30 décembre 2010

Décrochage: la pensée magique

Vous êtes un auteur sans le sou et vous voulez connaitre un succès financier, à défaut de plaire à la critique? La recette est simple: écrivez des livres jeunesse remplis d'histoires de voitures et de récits sportifs.

«La lecture, c'est vraiment la clé de tout. Ne vous surprenez pas de voir des projets encore plus ciblés pour les garçons, en 2011», a révélé la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec, Josée Bouchard, au cours d'une entrevue de fin d'année qu'elle a accordée au Journal.

«Les garçons aiment les voitures, ajoute-t-elle. Ils aiment le sport. Pour qu'ils s'intéressent à la lecture, pour déclencher chez eux le goût de lire, il faut leur offrir des lectures qui les intéressent», plaide-telle.


Heureusement, des mesures plus intelligentes, limitant le travail des ados ou faisant la promotion des métiers traditionnels, devraient aussi être mises de l'avant. Mais on ne pourra m'empêcher de dénoncer cette généralisation à outrance: LES gars aiment les chars, donnons-leur des histoires de chars. Vive Toys Story tant qu'à y être! À quand des romans de maquillage et de linge pour les filles qui décrochent? À quand Scarface en version condensée pour les jeunes tentés par les gangs de rue?

Tant qu'à prendre la parole, la présidente de la FCSQ aurait pu faire une courte recherche et découvrir que, selon l’étude Déchiffrer la culture au Québec : vingt ans de pratiques culturelles (1979-1999),«Les lectures des femmes sont davantage orientées vers des valeurs
intimistes comme la vie amoureuse, le foyer, la famille et la santé, tandis que celles des hommes vont plutôt privilégier l’actualité, la science et la technologie, l’économie et la science-fiction.»

Je croyais qu'à l'école, lire devait permettre l'évasion, confronter le jeune, l'amener ailleurs, lui faire découvrir d'autres réalités et lui permettre d'aborder des oeuvres importantes. Non, au Québec, comme la lecture serait un repoussoir pour LES garçons, on change les lectures au programme. Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin? LES gars n'aiment pas se lever le matin: faisons l'école le midi! LES gars aiment la malbouffe: ramenons les hot dogs dans les cafétérias scolaires!

Il y a dans cette volonté de plaire une abdication devant certains garçons. Encore une fois, l'école doit s'adapter à eux. Encore une fois, l'école n'est pas assez signifiante pour justifier qu'on fasse un effort. Encore une fois, on veut régler un symptôme au lieu de tenter de s'attaquer à des raisons bien plus profondes.

Premier mal: au Québec, l'école n'est pas une valeur importante de notre société. Relisez ce texte d'Yves Boisvert sur l'opinion des Québécois quant à l'école. Une vraie gifle! Par exemple, on y apprend entre autres ceci: «Seulement le quart des francophones de 25 à 34 ans ont un diplôme universitaire au Québec. Chez les anglophones du Québec, c'est 35% et chez les immigrants, c'est 37%.»

Deuxième mal: lit-on à la maison et dans notre société? La lecture y est-elle une activité valorisée? De moins en moins, si on se base sur cet éditorial du Devoir: «Ce désamour grandissant de la lecture laisse évidemment des traces. Ainsi, en 25 ans, on est passé de 24 à 45 % des Québécois qui ouvrent moins de dix livres par année. À l'inverse, si, en 1979, 47 % des Québécois s'étaient régalés de plus de 20 livres en un an, le Québec ne compte plus que 28% de grands lecteurs en 2004 !»

Troisième mal: donne-t-on les moyens aux enseignants de français de présenter aux jeunes des livres intéressants et diversifiés? Relisez ce billet où je montre à quel point cette matière est sous-financée par rapport aux autres dans nos écoles et à quel point aussi je suis obligé d'acheter des manuels scolaires au lieu d'acheter des romans.

Enfin, un dernier point: combien on parie qu'en faisant la promotion des métiers, on ne trouvera pas une façon de cracher sur l'école en passant? Juste la récente campagne du MELS contre le décrochage était déjà un petit bijou qui se résume ainsi: «Reste accroché pour les filles et le fric.» Le savoir et la culture, eux, tout comme toi, on s'en tape.

3 commentaires:

Marielle Potvin a dit…

Je ne commente pas souvent, mais je lis toujours vos écrits.Encore une fois, vous nous offrez matière à réflexions.
400 000$ imaginez les ressources concrètes qu'on aurait pu se procurer avec ce montant. Triste de constater que ceux qui oeuvrent sur le plancher des vaches ne sont que si peu entendus des décideurs.
J'ajouterais aussi que dans la production de ce dernier "bijou" du MELS, les recherches de M. Émery ne semblent pas avoir été considérées non plus. http://www.cheneliere.ca/main.cfm?p=01_500&ItemID=74
Pourtant,cet éclairage, comme bien d'autres, aurait pu éviter qu'encore une fois, on travaille en vase clos.

Bonne année Prof Masqué!

Paul C a dit…

Bonjour,

Quelle idée que de promouvoir l'éducation en prostituée. De toute façon, si ce n'est que pour les femmes et le fric, il existe d'autres moyens de "réussir"
qui n'impliquent à peu près pas l'école...

Quand même curieux que 10 ans de réforme culminent en une campagne de promotion des métiers!

Dobby a dit…

Après avoir vu, en 4e secondaire, un collègue de classe pleurer après avoir lu La Route de Chlifa (une lecture obligatoire), je me dis qu'effectivement, ce n'est pas tant l'ouverture sexuée aux sujets que tout le reste le problème. Et le gars? Ouais, il était totalement "mâle" pourtant...