23 mai 2008

Bouchard-Taylor et l'école (modifié, long et bon)

Bon, le rapport du psycho-drame national des 18 derniers mois, la commission Bouchard-Taylor, est enfin public! On pourrait bien commenter les 37 recommandations de ce dernier, mais seules quelques-unes s'appliquent à l'école. De façon générale, mon appréciation de ces dernières est plutôt mitigée.

Faisons le tour de certaines d'entre elles avec quelques commentaires.

Le besoin d’une formation accrue chez les agents de l’État dans toutes les institutions publiques, à commencer par l’école en raison de ses fonctions de socialisation.

Ma première réaction a été la suivante: «Encore de la formation!» Dans les faits, je suis conscient du rôle majeur joué par l'école dans le dossier de l'intégration des immigrants. Là ou je me questionne est sur ce que pourra exiger cette dernière des parents venus d'ailleurs. À Montréal, certains parents immigrants exigent de parler anglais avec l'enseignant de leur enfant. On doit également leur traduire les différentes communications envoyées par l'école. Il y a quelque chose de malsain à procéder de la sorte.

Que les gestionnaires d’institutions publiques intensifient leurs efforts pour adapter à leur milieu et traduire en directives concrètes les grandes balises devant guider la gestion des demandes d’ajustement.

Ça, ça revient à demander aux commissions scolaires de baliser les demandes d'accommodement raisonnable. La commission BT refile le ballon à un autre joueur.

Il existe à Montréal, semble-t-il, des cas d'intégration assez réussis, notamment à ville Saint-Laurent, je crois. Par contre, il est fort à parier que certaines CS attendront que Québec forme un comité à cet effet plutôt que d'aller de l'avant. On est décentralisateur quand ça nous arrange. À suivre.

Concernant les problèmes liés au régime de congés religieux en vigueur dans les commissions scolaires (à savoir des congés supplémentaires payés), que l’État forme un comité d’experts mandaté pour trouver une solution équitable et conforme au cadre juridique actuel du régime des congés religieux et ce, après consultation des principaux acteurs intéressés.

On sait que ce cas a été soulevé notamment à Montréal à cause d'enseignants bénéficiant des congés fériés d'origine catholique prévus au calendrier et à ceux demandés par leur religion. Suggérer la formation d'un comité d'expert est une autre façon de refiler le ballon et d'éviter de se mouiller. Un autre dossier à suivre.

La mise sur pied d’un comité d’enquête indépendant mandaté pour faire la lumière sur les pratiques des ordres professionnels en matière de reconnaissance des diplômes.

Cette recommandation a un impact en éducation puisque certains immigrants ne voient pas leur diplôme reconnu alors qu'ils veulent être enseignants. On les confine à la suppléance tout en leur suggérant de retourner sur les bancs de l'université alors qu'on manque de profs. Est-ce une pratique acceptable?

Qu’il (le port de signes religieux par les agents de l’État) soit interdit aux magistrats et procureurs de la Couronne, aux policiers, aux gardiens de prison, aux président et vice-présidents de l’Assemblée nationale.

Mais que:

Qu’il soit autorisé aux enseignants, aux fonctionnaires, aux professionnels de la santé et à tous les autres agents de l’État.

Il s'agit ici de la plus controversée des recommandations de BT quant à moi. Avant d'aller plus loin, prenons connaissance de ce texte de La Presse ou M. Bouchard précise sa pensée:
Au sujet des signes religieux, les commissaires estiment qu’«une enseignante ne pourrait par exemple revêtir une burka ou un niqab en classe et s’acquitter adéquatement de sa tâche», mais qu’en revanche, «le foulard (islamique), lui, ne compromet ni la communication ni la socialisation». «Les jeunes qui sont exposés dès le bas âge à la diversité qu’ils rencontreront à l’extérieur de l’école pourront démystifier plus facilement les différences et seront moins prompts à les appréhender sous le mode de la menace», justifient-ils.

«Il n’en demeure pas moins que l’interdiction du port de signes religieux pour une gamme restreinte de fonctions se justifie mieux, poursuivent les commissaires. On peut avancer que l’exigence d’une apparence d’impartialité s’impose au plus haut point dans le cas de juges, des policiers et des gardiens de prison, qui détiennent tous un pouvoir de sanction et même de coercition à l’endroit de personnes qui se trouvent en position de dépendance et de vulnérabilité.»

