la maternelle» ? Je ne sais pas.

Une bonne partie de cette augmentation est davantage attribuable, selon moi, au fait que les comportements violents sont moins tolérés par les professeurs et c'est tant mieux parce que la meilleure façon de mettre fin à la violence, c'est tout d'abord de la dénoncer.

Il est d’ailleurs ironique qu’un des moyens de pressions adoptés lors des négociations entourant la dernière convention collective ait été de ne plus tolérer la violence au travail. Pourquoi en avoir fait un moyen de pression, une action ponctuelle en quelque sorte, alors que cela devrait aller de soi en tout temps?

Pour revenir à l’idée de dénoncer la violence, l'enseignant victime de celle-ci est un être humain et il aura souvent honte d'avouer à ses confrères ou à la direction ce qu'on lui aura fait subir. Il aura peur de passer pour un faible ou de montrer qu'il n'a pas l'étoffe des héros. Et parfois, il préfère naïvement acheter la paix.

Cela, c'est sans parler de toute la lourdeur de paperasse administrative qui accompagne une démarche visant à sanctionner un élève. Parfois, c'est à se demander si l'enseignant n'est pas coupable de ce qui lui arrive jusqu'à preuve du contraire. De même pour l’adjoint qui attendra toujours d’avoir le meilleur dossier au monde avant d'intervenir, de crainte d'un éventuel recours de la part des parents concernés.

Enfin, puisqu'on parle de ces derniers, il y a aussi une situation qui est, quant à moi, assez récente: celle des parents harceleurs ou violents qui veulent régler les problèmes de leur enfant avec le professeur. Juste à mon école, deux événements violents du genre ont été portés à ma connaissance en trois ans. Et je ne tiens pas compte de toutes les joutes verbales agressantes et de l’intimidation verbale. C’en est même rendu que certains collègues ne téléphonent aux parents qu’en présence d’un témoin!

Bref, l'un dans l'autre, il est bien difficile pour l'instant de déterminer si la situation s'est dégradée. Il faut alors se baser sur des témoignages et des commentaires bien personnels.

Un surveillant d'école, qui oeuvre en milieu scolaire depuis 24 ans, m'a indiqué qu'il estimait que le niveau de violence est plus bas aujourd'hui qu'autrefois. De même pour quelques vieux enseignants et amis qui m'ont confié leurs souvenirs de jeunesse et de carrière.

Si je repense à mon vécu scolaire, je me souviens que je n'étais pas un ange et je ne peux compter combien de fois je me suis battu au primaire et au secondaire. J'étais le plus grand: un petit nerveux m'essayait presque chaque semaine. J'étudiais dans une école de garçons et il s'agissait d'un milieu aisé mais parfois dur. Malheur à celui qui avait l'air d'un fif. Et je ne parle pas de des Anglais de l'école voisine avec qui on se pognait à l'arrêt d'autobus.

Je me souviens également de ces profs que nous avons épuisés professionnellement par notre attitude en classe. La discipline était pourtant sévère, mais il faut croire que nous avions besoin d'être cons et de dépasser les limites.

La perception idéalisé qu'on peut avoir du passé vient peut-être faussé le regard que nous jetons sur l'école d'aujourd'hui.

Cependant, il faut reconnaitre que la violence est maintenant plus médiatisée qu'autrefois. Il y a des bagarres dans les écoles qui font les premières pages des journaux. Le phénomène You Tube vient fort possiblement amplifier cette perception

Il y a aussi le fait que cette violence origine parfois de groupes criminalisés comme les gangs de rue. Avec les Blood et les Crisp, on est loin des menaces du genre: «On va t'attendre au rack à bécycles à trois heures.»

Ce qui a peut-être le plus changé, c'est davantage le manque de respect à l'égard des enseignants et d'une certaine autorité. Les interventions disciplinaires sont parfois plus difficiles à effectuer. Certains élèves contestent davantage lors d'une intervention ou sont carrément impolis. Au quotidien, c'est ce manque de savoir-vivre qui devient quasiment agressant.

Et, au fond, est-ce si important de savoir si la violence a augmenté dans les écoles? S'il y en a, c'est déjà le signe qu'il faut agir.

Le personnel est-il formé pour faire face à des incidents violents?

La réponse à cette question est non. Au niveau universitaire, les étudiants ne reçoivent actuellement aucune formation à cet effet. Dans les écoles, je n’ai entendu parler qu’une fois d’une formation de ce genre et j’ai 14 années d’expérience dans le milieu scolaire.

