15 novembre 2011

CAQ: Un flou un peu moins flou... un peu moins seulement

Après un an d'une tournée provinciale s'apparentant à une grosse campagne de présence médiatique, la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) s'est convaincue d'être un parti politique: la Coalition Avenir Québec (CAQ).

Disons-le tout de suite, le plan d'action qu'elle propose en matière d'éducation reprend sensiblement les mêmes idées qu'originalement. M. Legault a écouté ce qui faisait bien son affaire sans remettre en question les bases mêmes de ses «solutions».

Ce qui est décevant, c'est que les changements qu'il propose ne sont basés sur aucune étude ou analyse sérieuse. De plus, pour moi, un plan d'action va au-delà des idées générales: il doit proposer des idées, des moyens et des indicateurs d'efficacité.  Or, force est de constater que la réflexion n'a pas trop avancé chez celui qui prétend agir au cours des 100 premiers jours de son mandat. Je me permettrai de reproduire ici en bleu les éléments du plan d'action de la CAQ en ce qui a trait à l'éducation (sauf en ce qui concerne la partie universitaire) et j'y ajouterai en rouge mes commentaires et questions.

1. L’ÉDUCATION, LA PRIORITÉ ABSOLUE
  
Lucien Bouchard tenait exactement le même discours avant de sortir la tronçonneuse. 

La priorité pour relancer le Québec est de s’assurer que notre système d’éducation permette à tous de donner leur pleine mesure. Depuis la Révolution tranquille, le Québec a réalisé des progrès remarquables. Cependant, les défis en éducation restent immenses. Trois orientations caractérisent les mesures avancées pour y parvenir.

La Coalition estime d’abord qu’il est impératif de revaloriser l’éducation en général et la profession enseignante en particulier. À cette fin, elle propose d’améliorer la formation des enseignants et de hausser leur salaire de 20 %. Cette dernière mesure attirera les meilleurs talents et procurera à ceux qui se dévouent à leur tâche une reconnaissance à la mesure de leurs efforts.

1- Concrètement, on parle de la formation des enseignants actuels et/ou de ceux dans nos universités?
2- La hausse de 20% sera-t-elle attribuée à tous les enseignants ou seulement à certains d'entre eux (selon des critères qui restent à définir) comme le sous-entend le libellé «à ceux qui se dévouent à leur tâche»)?
3- En plus de l'ajout d'une évaluation effectuée par les directions d'école, cette hausse s'accompagnera-t-elle d'ajouts dans la tâche des enseignants?
4- Rehaussera-t-on également en conséquence le salaire des autres individus oeuvrant en éducation: adjoints, directeurs, psychologues, etc.?
5- A-t-on mesuré l'impact de cette mesure sur un régime de retraite qui se base sur les cinq dernières années travaillées pour établir la rente payée?
6- Personnellement, ici, M. Legault pense comme un homme d'affaires. Un meilleur salaire attirera de meilleurs candidats. Or, bien des jeunes, qui ont ce qu'il faut pour être enseignant, refusent d'embrasser cette carrière pour des raisons personnelles et non financières. Ils ne se sentent pas les habiletés pour travailler avec des jeunes, par exemple (dans le milieu, on dit «moucher des nez et attacher des souliers»). Cette mesure risque, non pas d'attirer de meilleurs candidats, mais simplement des candidats intéressés par un meilleur salaire. Il s'agit d'une nuance importante quand on sait que les qualités personnelles pour être un bon enseignant sont davantage altruistes.
7- La valorisation des enseignants, selon M. Legault, ne se limite qu'au seul salaire. Or, la problématique est bien plus complexe. Pour de nombreux enseignants, c'est davantage leur rôle, leur statut et leur expertise qu'ils aimeraient voir mieux considérés. Bien des candidats intéressés par l'enseignement choisissent une autre carrière quand ils constatent le peu de cas qu'on fera de leurs opinions et de leurs idées. Ils réalisent que, même avec un bac ou une maitrise, ils seront traités comme de simples techniciens, pour ne pas dire moins.

Le droit à une éducation de qualité exige d’évaluer le travail des enseignants. L’objectif de cette mesure n’est pas de lier le salaire à un quelconque indice de performance, de congédier des enseignants ou de menacer leur sécurité d’emploi. Il s’agit plutôt de soutenir ceux qui seraient en difficulté, puis d’identifier et de partager les meilleures pratiques afin de s’assurer que tous les élèves reçoivent le meilleur enseignement possible. Cette mesure serait appliquée de manière souple et graduelle. Une formation adéquate des directions d’école devra d’abord être assurée. Des mécanismes spécifiques pourraient être mis en place pour éviter toute forme d’arbitraire dans les cas exceptionnels de congédiement.