Côté réactions, le Congrès juif trouve que cette recommandation ne va pas assez loin, la FTQ et la CSN croient qu'il aurait fallu être plus restrictif. Le Parti québécois ne la commente pas spécifiquement. Même chose pour la CSQ. Quant à Québec Solidaire, Françoise David affirme, à propos des enseignants: «Certains sont pratiquants, d’autres pas, et il n’est pas mauvais que les enfants soient exposés à cette réalité.»

Pour sa part, Christiane Pelchat, présidente du Conseil du statut de la femme, ne voit pas les choses du même oeil: «Dans les écoles publiques, à l’hôpital, la neutralité religieuse devrait être exigée. Pour nous (au Conseil), laïcité et égalité entre les hommes et les femmes vont de pair, et la laïcité préconisée par le rapport ressemble plus à du gruyère qu’autre chose.»

Louise Langevin, professeure de droit à l’Université Laval, explique le point de vue des commissaires de la façon suivante: «contrairement à la France où la laïcité est à tout crin, on considère au Québec que l’État est laïque mais que la religion fait partie intégrante des personnes, qui peuvent rester elles-mêmes dans l’espace public. C’est ce que les commissaires ont traduit.»

Je suis sûrement débile profond, mais je ne partage pas la vision des commissaires Bouchard et Taylor. Pour ma part, tous les agents de l'État devraient afficher une neutralité, à plus forte raison dans nos écoles. BT semble oublier qu'un enseignant est un représentant de l'autorité. La loi lui confère d'ailleurs certains pouvoirs à cet égard. Il est aussi un modèle social: «Je peux porter le hijab, ma prof le fait.» De plus, je vois mal un professeur portant un turban me parler de la religion juive sans avoir uen arrière-pensée. L'image, et c'en est une qui n'est peut-être pas politiquement correct, ne me revient pas.

Mais surtout, on ne pourra m'enlever de la tête que le voile est un symbole religieux souvent associé à l'oppression des femmes. Et là, je ne peux accepter que l'école cautionne une telle vision du monde. L'école est un espace public et devrait être laïque. Les enseignants sont des représentants de l'État. Ils devraient afficher une neutralité dans le cadre de leur fonction. Point à la ligne.
Quelques ajouts avec les journaux de ce matin
Foglia, sur la laïcité, dans La Presse :
Soit. C’est un intégriste qui parle et qui décline son credo laïque en deux articles.
1 - Liberté absolue de conscience et de culte.
2 - L’espace civique doit être absolument laïque.
Je viens de dire deux fois absolument, je sais: c’est bien un intégriste qui parle. L’espace civique? L’école publique en tout premier lieu. L’école avant les tribunaux, avant la police, avant l’armée, avant les institutions. Faut-il vraiment expliquer pourquoi l’école d’abord, pourquoi l’école surtout? Parce que c’est l’institution structurante de la société. Le premier contact de l’enfant avec la citoyenneté, donc avec la société, le lieu de conjugaison non pas des différences, mais des humanités. Il ne me dérangerait pas tant que cela (un peu quand même) d’être contrôlé par un flic portant la kippa. Mais je trouve déplorable, je trouve lamentable que les commissaires acquiescent benoîtement au port ostensible de signes religieux par les élèves et pire encore par les enseignants des écoles publiques.
J’ai trouvé futile que les commissaires suggèrent que l’on décroche le crucifix de l’Assemblée nationale (les députés ont bien fait de voter à l’unanimité pour le garder). Cette absurde histoire de crucifix nous dit quelle mauvaise lecture les commissaires font des signes. On apprend cela dans le premier cours de linguistique: il faut aller au signifié, au contenu du signe... ce crucifix devenu applique murale n’a plus aucun contenu, messieurs les commissaires.
Alors que le voile des jeunes musulmanes à l’école est l’étendard d’un communautarisme qui n’a rien d’innocent. Il a une vérité à proclamer, ce voile. Mieux, il a un projet: le retour du religieux dans l’espace civique.Et c’est ce projet qu’appuient nos curés. Projet baptisé par eux laïcité ouverte. Un concept en forme de cheval de Troie plein de barbus, de voiles et de turbans qui, espèrent-ils, va les ramener dans les écoles par la porte d’en arrière.
Martineau, sur le voile islamique, dans le Journal de Montréal:
Des problèmes? Où ça? Il n'y en a pas, de problèmes, voyons, tout est affaire de perception! Le voile, c'est joli, c'est folklorique, ce n'est pas dangereux, on n'a pas de raison de s'énerver.