Pas étonnant alors que bien des enseignants fuient les situations conflictuelles et ferment les yeux. Il y a aussi le fait qu’un enseignant qui interviendrait de façon inadéquate pourrait être sanctionné.

Les écoles ont-elles les ressources pour mieux prévenir et encadrer la violence?

Soyons honnête : les écoles ne se donnent pas les moyens de le faire. La salle de conférence de la direction de mon école montre ou sont certaines de ses priorités. On manque peut-être d’argent, mais on effectue des choix douteux aussi.

Comme je l’ai indiqué, le risque est que l’argent neuf que le MELS prévoit verser ne se rende pas sur le plancher, dans les classes.

C’est donc un dossier à suivre, comme dirait l’autre.

9 commentaires:

bibconfidences a dit…

Très bon billet, je serai plus brève, la journée où je devrai assister à une formation pour faire face à la violence je lâche l'enseignement, je le jure.
Je voulais enseigner, pas entrer dans SWAT.

bobbiwatson a dit…

Selon le projet de la ministre, les écoles devront se doter de codes de vie pour contrer la violence! Actuellement toutes les écoles, primaires et secondaires, en ont un. Il faudrait s'assurer que les directions et les adjoints LE METTENT EN APPLICATION! Si ils n'arrivent pas à avoir assez de colonne pour mettre en application leur code actuel, demandons-nous comment ils feront pour appliquer les mesures contre la violence qui s'ajouteront à leur code de vie! Entre la théorie et la réalité il y a tout un monde!

Missmath a dit…

À entendre la Ministre présenter son plan sur toutes les tribunes hier, je me disais que le Professeur masqué nous ferait sans doute une excellente analyse de la situation sur son blogue. Ce qui est bien, c'est que le Prof masqué ne déçoit jamais.

Belle mise en garde statistique (impressions vs faits), on pourrait presque croire que le Prof masqué est un de mes anciens élèves. HA!HA!HA!

Sylvain a dit…

Encore une fois, excellent billet auquel je souscris d'emblée !

J'ai cependant une petite question, cher PM. Il est dit, vers le début, que les mesures décentralisées ont la fameuse propension à finir sur les tablettes des beaux documents-qui-ne-serviront-finalement-jamais-à-rien... Et il est dit un peu plus loin (je vais paraphraser un tantinet) que les mesures centralisées (qui partent du sommet vers la base en passant par tous les intermédiaires) ont la fâcheuse tendance à engraisser les étages supérieurs (avant d'atteindre la base), où l'argent s'arrête en cours de route.

Ma question est donc la suivante : que faire alors ? Le décentralisé tablette et le centralisé fait empocher les étages supérieurs. Dan un cas comme dans l'autre, il ne se passe véritablement rien à la base pour solutionner le problème. Que pouvons-nous alors faire ?

A.B. a dit…

J'accroche sur l'aspect des gangs de rue. Aucune force policière n'en vient à bout. J'imagine mal comment le plan de la ministre pourrait y changer quelque chose.

Le professeur masqué a dit…

Bibco: tu rigoles, mais j'ai suivi une formation et, au contraire, ça te permet justement de gérer les choses pour éviter que ça arrive. Ça te permet aussi de mieux réagir. Tu risques plus de rester au boulot avec la formation que sans.

Sur le principe, tu as raison et je pense comme toi. Dans le pragmatique des choses, c'est moins évident.

Le professeur masqué a dit…

Bobbi: du papier et du blabla, effectivement. Il faut souvent que surviennent des événements graves pour que les gens réagissent après coup.

Missmath: excellente, je ne sais pas. Il y a des trucs que les gens peuvent ajouter, contredire. C'est la duscussion qui importe. Il faut dire, par contre, que je jase beaucoup avant d'écrire. Je pique les idées de ms collègues et je ne vous el dis pas...

Sylvain: je répondrai à cette question fort pertinente dans un billet tantôt.

Safwan: je partage, mais ne rien faire n'arrangera pas les choses.

bobbiwatson a dit…

Peut-être que cette problématique, la violence à l'école, devrait être gérée par les personnes les plus susceptibles d'être ciblées : les profs. PM dit qu'il a suivi une formation dans ce sens et il ne semble pas s'en plaindre.

Ce que je veux dire c'est que, si tout ce qui part d'en haut vers le bas rafle tous les sous avant la moitié de la descente, plaçons donc le "haut" de la colonne au niveau des profs. Entre les profs et la base il y a quand même moins d'étages!