8- Ici, M. Legault semble avoir modifié grandement sa vision des choses, comme le souligne Jean-François Lisée sur son blogue. Concrètement, est-ce que M. Legault a renoncé à instaurer des évaluations bi-annuelles et des contrats renouvelables de trois à cinq ans aux enseignants comme il l'avait déclaré précédemment? 
9- Comment M. Legault s'y prendra-t-il pour modifier les conventions collectives actuelles, s'il y a lieu?
10- Le libellé de la dernière phrase de ce paragraphe est plutôt troublant: ainsi, des mécanismes devraient obligatoirement être mis en place pour éviter toute forme d'arbitraire et non pas «pourraient».
11- Pour M. Legault, une éducation de qualité ne semble reposer que sur les seuls enseignants. Il n'y a qu'eux qui seront évalués et sur une base individuelle, qui plus est.
12- Le changement de position de M. Legault en ce qui a trait à l'évaluation et le congédiement des enseignants m'apparait troublant. Un homme a le droit de changer d'idée, mais il fallait écouter avec quelle ferveur M. Legault dénonçait sur différentes tribunes l'impossibilité de congédier un enseignant. Il serait tout à coup «assagi»? Peut-être?

Le décrochage scolaire reste trop élevé au Québec. Les solutions proposées par la Coalition s’attaquent à certaines des causes profondes de ce problème. Les ressources consacrées aux enfants handicapés ou éprouvant des problèmes d’adaptation ou d’apprentissage doivent être mieux allouées. Or, le décrochage est plus élevé chez les élèves issus d’un milieu socio-économique moins favorisé. Des
mesures ciblées doivent être prises pour les mener à la réussite, dont une meilleure allocation des ressources spécialisées, une augmentation du soutien aux écoles en difficulté et la possibilité de rémunérer davantage les enseignants travaillant dans des milieux où l’abandon scolaire est plus répandu.

13- La CAQ affirme que ses solutions s'attaquent à certaines des causes «profondes» du décrochage scolaire au Québec. Vraiment?  Ici, les mots sont flous: on parle de «mesures ciblées qui doivent être prises».  Mais que fait-on du rôle des parents? de la valorisation de l'école?  du soutien auprès des mères monoparentales peu instruites, par exemple?  La pensée de la CAQ en matière de décrochage semble se résumer à cette simple idée: donnons davantage de ressources à des écoles autonomes. Chaque école pourra ainsi inventer ou réinventer la roue.
14- La mesure visant à rémunérer davantage les enseignants oeuvrant dans des milieux difficiles s'ajoutera-t-elle celle d'une hausse de 20% de leur salaire?
15- Ce qui attire des enseignants dans un établissement d'enseignement, ce sont des facteurs comme la qualité des élèves, de l'équipe-école (direction, enseignants, etc.)  et le climat général de l'école. Encore une fois, M. Legault croit qu'un incitatif salarial sera suffisant pour attirer des enseignants dans des milieux plus difficiles. Je crois être un bon enseignant et même une augmentation d'un autre 20 000$ avant impôts de mon salaire ne m'inciterait pas à aller travailler dans une école où l'abandon scolaire est plus répandu. Dans les faits, l'argent n'attire que ceux qui aiment l'argent. Les écoles difficiles pourraient tout aussi bien se retrouver avec des enseignants en fin de carrière soucieux uniquement d'augmenter la valeur de leur retraite.
16- Les solutions de M. Legault quant au décrochage scolaire n'ont rien de trop nouveau. Ce dernier semble croire que plus d'argent accordé à des écoles autonomes règlera le problème. 
17- Enfin, M. Legault semble ignorer que la clientèle d'une même école peut être très variée, allant d'un programme international à de l'adaptation scolaire. Va-t-on mieux rémunérer, au sein d'une même école, un enseignant travaillant avec des élèves difficiles et laisser en plan un enseignant menant plus loin dans leur cheminement des élèves doués?

La Coalition croit également que les structures scolaires du Québec doivent être allégées afin d’augmenter les services directs aux élèves. L’abolition des commissions scolaires (incluant les élections scolaires et les postes de commissaires) et des directions régionales, et le redéploiement d’une partie de leur personnel en centre des services pour les écoles visent cet objectif. Le but de cette
réforme est double. Diminuer les coûts de la bureaucratie scolaire et transférer les ressources ainsi dégagées aux écoles afin d’en accroître l’autonomie et donner plus de services aux élèves. Cette restructuration tiendra compte de la réalité des régions, tandis que des écoles pourraient choisir de mettre plus ou moins de ressources en commun.

