19 juillet 2007

On écrase bien les marmottes... deuxième partie!

Je vous avais promis de traiter de la contestation, par un regroupement de jeunes enseignants, des clauses orphelin contenues dans la convention collective conclue en 1997 par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) avec le gouvernement Bouchard. On se souviendra qu'à l'époque, le lucide Lucien ne visait rien de moins que l'atteinte du déficit 0, au détriment même, il faut croire, des droits les plus élémentaires de notre société.

Comme ce sujet revient dans l'actualité ici, ici, ici, ici et , faisons sans hésitation le portait - un peu long mais instructif - d'une situation honteuse tant pour notre société que pour la CSQ.

Un peu d'histoire

En 1997 donc, le gouvernement Bouchard dépose des offres finales. Parmi celles-ci, on retrouve le choix entre une augmentation du nombre d'élèves par classe (vous avez bien lu!) ou le gel d'une année d'ancienneté. Pour les enseignants qui ont plus de 15 années d'expérience, ce gel d'échelon ne signifie rien mais, pour les 27 000 autres, il faut comprendre que cette mesure, qui a été en vigueur pendant trois ans avant d'être retirée de la convention collective suivante, était cumulative. Chaque jeune enseignant a donc perdu en moyenne 5 000 $ tandis que le gouvernement, lui, a récupéré 66 millions$ sur sa masse salariale.

L'exécutif syndical de ma région, suivant les recommandations nationales, suggère donc bêtement l'acceptation du gel de salaire pour les moins de 15 ans. Inutile de dire que j'ai immédiatement considéré que cette mesure était discriminatoire et que j'étais consterné de voir un syndicat encourager ses membres à enfreindre la loi à l'égard de ses plus jeunes adhérents!

Et puis, il fallait voir certains vieux enseignants nous écraser de leur morgue et de leur mépris. «On n'a pas le choix: il faut choisir sinon le gouvernement va nous imposer nos conditions de travail!», avançaient-ils, en tentant de nous convaincre. Foutaise! On a toujours le choix de refuser l'injustice dans la vie. «Le gouvernement péquiste nous a fait pareil en 1985. C'est à votre tour!», m'ont même dit plusieurs opprimés devenus soudainement des opprimeurs haineux. Quel raisonnement moral édifiant, on en conviendra!

Je me souviens aussi des conditions très avantageuses qui étaient accordées aux enseignants plus âgés qui acceptaient de prendre leur retraite anticipée dans le cadre d'un programme spécial et je me demandais si je ne la payais pas de mes propres poches.

Bref, j'ai proposé le rejet des offres patronales, si je me souviens bien, pour qu'on puisse trouver une troisième voie. Cette proposition a été battue et j'ai demandé - pour la première fois de ma vie syndicale - à inscrire ma dissidence au procès-verbal. Depuis, j'inscris systématiquement ma dissidence chaque fois qu'un vote va à l'encontre de mes valeurs ou risque d'être contesté légalement ou politiquement. C'est ma façon de protéger et ma réputation et mes principes.

Petit aparté

Je me permets ici un clin d'oeil historique pour montrer que rien ne change dans le monde syndical.

Lors des dernières négociations collectives, le gouvernement Charest est arrivé avec des offres franchement décevantes et la menace d'une loi spéciale. Notre syndicat, après nous avoir chauffés à bloc pendant un an en affirmant qu'on se battait pour nos conditions de travail et patati-patata, a recommandé l'acceptation des offres patronales de crainte de se voir imposer des conditions de travail moins intéressantes. «On a eu le couteau sur la gorge mais, au moins, on ne se l'est pas fait enfoncer», a affirmé, sans rire, un délégué plutôt inconscient. Réjouissons-nous, mes frères: on nous a juste volé notre respect! Désespérant d'à-plat-ventrisme...

