22 avril 2010

«L'intégration, ça ne peut pas se faire au détriment de la réussite des autres élèves.»

Cette phrase est de notre ministre de l'Éducation actuelle, Michelle Courchesne, à propos de la façon dont on intègre certains élèves dans nos classes. Elle en rajoute même en affirmant: «Je vais le dire : quelque part, pour certains enseignants, c'est inhumain.»

Depuis quelques jours, j'avais envie de vous parler de Clément (nom fictif). Clément a 12 ans. Il est dans une classe-ressource avec 12 autres élèves. Même dans celle-ci, Clément n'est pas fonctionnel. A toutes fins pratiques, il ne réalise aucun apprentissage. Déjà, on ne comprend pas qu'il soit au secondaire. En fait, déjà, on ne comprend pas qu'il soit encore dans une école régulière.

Clément souffre de différents troubles psychologiques importants et, aussi bien le dire, il ne vit pas dans notre réalité. Il parle aux murs, à ses souliers. Il est souvent incohérent et instable. Dans l'école ou j'enseigne, Clément fait même peur aux autres élèves tellement il semble étrange et présente des comportements inquiétants. Entre autres résultats, Clément est souvent rejeté et devient agressif. «Il a besoin d'affection psychologiquement et physiquement», explique sa mère. Mais est-ce le rôle de son prof et de tous les intervenants, dépassés par la situation, de materner un enfant manifestement pas à sa place?

Déjà, son enseignant est épuisé et songe parfois à partir en congé de maladie. Pourtant, il a une solide expérience dans le métier et mène bien sa classe depuis des années. Dans les faits, il ne sait plus quoi faire avec lui. Sauf soupirer quand il se tape d'interminables réunions pour discuter de son cas...

Même les autres élèves de son groupe commencent à manifester des signes d'exaspération. Ils sont conscients que Clément accapare les énergies de leur enseignant et sont en retard dans les apprentissages qu'ils devraient normalement accomplir.

Pourquoi Clément est-il à l'école, me demanderez-vous? Parce que sa mère l'a décidé. Et parce qu'elle «intimide» une direction d'école qui n'a pas envie de se retrouver sous les feux des médias ou devant un conseil des commissaires.

L'année prochaine, Clément quittera sa classe-ressource et sera intégré en deuxième secondaire. Maman l'a décidé, envers et contre tous.

6 commentaires:

Armande Simplette a dit…

Cher prof masqué, vous qui vous êtes défini, dans un précédent post, comme étant sans enfant, vous êtes vous penché sur ce les problématiques rencontrées par les parents d’enfants « différents », tels que Clément? Outre le fait que l’enfant n’a pas été livré avec son mode d’emploi et qu’on ne peut pas l’échanger contre un autre modèle en cas de dysfonctionnement, le parent se trouve souvent démuni et désemparé. Et stressé. Il doit vivre le quotidien d’un enfant qu’il n’arrive pas réellement à comprendre, dont il n’arrive pas réellement à comprendre les besoins, ni les comportements, ni comment il peut l’aider. Il doit affronter un système scolaire qui, dans la plupart des cas, n’a qu’une envie, c’est de refiler le problème à un autre parce que l’enfant à problème n’est pas dans leur « mandat ». Pas le temps, pas de moyens, pas de ressources… Pour maintenir l’enfant « à problèmes » dans la structure scolaire, celle-ci exige souvent des parents qu’ils fassent soumettre l’enfant à divers tests psychologiques. À bon droit d’ailleurs, là n’est pas la question. Il faut, aussi, que la structure veille à l’éducation et au bien-être les autres enfants. Alors, pour le parent, commence le parcours du combattant. Tests avec un spécialiste. Parfait, quel spécialiste? Bien sûr, il faut être référé, puisque c’est un spécialiste. Puis il faut faxer sa requête au spécialiste, qui rappellera. Pendant ce temps-là l’école s’impatiente, met un peu de pression sur le parent… Enfin, après avoir passé presque autant de temps au téléphone qu’une téléphoniste de Bell, le parent exténué, voire désespéré, arrive chez le spécialiste. Qui va entreprendre une longue série de tests et d’évaluations. C’est normal que ça prenne du temps, c’est un diagnostic qu’on lui demande au spécialiste, pas un tirage de cartes. Il se peut que, pendant ce temps d’attente des résultats, on propose alors au parent LA solution. Il faut le bourrer de Ritalin. Combien, en avez-vous dans vos classes de ces enfants à qui on fait bouffer des Ritalin comme les smarties rouges? Combien en avaient réellement besoin? Finalement, le spécialiste conseillera peut-être au parent de laisser l’enfant dans un cursus « normal » pour ne pas le marginaliser, ce qui aggraverait encore son problème. Et là, pour le parent s’ouvre un autre front de combat, avec l’institution scolaire, cette fois. Parce que dans le fond, le parent là, il essaie juste de faire ce qu’il pense le mieux pour son enfant, au mieux de ses connaissances, avec les ressources qu’on lui a octroyées pour ce faire (et elles sont maigres) dans un système qui essaie toujours de balayer le problème sous le tapis d’un autre. Le parent lui, est excédé par l’enfant, par l’école, par le système, il est fatigué, tendu, il passe de longues heures au téléphone et il s’absente régulièrement de son travail pour accompagner l’enfant à ses rendez-vous médicaux, les rencontres de suivi avec l’école, les rencontres « disciplinaires » avec l’école, les appels-surprises de l’école qui vient de suspendre l’enfant pour une journée, etc… Vous n’êtes pas responsable, comme prof, des manques de votre système. Vous en êtes juste une « victime ». Les parents aussi, le sont. Je suis la tante d’un hyperactif avec déficit d’attention. Ses profs sont peut-être passés proches de la dépression à cause de lui. Ses parents aussi, mais eux ils n’avaient pas l’avantage de pouvoir se mettre en congé de maladie pour se sortir de la situation gênante. Eux, ils vivaient dedans. C'est bien beau, et sans doute vrai dans le cas de Clément, de dire que l'enfant n'est pas à sa place. Encore faudrait-il lui en reconnaître une quelque part...

Anonyme a dit…

Ici, ce genre d'élève est pris en charge par une aide-enseignante et a un programme modifié. Le but étant l'intégration. Tout le monde aime bien ces élèves (on en a plusieurs dans ce cas). On leur fait suivre un programme appelé "compétences de la vie" où on leur apprend à faire du recyclage, à fonctionner dans une cuisine, etc.

Je crois aussi que les élèves avec troubles d'attention et d'hyperactivité n'ont pas toujours besoin d'être médicamentés. Un bon plan d'action et une communication constante avec les parents fonctionnent bien aussi.

Le professeur masqué a dit…

Armande: J'ai une fille de 17 ans une journée par semaine.

Oui, il peut y avoir la détresse du parent désemparé et je la comprends, mais il y a surtout ici celle d'un parent qui refuse de voir la réalité. Ce faisant, il nuit à celui-ci.

Il existe des ressources à notre école ou Clément pourrait être intégré et être plus heureux, je crois, Mais en voulant que son enfant soit dans au secteur régulier, sa mère le place dans une situation ou il ne sera que perdant. Il a passé des tets, a reçu des diagnostics. Mais la mère ne veut rien savoir et s'ancre dans un déni.

Klassy: l'école ou je travaille offre ce genre de programme. C'est le refus aveugle de la mère le problème ici.

Anonyme a dit…

Je comprends tellement, prof masqué. Je vis des situations semblables. Je ne savais juste pas ce qui se fait au Québec, car je n'ai jamais eu la chance d'y enseigner.

Pour Armande : ce n'est pas parce qu'on n'a pas d'enfant qu'on n'est pas un bon prof. Je suis tannée d'entendre cela. Je n'ai pas d'enfant et pourtant, leurs problèmes me touchent énormément. C'est une question de personnalité, pas de progéniture.