On va même permettre aux enseignantes de le porter, vous allez voir, ça va permettre aux jeunes Québécoises de s'ouvrir aux autres cultures... On dort au gaz, les amis. On dort au gaz.
Michel Vastel, sur l'école et la laïcité, dans le Journal de Montréal:
Le conformisme et le souci de ne déplaire à personne se niche dans les moindres détails pour ces commissaires qui recommandent par exemple que le port de signes religieux soit interdit aux magistrats, procureurs, policiers, gardiens de prison et même au pauvre Michel Bissonnet, président de l'Assemblée nationale, mais qu'il soit permis aux enseignants, aux infirmières et aux médecins. Ne voient-ils pas que ces enseignants, infirmières et médecins sont en position d'autorité face aux enfants et aux malades?

Cela donne même lieu à d'incroyables incongruités: les nouveaux cours d'éthique et de culture religieuse pourront donc être donnés par des enseignantes portant le hijab: bel exemple de déconfessionnalisation!
Le Syndicat de la fonction publique du Québec sur le port des signes religieux par les employés de l'État:
«Les employés de l'État qui sont en contact avec les citoyens ne devraient pas porter de symboles. La fonction publique est là pour être neutre et donner les mêmes services partout sur le territoire, soutient la présidente générale du SFPQ, Lucie Martineau. Je n'ai pas le droit de mettre le collant d'un parti politique sur mon bureau pour montrer mon appartenance politique. Ça devrait être la même chose pour la religion.»
Le Conseil du statut de la femme sur le même sujet:
«La distinction qui est faite entre les fonctionnaires se justifie mal. À notre avis, tous les agents de l'État en relation avec le public devraient s'abstenir de porter des signes religieux ostentatoires afin de véhiculer la neutralité de l'État.»
Le président de la Centrale des syndicat du Québec (CSQ) avec lequel je suis en désaccord:
«Chacun est libre de sa pratique religieuse dans la mesure où il n'y a pas de mouvement doctrinaire et que ça ne remet pas en question l'intégrité ou la sécurité physique de la personne», affirme le président de la CSQ, Réjean Parent.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Exactement, mais on avait tout de même raison de retirer le crucifix. Non, ce n'est pas vide de sens. Certainement pas. Et tant de Québécois qui se disent encore cathos. Et qui mettent ou remettent une crèche de Noël avec la VIERGE Marie voilée dessous.

Aucune idéologie n'est innocente ou vide de sens. Regarde comment le créationisme, cette antiquité, revient à la mode. Il faut s'interroger et voir qui cela sert, quels intérêts économiques et politiques. En passant, on croit à cette théorie du côté musulman aussi : Adam et Ève.

Zed

Tu ne seras pas surpris que nous parlions de la même chose chacun de notre côté, je suppose. C'est là une lutte que nous partageons depuis longtemps.

bibconfidences a dit…

Dire qu'on interdit la casquette du Canadien dans les écoles... Y a plus d'justice...

bobbiwatson a dit…

Mon père disait que pour susciter la chicane on n'avait qu'à parler de politique et de religion. Il avait donc raison!!!

Ce rapport ne règle rien et, quant à moi, nous ramène à la case départ.

Notre problème, au Québec, c'est que nous sommes régis par deux "Charte des droits ...." : la provinciale et la fédérale. Tant et aussi longtemps que nous devrons jouer sur ces deux tableaux pour faire reconnaître nos droits de QUÉBÉCOIS DE SOUCHE ... nous nous ferons moucher!

bobbiwatson a dit…

Zed,

"Le chat qui avait un don", qui se prénomme Koko, aurait dû aider ces deux commissaires! On pourrait en faire la suggestion à l'auteur.

Anonyme a dit…

Bobbi Watson,

Si au moins on revenait à la case départ. Mais non, on préfère affirmer haut et fort qu'on est carrément IDIOTS et que nos valeurs, si chèrement acquises (déjà que jamais rien n'est acquis en cette matière) ne valent que dalle.

Oui, recourons à la sagesse de Koko, qui fera tomber le bon livre par terre et Yum-Yum, qui cachera le petit truc minuscule sous le tapis (ahhh... mais c'est un cerveau humain, ça! Nnnnon... deux!).

Je n'ai pas dit mon dernier mot : lire et écrire.

Zed ¦ |