C'est cette même mentalité qu'on retrouve dans le cas de ces jeunes enseignants. En effet, alors qu'elle a recommandé l'acceptation d'offres discriminatoires, la CSQ, comme pour s'excuser, a affirmé ne pas avoir eu un grand pouvoir de négociation dans l'élaboration de l'entente conclue avec le gouvernement. Si vous allez lire ce billet, vous comprendrez que ce n'est pas de pouvoir, mais d'imagination et de principes dont manquait la CSQ...

Fin de l'aparté

Bref, les offres patronales ont été acceptées, mais des jeunes enseignants ont contesté la légitimité de celles-ci. Ils ont alors fondé l'Association de défense des jeunes enseignants du Québec (ADJEQ) et porté leur cause devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Et là, tenez-vous bien, ils ont dû aller jusqu'en Cour suprême se battre contre les procureurs du gouvernement et les avocats de leur propre organisation syndicale uniquement pour faire admettre que cette commission avait le pouvoir de les entendre!


Une entente sans les jeunes enseignants!

Or, surprise! ne voilà-t-il pas qu'une entente hors cour est intervenue ce printemps entre le gouvernement, la CSQ et la CDPDJ. Cette entente prendra «la forme d'un budget de 22 millions $ réservé pour des demandes de perfectionnement, du mentorat, des projets pédagogiques ou encore l'achat d'outils pédagogiques qui demeurent la propriété de la commission scolaire.» Aucune compensation financière ne sera versée directement aux enseignants concernés.

De plus, il faut noter que cette entente a été signifiée à l'ADJEQ le 18 juin dernier, quatre jours avant la fin de l'année scolaire. «Cela se fait en plein été, l'information a été transmise alors que les enseignants sont pris par les bulletins, la fin de l'année et que l'activité syndicale tourne au ralenti», comme le remarque Andrée Aubut, enseignante à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.

Inutile de trop s'appesantir sur cette stratégie qui consiste à annoncer les mauvaises nouvelles juste avant ou durant les vacances d'été ou d'hiver. Il s'agit d'un classique de la gestion des relations de travail au Québec. Pensons à la Loi 142, à certains éléments de la réforme... Le plus choquant toutefois est de constater que notre propre syndicat à participer à cette magouille éhontée. Qui plus est, le site internet de la CSQ ne fait nulle mention de cette entente.

Bien évidemment, les jeunes enseignants contestent cette entente conclue, entre autres, par deux des parties qui les ont sciemment floués! Normand Morin, président de l'ADJEQ, rejette cet accord, entre autres, pour les raisons suivantes:
  • le montant de 22 millions prévu est insuffisant comparé aux 66 millions perdus par les enseignants ;
  • il ne verse aucune compensation financière aux enseignants lésés ;
  • il prévoit des mesures auxquelles ils ont déjà droit ;
  • et les enseignants qui ne sont plus à l'emploi d'une commission scolaire en sont exclus.

«Ce qui est proposé à l'heure actuelle, c'est vraiment de la poudre aux yeux, soutient-il. C'est une retenue sur le salaire qui a été faite, donc (...) minimalement ce qu'on demande, c'est une compensation financière pour les sommes qui ont été prélevées injustement en 1997.» Pour Mme Aubut, «C'est comme si on comblait les trous du manque de budget en éducation par cette entente, en allouant les sommes autrement que sous forme de salaire.»

Vers un rejet?

Pour toutes ces raisons donc, l'ADJEQ s'est présenté hier devant le Tribunal des droits de la personne pour dénoncer un accord la concernant, mais auquel elle n'a pas pas participé. Advenant le rejet de cette offre, certaines des parties en cause ont déjà préparé leur plan de match.

«La Commission (CDPDJ) estime qu'à l'heure actuelle dans ce dossier-là, c'est une entente équitable et qui est la meilleure entente qu'on peut aller chercher», a indiqué Robert Sylvestre, agent d'information de la Commission. La commission débarquerait du train. Continuer impliquerait un processus assez imprévisible, c'est-à-dire qu'une décision qui serait rendue dans ce genre de dossier risquerait fort d'être portée en appel par une ou l'autre des parties. Donc on repart pour on ne sait pas combien de temps.»