La ministre dit qu'elle fournira des répondants ministériels pour aider les écoles. Que ces répondants forment des profs ou du personnel professionnel de première ligne et surtout, que ces répondants disent aux directions d'écoles de mettre leurs culottes et de faire respecter le code de vie dont elles se sont dotées.

Jonathan Livingston a dit…

Intéressante réflexion en effet...

J'y ajoute quelques impressions et observations!

Je sortais de mon dernier cours dans l'école public que je quittais vendredi, quand j'ai rencontré un prof en larme victime d'un parent violent verbalement au téléphone.

Les parents manipulateurs d'enfants manipulateurs, c'est la sorte de parents que je redoute! Mais bon, pour ceux là, je mets la direction dans le coup assez vite préventivement dès détection! Casser du sucre sur le dos d'un prof, c'est pas nouveau, c'est un risque du métier! Ça se produit même à l'interne!

Mais bon, plus violente l'école, je crois pas, plus dissipé les jeunes, certainement. Mais bon, nos méthodes facilitatrices de l'autoapprentissage est loin de former à la rigueur, à l'analyse fine... À l'écoute! Peut-être est-ce dans l'émancipation de l'incompétence évaluée que l'on constate des écarts de comportements regrettables, vite des millions pour contrer ce dommage collatéral! En tout cas, c'est ben drôle de lire un plan Courchesne contre la violence quand on attend un plan Courchesne au sujet des élèves en difficulté et l'intégration délirante, quand on attend un plan Courchesne pourle français plus précis, un plan Courchesne au sujet des correctifs de cette réforme et des évaluations, il me semble qu'il y avait tellement d'autres réalités plus urgentes à trancher responsables d'un certain chaos générateur de violence dans nos écoles en ce moment!

Évidemment, les jeunes sont moins encadrés, et répondent moins rapidement au langage de l'encadrement qu'ils ont appris à ignorer. Dans mon jeunes âge, un taloche m'a rappellé que quand un adulte parlait, il y avait matière à écouter...

Violence, vous direz, je dirais coup de becs nécessaires pour comprendre qu'il y a une nécessité d'un certain ordre ou c'est le chaos et la violence prolifère faute d'être contrôlé un brin...

Je vois beaucoup de petites agressions subtiles peut-être plus qu'avant... On parle de cyberintimidation, j'ai lu un truc sur la violence cachée qui consiste à lancer des ragots sur quelqu'un juste pour l'isoler des autres...

Les jeunes moins encadrés, rejoignent l'esprit des hordes ou la loi du plus forts, beaux, cools règnent. Il y a 25 ans, j'étais jeune et j'ai connu des années parfois difficiles dans un milieu entre autres que j'ai fréquenté... Tout jeune un peu maginal ou différent va devoir faire face à la meute conformisante de l'adolescence... On ne changera rien à ça... On va continuer d'intervenir comme adulte pour atténuer l'effet groupe des jeunes, mais bon je crois pas que les millions de la ministre vont changer grand"chose à cette réalité et oui, l'argent va être dépensé à patcher au lieu de dépenser à vraiment corriger intelligemment notre système.

Je viens d'intégrer un milieu privé avec le costume, le vouvoiement, le portail liaison avec les parents. Franchement, on chipotte une fois pour des souliers à garder dans les pieds un jour de grande chaleur, mais, en gros, tout ce décorum impose un peu de tenu et donne une image visible à l'encadrement manifeste qu'on met en place dans cette école tout en proposant des activités de développements intéressants Il y a un je ne-sais-quoi de sain, qui montre une image d'un certain ordre et d'une certaine dignité à manifester!

L'attitude relâchée et libertaire systémique n'est-il pas justement un peu ce qui entraine de nouvelles violences, faute de cadre pour orienter les comportement des groupes de jeunes, immatures? Je lance cette question. Je ne sais pas, ce théâtre de sérieux, auquel je participe en me costumant (!), nous rappelle-t-il pas, n'éduque-t-il pas un peu à intaller un protocole relationnel laissant moins de jeu à la violence? Enfin, je vais observer cela comme piste étant dans le théâtre du costume de l'intérieur en ce moment!

Bon, je vous reparle de mon enthousiasme plus tard. Les portails arrivent dans nos écoles publiques aussi, j'en mettrais ma main au feu, c'est une question de temps, un mail n'engueule personne, c'est de l'écrit, donc ça reste! A suivre!