18- Quand la CAQ dit que les structures scolaires «doivent être allégées», on ne peut que sourire devant un pareil euphémisme... On remarquera que cette formation a quelque peu nuancé sa pensée: avant, on abolissait les commissions scolaires et confiait aux directions régionales le soin de gérer certains dossiers. J'ai vivement critiqué cette mesure ici, soulignant entre autres qu'on remettait à une entité régionale des dossiers pour lesquels elle ne possédait aucune expertise. Maintenant, la CAQ parle d'un nouvel organisme: les centres de service qui s'occupera de la distribution des ressources, de la répartition des élèves et du transport scolaire. 
Cette mesure marque théoriquement la fin de la démocratie scolaire et signifie une augmentation du pouvoir des fonctionnaires non élus. Sous prétexte que les élections scolaires sont peu populaires, la solution de M. Legault consiste tout simplement à supprimer celles-ci. En soi, toujours théoriquement, il s'agit d'une perte de pouvoir pour le citoyen et je trouverai toujours intellectuellement incohérent de voir des groupes de droite (ADQ, Liberté Québec) soutenir une telle initiative. 
19- L’abolition des commissions scolaires (incluant les élections scolaires et les postes de commissaires) soulève la constitutionnalité de cette mesure, notamment en ce qui a trait à la communauté anglophone du Québec.
20- Cette mesure soulève aussi d'autres questions tout aussi pertinentes. Qui sera l'employeur des enseignants et des divers employés des écoles? Comment procédera-t-on à leur embauche? Quelle convention collective s'appliquera? Qui nommera et congédiera les directeurs des écoles autonomes? Qui évaluera les écoles autonomes? Comment seront prises les décisions au sein des centres de services? Ne risque-ton pas d'avoir davantage de décisions centralisées au MELS?
21- Sur quelles analyses ou études se base la CAQ pour croire qu'il y aura effectivement une diminution des coûts de la bureaucratie scolaire? On doit se rappeler que la fusion des commissions solaires et des municipalités a, contrairement à ce qui était prévu, entrainé une augmentation des coûts administratifs de celles-ci.


Finalement, si la pensée de la CAQ a changé en ce qui a trait à deux points de son précédent discours (évaluation des enseignants et abolition des directions régionales), on ne peut que constater qu'en un an, celle-ci a peu étoffé ses idées quant à la façon dont elle va les réaliser.  On est encore devant un devoir moyen d'un étudiant de cégep qui entend refaire le monde.

Je l'ai déjà écrit: quand un politicien met de l'avant des idées aussi grandes de changement, il a aussi la responsabilité morale et politique tout aussi grande de s'assurer de leur validité et de leur réalisation. Divers apprentis sorciers ont suffisamment saccagé le monde de l'éducation au cours des 15 dernières années pour qu'on soit en droit de leur demander plus de rigueur dans leur démarche. L'histoire nous rappelle que M. Legault a été un ardent défenseur de la réforme de l'éducation.  Aujourd'hui, il est plutôt silencieux quant à ce sujet et à son rôle comme ministre de l'Éducation. Pendant trois ans, le fondateur d'Air Transat a été une partie du problème. Aujourd'hui, il se veut une solution. Permettez-moi d'être suspicieux.

De plus, M. Legault se dit à la tête d'une «coalition» qui ne rejoint dans les faits ni les représentants des commissions scolaires ni ceux des enseignants, qu'ils soient de la FSE ou de la FAE, deux organisations pourtant opposées. On peut alors douter de sa capacité à effectuer des changements aussi importants en éducation avec un si faible appui des principaux concernés. Le MELS n'a pas su implanter son Renouveau pédagogique parce qu'il a voulu le faire contre la résistance (fondée ou non) des enseignants.

On ne fait pas la révolution contre les gens mais avec eux. LA CAQ semble penser qu'elle pourra imposer de façon efficace aux principaux acteurs de l'éducation, de nature conservatrice, faut-il le dire, les mesures prévues dans son plan d'action.  Permettez-moi d'en douter.

Je m'en voudrais de ne pas souligner, en terminant, ce texte de Louis Cornellier portant sur le sujet que j'ai abordé dans ce billet.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour avoir commenté son plan d´action sur le blog de la CAQ depuis avril dernier, j´ai rapidement compris que les propositions de Legault ne reposaient sur aucune étude sérieuse... Je ne suis donc pas surpris qu´il ait reculé sur la question de l´évaluation à la performance...

Pour ce qui est des Commissions et de leur abolition, il y beaucoup de pensée magique sur les économies potentielles...

Je suis aussi très sceptique face à ses propositions... C´EST VAGUE!

Marc St-Pierre a dit…

Même pour abolir les commissions scolaires, Legault aura besoin des commissions scolaires. C'est vous dire dans quoi il s'embarque.

gillac a dit…

De toute façon, lors du prochain gouvernement, toute l'attention sera centrée sur la crise financière sans précédent qui affectera la majorité des états occidentaux: l'endettement des ménages et le déficit abyssal des régimes de retraite va placer le prochain gouvernement en situation de gestion de crise perpétuel. Alors le "fine tunning" proposé par le CAQ va prendre le bord rapidement.

Anonyme a dit…

Vous avez quand même utilisé les couleurs du logo.

Le professeur masqué a dit…

Anonyme: le logo de la CAQ servirait-il à dépister les daltoniens? Je n'ai pas utilisé l'orange, le jaune et le vert. Une visite médicale en vue? :)

Marc St-Pierre a dit…

Pas beaucoup de caquistes pour venir répondre aux questions... Y'a des silences qui en disent long...

Missmath a dit…

J'aime ça, PM, quand tu analyses les choses comme ça et que, pour m'éviter des discussions ennuyantes, je ne peux répondre à mes interlocuteurs : "Va lire le Prof masqué, tout est là."

Le professeur masqué a dit…

Miss: j'ai comme une grosse gêne, là.