Klassy

unautreprof a dit…

Armandesimplette: Le parent veut le mieux pour son enfant, c'est vrai.
Mais le parent n'est pas enseignant. Il ne connait pas la réalité scolaire comme un prof, à moins qu'il n'en soit un et mes collègues qui ont des enfants en difficulté ne croient pas à ce genre d'intégration sauvage.
Je côtoie des parents d'enfants TED, en grande difficulté scolaire, etc.

Je suis titulaire d'une classe spéciale. Certains parents finissent par accepter le classement après avoir refusé longtemps et ils sont unanimement satisfaits, parce que la classe répond fondamentalement au besoin de leur enfant en difficulté, parce que dans le groupe plus restreint, on a plus le temps et le luxe de s'occuper de l'affectif de l'enfant. Parce qu'il n'est pas marginalisé, au contraire, il se fait enfin des amis.
J'ai deux TDA dans ma classe sans médic. Selon les rapports, c'est recommandé et pour un des deux, ça améliorait vraiment son immense difficulté (4 ans de retard en écriture malgré un potentiel d'intelligence normal-- dyslexie carabinée). L'élève progresse bien quand même, parce que le type de classe et d'enseignement est fait assez "sur mesure" pour lui.

Un prof qui se met en congé, en passant, ne se paie pas un luxe. Il a souvent sa vie à lui aussi qui continue et ses problèmes. Voyons donc!

Cela dit, le parent d'enfant hyperactif est souvent en effet fatigué et épuisé, avec raison.
J'ose penser que ceux qui travaillent avec le personnel enseignant et non toujours en guerre se sentent moins seuls. Je l'espère bien...

En terminant, il y a aussi des enseignants bornés et je me dis que c'est sûrement une mauvaise rencontre qui vous fait avoir ce type d'opinion à la limite méprisante. Bien dommage, en général, les enseignants, comme les parents, essaient réellement de faire de leur mieux pour aider TOUS leurs élèves et ceux du régulier ont des classes de plus en plus difficiles.

Jonathan Livingston a dit…

Bon, il y a sûrement une loi qui permet à une personne de faire du déni et d'embêter les autres. Si c'est le cas, on peut imputer la cause de tout ceci dans cette loi qui peut aboutir à des procès.

Est-ce vraiment la mère qui est seulement la cause de ce merdier? Il y a aussi cette fameuse ou fumeuse idéologie de l'intégration à la normalité en vogue dans le monde des gogo et lologue, une obsession dans un monde de plus en plus conventionnel. Tout le monde veut être normal, je ne trouve pas ça normal! Évidemment les lologues ne font pas de la classe. On ne vit plus en tribu ou en familles nombreuses pour garder les enfants en grande difficulté d'adaptation et les mettre simplement à contribution dans la sphère domestique. Dans un monde moderne, le «mésadapté» détonne.

Je suis franchement loin de comprendre ce qu'offrirait de mieux en terme d'intervention d'intégration une classe normale comparé à une programme adaptée avec des intervenants aguerris à des problématiques d'adaptation spécifiques enfin pour ces cas trop lourds. ET pour les cas moins sévères, la classe moins nombreuse présentent des conditions de loin supérieures pour favoriser l'éducation de ces jeunes. Mais offrir des services adaptés coûte des sous évidemment et beaucoup de sous qu'on ne peut pas faire passer en douce d'une enveloppe à l'autre pour cacher le sous-financement de l'éducation ou payer des buffets spéciaux...

La fumeuse idéologie fournit la plate excuse de ne pas justement offrir de services.

Enfin, s'il n'y a pas de loi contraignante, ce n'est pas la mère qui me semble en cause, mais elle fournit une maudite bonne excuse...

Bref, l'annonce de la ministre apparait comme une lueur d'espoir après 15 ans de sous-financement fumeux dans les services adaptés. Le politique reconnaît le problème, c'est un début.