Juste comme ça, je souligne méchamment que c'est la même commission qui a ordonné à l'Hôpital général juif de Montréal de verser 10 000$ de dédommagement à un ambulancier à qui on avait refusé qu'il mange son spaghetti meatball dans une section cashère de la cafétéria.

Pour sa part, l'avocate du gouvernement du Québec, Jocelyne Provost, a affirmé qu'advenant un échec de l'entente, son client lui avait déjà indiqué qu'il refuserait de verser directement aux enseignants les 22 millions $ prévus dans l'entente : «Tous les cadres et les salariés de l'État ont dû payer de leur salaire. On ne peut pas dire à une classe de salariés: on va vous rembourser et ne pas le faire pour les autres. La réponse est finale: on ne remboursera pas de salaires.»

Toute cette saga devrait connaître d'autres rebondissements sous peu. Quoi qu'il en soit, si jamais vous vous demandez pourquoi les jeunes enseignants ne croient pas aux vertus de leur propre syndicat, vous venez peut-être de lire une partie de la réponse.

5 commentaires:

J. RAFFE a dit…

Le manque de solidarité me sidère! Pour la question de l'équité salariale, j'ai entendu tellement souvent : "Bah, j'suis en haut de l'échelle, ça ne change rien pour moi facque j'm'en fous!" que j'en ai développé de la nausée...

Dobby a dit…

Le manque de solidarité est encore là aujourd'hui J Raffe... la preuve l'assemblée syndicale où on a fini par voter l'entente partielle en négo locale pour les octroi de postes...

Mais là... je veux bien comprendre. Gel d'échelon d'accord, mais les 15 ans et plus ont-ils effectivement eu un gel de salaire aussi "significatif" que les jeunes? Je veux dire, quand tu as atteint le "top" de l'échelle, à part les indexations au coût de la vie, ya plus rien qui bouge??? Alors que les jeunes, eux, montent continuellement et perdent beaucoup plus, non?

Le professeur masqué a dit…

J.raffe: manque de solidarité syndicale? Mais voyons, on n'arrête pas de la chanter: «Sots! sots! sots! Solidarité!»

Dobby:la réponse est non. Les 15 ans et plus n'ont pas eu un gel de salaire aussi "significatif" que celui des jeunes. On estime à $5 000 en moyenne en trois ans la perte monétaire des jeunes enseignants.

Le salaire des plus âgés n'augmentait plus dans l'échelle d'ancienneté parce qu'ils avaient déjà atteint le maximum. Cela a toujours été le cas dans l'éducation. Cependant, ce salaire pouvait augmenter, tout comme ceux des plus jeunes, selon les dispositions prévues par la conventions de l'époque en ce qui a trait aux augmentations générales de salaire.

De plus, en 1997, certains profs âgés ont pu prendre leur retraite plus rapidement et avec de meilleures conditions que je pourrais le faire aujourd'hui. Et je ne parle pas du dossier de l'équité qui a surtout permis à des profs âgés sans trop de scolarité de voir soudainement leur salaire augmenter rétroactivement alors que, quelques années plus tôt, de jeunes profs, eux, sont allés chercher des cours universitaires de plus pour augmenter leur salaire pour finalement réaliser que «la scolarité, ça ne payait pas en éducation.» Et je ne te parle pas du fait qui les ont payés de leurs propres poches alors que ces cours étaient remboursés par les CS auparavant.

Dans le fond, on a pénalisé les jeunes en retardant la rapidité avec laquelle ils progressaient dans l'échelle d'ancienneté. Économie nette de 66 millions $ pour le gouvernement.

C'est là la beauté de la chose! Diviser pour mieux régner, ça vous rappelle quelqu'un?

Dobby a dit…

Merci d'avoir éclairé ma lanterne!

Il va falloir qu'ils continuent à se battre alors... Le syndicalisme n'est plus ce qu'il était.... à mort les ptits nous on veut rester big.

Le professeur masqué a dit…

Dobby: tout le plaisir était pour moi. Ouins, les jeunes, qu'ils restaent donc à leur place...